Partager la publication "Le nord de la Cisjordanie prend les armes. Le sud va-t-il le rejoindre ?"
Basil Adra, 12 octobre 2022. Malgré les incursions militaires israéliennes quasi-quotidiennes dans les villes palestiniennes du nord de la Cisjordanie occupée – en particulier Jénine et Naplouse – contrées par les forces de résistance palestiniennes dans des combats intenses et souvent mortels, le sud de la Cisjordanie semble maintenir un calme tendu, du moins pour l’instant.
Pourquoi la résistance armée se développe-t-elle dans le nord de la Cisjordanie, mais pas dans le sud ? Va-t-elle s’étendre au-delà du nord ? Va-t-elle se poursuivre ? Au fil des conversations avec des journalistes, des commentateurs et des militants politiques, il est apparu clairement qu’il n’y a pas de réponses simples à ces questions. L’une des raisons de cette difficulté est que la résistance armée agit de manière relativement indépendante, sans qu’aucun mouvement politique centralisé ne propose un plan et sans qu’aucun dirigeant ne trace une voie claire.
« Socialement parlant, il y a depuis longtemps un soutien public manifeste à la résistance à Jénine et Naplouse », a déclaré Akram Al-Natsha, un journaliste d’Hébron qui tente d’expliquer le phénomène. « Pendant la deuxième Intifada, par exemple, tout le monde était au courant et pouvait clairement voir l’action militaire dans ces villes, mais à Hébron, tout se faisait en secret. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, nous voyons moins d’activités militaires à Hébron, alors qu’elles sont beaucoup plus fréquentes dans le nord de la Cisjordanie. C’est une question de tradition, les gens [du nord] sont favorables à la résistance armée. »
L’Autorité palestinienne (AP) joue également un rôle dans la division de la Cisjordanie entre le nord et le sud. Selon Al-Natsha, le soutien populaire non dissimulé à la résistance à Jénine et à Naplouse rend très difficile pour l’AP d’y effectuer des arrestations. L’AP est obligée d’entrer dans Naplouse avec d’importantes forces de sécurité, et pourtant, elle se heurte à une opposition féroce, qui s’est manifestée lors de la récente arrestation de Musab Shtayyeh, un membre du Hamas. Les agents de sécurité n’entrent jamais dans le camp de réfugiés de Jénine.
« L’AP est l’un des principaux obstacles à la résistance »
Un certain nombre de commentateurs qui ont parlé à +972 ont déclaré que l’AP considère chaque acte de résistance comme un acte d’opposition à son existence même. « Ils disent que l’AP soutient la résistance populaire, mais ce n’est pas vrai. L’AP la réprime également », a déclaré Al-Natsha.
La disparité entre le niveau de contrôle que l’AP maintient dans le nord et dans le sud est visible à de nombreux égards. Non seulement il est plus difficile pour l’AP d’agir dans le nord, mais il y a un écart important dans le nombre d’arrestations effectuées dans chaque région. « Les forces de sécurité de l’AP procèdent à beaucoup plus d’arrestations à Hébron que dans le nord », a déclaré Al-Natsha. « L’armée d’occupation est également plus active dans le sud. Tout cela diminue la résistance dans le sud par rapport au nord. »
Ahmed Abu Hashash, un résident du camp de réfugiés d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, en a été le témoin direct. Quelques jours avant qu’il ne parle à +972, il a été libéré d’une brève détention dans une prison de l’AP.
