Pourquoi Israël redoute-t-il le boycott d’un marchand de glaces ?

Motasem A Dalloul, 26 juillet 2021. Le géant américain de glaces Ben & Jerry’s a annoncé la semaine dernière qu’il allait cesser de vendre ses produits dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. De telles ventes, estime-t-il, sont « incompatibles » avec ses valeurs, a indiqué l’entreprise sur son site internet. « Nous entendons et reconnaissons également les préoccupations partagées avec nous par nos fans et nos partenaires de confiance. »

Illustration de l’aArticle “BDS impacts so far in 2021”, sur le site bdsmovement.net.

Ben & Jerry’s est connue pour ses prises de position sur les questions sociales. Elle a par exemple pris une position historique en soutien au mouvement Black Lives Matter en 2016. Même si son usine dans le sud d’Israël continuera à fonctionner, elle cessera ses ventes dans les colonies juives israéliennes, qui sont illégales au regard du droit international.

La décision de la société basée dans le Vermont, qui a été fondée par deux Américains juifs, a transformé le boycott des colonies israéliennes illégales construites sur des terres palestiniennes volées en un nouveau front de la guerre d’Israël contre le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions. BDS est une campagne populaire menée par les Palestiniens contre les entreprises, les institutions culturelles et les universités israéliennes ; elle bénéficie d’un soutien mondial et est entièrement pacifique.

Selon le président Isaac Herzog, ancien chef du parti travailliste israélien, la décision de Ben & Jerry est cependant « un acte de terrorisme économique dangereux, de type nazi, qui déshumanise le peuple juif. » Le Premier ministre Naftali Bennett a accusé l’entreprise de se ranger du côté des « terroristes » et a mis en garde la société mère du fabricant de glaces, Unilever, contre de « graves conséquences« .

L’envoyé israélien aux États-Unis et à l’ONU, Gilad Erdan, a déclaré que « les entreprises cèdent à la pression de BDS et introduisent des considérations politiques anti-israéliennes dans leurs décisions. » Pour le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, cette décision est une « reddition honteuse à l’antisémitisme, à BDS et à tout ce qui est mauvais dans le discours anti-israélien et anti-juif. » Erdan a envoyé une lettre à 35 Etats américains leur demandant d’activer les lois anti-boycott contre Ben & Jerry’s, ce qui, paradoxalement, verrait l’entreprise elle-même être boycottée par les institutions étatiques. Les boycotts sont un terrorisme antisémite et honteux… sauf s’ils profitent à Israël. Quelle hypocrisie recuite.

Cette réponse est typique de la propagande israélienne qui utilise l’antisémitisme comme arme pour limiter les critiques légitimes des politiques et des pratiques de l’État sioniste. Le mouvement BDS est une forme de protestation entièrement non-violente contre ces politiques qui ont trop souvent un impact mortel sur la vie des Palestiniens vivant sous occupation israélienne. Le message BDS trouve un écho auprès des personnes éprises de justice dans le monde entier, en particulier parmi les jeunes sur les campus aux États-Unis et ailleurs.

Cette fausse indignation, bien sûr, est destinée à intimider les gens pour qu’ils évitent de mener des actions BDS en faveur du peuple de la Palestine occupée. Qui, après tout, aime se faire traiter d’antisémite raciste ? Il s’agit cependant d’un écran de fumée destiné à détourner l’attention de l’oppression israélienne très réelle des Palestiniens. Le mouvement BDS demande que le droit international et les droits de l’homme soient respectés, et qu’Israël soit tenu pour responsable de ses actions, qui ont été décrites – à juste titre pour nombre de personnes – comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ben & Jerry’s cherche simplement à se conformer au droit international. Pourquoi Israël le craint-il tant s’il croit qu’il n’enfreint pas la loi ?