« On sent depuis un certain temps que l’AP fait jouer ses muscles afin de maintenir le calme dans le sud de la Cisjordanie », a-t-il déclaré. « Je connais des dizaines de jeunes qui ont récemment reçu des convocations d’officiers palestiniens exigeant qu’ils viennent pour des interrogatoires et des discussions, mais ils ont refusé. »
Abu Hashash, dont deux frères sont en prison en Israël, a été arrêté par l’AP parce qu’il est soupçonné d’avoir transféré 1.400 shekels sur le compte bancaire de l’un de ses frères emprisonnés depuis une entité que l’AP considère comme un ennemi – le Jihad islamique palestinien (JIP). Abu Hashash nie complètement cette accusation et a déclaré lors de son procès qu’il avait transféré l’argent à partir d’une source légale, à savoir le comité de l’AP pour les affaires des prisonniers. Bien qu’il ait été libéré de prison, Abu Hashash considère que son arrestation s’inscrit dans une tendance générale : l’AP participe de plus en plus aux efforts visant à réprimer les factions concurrentes dans le sud de la Cisjordanie, telles que le JIP, le Hamas et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
« L’Autorité palestinienne est l’un des principaux obstacles à la résistance, car elle pourchasse tous ceux qui sont armés et les arrête », a déclaré Al-Natsha. « De plus, pendant la vague actuelle [de résistance], l’Autorité palestinienne est, encore plus que d’habitude, prise entre le marteau et l’enclume : d’un côté, les Palestiniens ordinaires reprochent aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne de s’opposer à la résistance populaire et ils sont furieux des arrestations de résistants armés. D’autre part, Israël accuse l’AP après chaque acte de résistance qu’elle ne parvient pas à déjouer. »
Une résistance sans vision
Un autre habitant du quartier, Ismail Abu Hashash, ne fonde pas ses espoirs sur la résistance actuelle dans le nord de la Cisjordanie. Militant du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), je lui ai demandé pourquoi les Palestiniens prennent les armes dans le nord et pas dans le sud. Dans son esprit, la question n’est pas pertinente.
« À l’heure actuelle, la résistance armée est sporadique et désorganisée », a-t-il déclaré. « Ces vagues peuvent démarrer tout d’un coup, par surprise, et peuvent disparaître tout aussi soudainement. C’est de la résistance au nom de la résistance – sans vision politique. C’est une façon de refuser l’occupation, de refuser le statu quo, qui est essentiellement un vide politique sans possibilité d’État à l’horizon. »
Sa critique est profonde : « Notre problème est que, depuis la fin de la deuxième Intifada, les factions palestiniennes n’ont pas réussi à se réunir, de manière sérieuse, pour construire un plan national uni. Quel est notre objectif ? Quelle est la solution politique, et comment pouvons-nous résister de manière coordonnée afin d’y parvenir ? »
« Les factions palestiniennes se battent entre elles pour des objectifs partisans étroits et elles n’ont aucune vision », a déclaré Abu Hashash. « Une des raisons est que chaque faction dépend d’une source différente de financement étranger. Chaque faction doit alors agir en fonction des objectifs qui lui sont prescrits par le groupe étranger qui la finance. Cet argent politique, malheureusement, détruit – ou du moins affaiblit sérieusement – les forces palestiniennes de gauche, comme le FDLP et le FPLP. » Il est de notoriété publique que le JIP reçoit un soutien financier de l’Iran, tandis que le Hamas est soutenu par le Qatar et la Turquie.
« Mais en dépit de cette situation », poursuit Abu Hashash, « les Palestiniens continuent de se soulever contre l’occupation. Ils le font par eux-mêmes. Cette attitude n’est pas venue facilement. Je ne pense pas qu’il faille résister avec des armes et des pierres – on peut aussi résister par le sumud [constance]. Dans le nord de la vallée du Jourdain, à Jérusalem, à Masafer Yatta, à Beita, dans chaque endroit où ils chassent les Palestiniens, nous devons résister, nous devons rejoindre les rangs et construire une nouvelle vision nationale partagée. »
Alimentée par la poursuite de l’occupation
Un journaliste et écrivain du camp de réfugiés de Jénine, qui a demandé à conserver l’anonymat en raison de la tension croissante à l’intérieur du camp, a également parlé de la « résistance des individus » – qui pourrait bien s’étendre vers le sud, bien qu’il juge impossible de le prévoir – par opposition à la « résistance collective », qui était une caractéristique des première et deuxième Intifadas.
« La vague actuelle – la résistance des individus – n’est pas sortie de nulle part », explique-t-il. « Elle est enracinée dans les suites de la deuxième Intifada et dans la division politique palestinienne qui s’est produite après. Pendant l’Intifada, la résistance contre l’occupation était à la fois large et profonde, et toutes les factions palestiniennes y ont participé, y compris l’AP. Israël a ciblé et réprimé toutes les factions et a assassiné la majorité des dirigeants de l’époque. »
Mais ensuite, a-t-il expliqué, la scission palestinienne a commencé. Le Hamas a pris le contrôle de Gaza et a presque disparu de la Cisjordanie, tandis que le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a dissous les bataillons armés du Fatah, afin de faciliter un accord avec Israël.
« C’est l’une des raisons pour lesquelles la Cisjordanie a connu une période de calme et de stabilité pendant des années », a déclaré le journaliste. « Mais la présence de l’occupation, l’oppression, le contrôle militaire continu – tout cela alimente constamment le besoin de résistance. C’est ainsi que la guérilla, qui n’est organisée par aucune faction, a commencé en Cisjordanie. Les Palestiniens moyens comprennent qu’ils doivent se défendre et qu’ils doivent créer des mouvements populaires afin de combler le vide laissé par les différentes factions politiques. »
Le journaliste rejette le postulat selon lequel la Cisjordanie pourrait être divisée en un « nord » et un « sud ». La période de 2015 à 2016, a-t-il dit, a vu un certain nombre de Palestiniens commettre des attaques à l’arme blanche à la fois contre les forces de sécurité israéliennes et contre des civils. « La plupart de ces Palestiniens venaient des environs d’Hébron, de Bethléem et de Jérusalem, tandis que le nord n’a notamment pas participé. » En d’autres termes, parfois le sud est le lieu de la résistance, et parfois le nord, et il n’y a pas de différence significative entre les deux.
Au cours de cette période, communément appelée « Intifada des couteaux », qui a duré un peu plus d’un an, 70 Palestiniens du district d’Hébron ont été tués, contre seulement 19 Palestiniens du district de Jénine, la plupart lors de tentatives d’agression à l’arme blanche. Malgré les disparités, il ne s’agissait pas d’actes de résistance armée contre des soldats, mais plutôt d’attaques à l’arme blanche, ce qui renforce l’affirmation selon laquelle la résistance est déclenchée par intermittence, à différents endroits.
Et pourtant, comme l’ont noté plusieurs des personnes interrogées, Jénine a une histoire unique en tant que centre de résistance palestinienne qui remonte à un siècle. Dans les années 1920 et 1930, Izz ad-Din al-Qassam – qui a donné son nom à la branche militaire du Hamas – a rassemblé des groupes de Palestiniens armés, dont beaucoup de paysans du nord de la Palestine, pour lutter contre le sionisme et le colonialisme britannique. Lorsqu’il a été contraint d’entrer dans la clandestinité, il s’est caché dans les collines entre Jénine et Naplouse. La police britannique a fini par le retrouver et l’a tué en 1935, près de Jénine.
Le journaliste a cité un autre exemple : le groupe Al-Fahd al-Aswad (La Panthère noire), affilié au Fatah, qui a vu le jour à Jénine et Naplouse pendant la première Intifada. « Des centaines de membres du groupe ont été tués ou emprisonnés, et certains d’entre eux sont encore prisonniers en Israël à ce jour », a-t-il expliqué. « La région autour de Jénine a été le berceau de la révolution et des vagues de protestation tout au long de l’histoire de la Palestine – d’abord pendant l’ère ottomane, puis sous les Britanniques, et encore maintenant sous l’occupation israélienne. Adopter une vision historique large du phénomène nous aide à comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le nord de la Cisjordanie. »
Article original en anglais sur 972mag.com / Traduction MR
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