Une rapide recherche sur Google suffit à convaincre les gens raisonnables qu’Israël ne respecte pas les droits de l’homme des Palestiniens. L’oppression de l’État colonial d’occupation comprend des exécutions extrajudiciaires, des détentions sans inculpation ni procès, des démolitions de maisons, des vols de terres et la destruction de terres et de produits agricoles. Les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem occupées doivent vivre avec des centaines de points de contrôle militaires qui les empêchent de se rendre dans les écoles, les hôpitaux, les commerces et les lieux de culte. Ceux de la bande de Gaza sont confrontés à de fréquentes incursions et offensives militaires des forces armées israéliennes [et d’un blocus meurtrier, ndt].

Le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a décrit Israël comme un État d’apartheid en janvier. Human Rights Watch a depuis dit la même chose. De plus, en 2016, HRW a appelé les entreprises opérant dans les colonies de Cisjordanie « à évaluer leurs opérations et à comprendre comment elles peuvent bénéficier et contribuer aux violations des droits de l’homme. »

Les politiciens israéliens sont en colère contre la décision de Ben & Jerry’s car ils savent que les boycotts fonctionnent et peuvent avoir un effet domino. En effet, elle fait suite à une décision similaire prise au début du mois par le plus grand fonds de pension norvégien qui s’est désengagé de seize entreprises qui travaillent dans les colonies israéliennes. S’agit-il d’une pente glissante qui verra d’autres entreprises internationales suivre le mouvement ?

Ben & Jerry’s continuera d’exercer ses activités dans les territoires palestiniens occupés jusqu’à l’expiration de sa licence actuelle l’année prochaine, de sorte que la décision n’aura pas d’effet immédiat et pourrait, en fait, être annulée, comme cela s’est produit avec l’entreprise Airbnb en 2018. Cette dernière a succombé à la pression du lobby pro-israélien aux États-Unis et a été accusée de discrimination envers les Juifs. Elle est revenue sur sa décision seulement cinq mois après. Selon Erdan, Ben & Jerry’s « aura un prix à payer », notamment des actions en justice.

La décision du glacier a au moins permis de remettre la question palestinienne et l’oppression israélienne à l’ordre du jour international. Elle a également fait la une des journaux. C’est important, car cela met en évidence l’agression israélienne, même contre une protestation non violente. C’est pour cette raison que nous avons besoin que davantage, et non moins, d’entreprises internationales fassent la même chose que Ben & Jerry’s ».

« Pour être cynique », explique Hagit Ofran, directrice de l’équipe de surveillance des colonies de l’organisation de gauche Peace Now, « si une entreprise dit qu’elle ne fera plus d’affaires dans les colonies, une autre se présentera pour prendre sa place. Mais Ben & Jerry’s est un cas intéressant parce qu’elle est très populaire : cette décision touche tous les foyers israéliens. Si une autre entreprise cessait d’importer des bulldozers, il est peu probable qu’autant de personnes le remarqueraient. »

Il existe un moyen simple pour MM. Herzog, Bennett, Lapid et Erdan de s’assurer qu’ils n’auront pas à faire face à des boycotts à l’avenir : mettre fin à l’occupation de la Palestine et à la brutalité systématique et institutionnalisée qu’elle implique. Pas d’occupation signifie pas de résistance – de quelque nature que ce soit – à l’occupation. C’est aussi simple que cela, mais les sionistes ne peuvent l’accepter, car leur idéologie raciste exige le plus de terres possible en Palestine, avec le moins de Palestiniens possible.

Israël est un État raciste et colonial qui n’a jamais déclaré ses frontières et qui ne le fera pas tant que son insatiable gloutonnerie de terres ne sera pas satisfaite. Il a besoin de l’occupation, et ses hommes politiques ont besoin de leurs mensonges et de leur intimidation pour la maintenir. Alors bien joué, Ben & Jerry’s ! Nous attendons avec impatience la prochaine annonce de boycott.

 

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Article original en anglais sur Middle East Monitor Traduction : MR pour ISM