Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 8 (du 16 au 18.01.2024)

Brigitte Challande, 18 janvier 2024.

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J’ai appris au fur et à mesure de ce dialogue avec nos ami.e.s gazaoui.e.s à quel point il était important pour eux et elles, mais aussi pour nous, d’y être, de ne pas faire défaut, non seulement de relayer leur témoignage mais aussi de les lire, les écouter, leur répondre, leur parler : vivre au plus près de leur réalité que l’on ne partagera jamais mais que l’on reconnaît. Donc je reprends et continue ces chroniques nécessaires, inlassablement, au fil des jours qui se suivent et se ressemblent…

Mardi 16 Janvier un dialogue de toute la journée avec Marsel par WattsApp

« Bonjour mes chers, La panne d’Internet et des communications dans la bande de Gaza se poursuit pour le cinquième jour consécutif.

Euro-Mediterranean Monitor a dit que l’armée israélienne a non seulement affamé les Palestiniens dans le nord de la vallée de Gaza, mais a également tué des dizaines d’entre eux alors qu’ils tentaient d’obtenir une aide limitée qui arrivait là-bas, perpétuant ainsi le crime de génocide commis par Israël contre les civils de Gaza. »

Marsel décrit un labyrinthe mortel, pervers qui suit les déplacements de la population dans la bande de Gaza.

« Après que Gallant -ministre de la Défense israélienne- ait annoncé hier soir la fin de l’opération terrestre dans le nord de Gaza et l’entrée dans la phase suivante, une partie des déplacés est revenue à proximité de leurs maisons détruites ou dans ce qui restait de leurs maisons, mais depuis le matin les chars israéliens ont de nouveau pénétré, et cela a coïncidé avec des bombardements continus et violents dans le nord, obligeant les familles à se déplacer et à fuir à nouveau vers des abris. Les citoyens des régions du nord ont quitté leurs maisons à l’est de Jabalia Al-Balad et sont retournés dans des centres d’hébergement suite aux bombardements continus de l’artillerie israélienne. Plus de 30 martyrs dans le gouvernorat de Khan Yunis au cours des dernières 24 heures, leurs corps sont arrivés aux hôpitaux Nasser et Européen, à la suite d’une série de frappes aériennes qui ont ciblé les zones à l’ouest de la ville, Abasan à l’est et Mirage à l’est. Au sud, tandis que des corps et des blessés gisent toujours dans les rues inaccessibles dans de vastes zones de la ville, du gouvernorat, en particulier dans le quartier d’Al-Manara et de Qizan Al-Najjar.

Depuis les premières heures de la matinée, l’armée d’occupation israélienne a lancé une nouvelle incursion dans plusieurs axes de la bande de Gaza et des gouvernorats du nord. Région de Shujaiya Est et d’Al-Sanafour, à l’est de Gaza Zone de Jabal Al-Rayes, à l’est de la ville de Jabalia, au nord de la bande de Gaza. Zone d’Al-Sika, à l’ouest de la ville de Beit Hanoun, au nord de la bande de Gaza. Secteur du village d’Umm Al-Nasr, au nord-est de la ville de Beit Lahia. Zone du Collège d’Agriculture au nord-est de Beit Hanoun.

Le Croissant-Rouge palestinien informe que la panne actuelle des communications dans la bande de Gaza retarde les opérations d’intervention d’urgence en faveur des malades et des blessés. »

« Des canonnières israéliennes lancent plusieurs missiles vers la plaine côtière de la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza. Oh, après avoir poussé un million de personnes vers Rafah et prétendu qu’il y avait un endroit sûr près de la côte. »

Maudits meurtriers sera notre réponse.

Marsel enchaîne : « Exactement, la plaine côtière à l’ouest de Rafah est l’une des zones les plus densément peuplées de personnes déplacées. C’est la zone dans laquelle nous avons mené des interventions urgentes plus tôt, et il y a un grand nombre de personnes déplacées dans des tentes. » 

« Pour la santé : 350.000 personnes souffrent de maladies chroniques sans médicaments, et nous appelons les institutions internationales à fournir des médicaments de toute urgence.

Faire la queue pour obtenir de l’eau fait partie des souffrances quotidiennes dues au siège et à la guerre de famine imposées par les forces israéliennes aux citoyens de la bande de Gaza. »

« Depuis le matin, l’armée d’occupation israélienne mène une série de bombardements contre des quartiers résidentiels du gouvernorat de Khan Yunis. L’occupation bombarde Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. Des martyrs et un grand nombre de blessés suite aux raids violents et successifs lancés par l’occupation sur Khan Yunis, au sud de la bande de Gaza.

Le Ministère de la Santé de Gaza annonce un bilan qui s’élève à 24.285 morts et 61.154 blessés depuis le début de l’agression contre la bande de Gaza. Une fois de plus les soldats de l’occupation font exploser une place résidentielle au centre de Khan Yunis, au sud de la bande de Gaza.

Urgent| Croissant-Rouge : L’occupation a bombardé les environs de l’hôpital Al-Amal à Khan Yunis, ce qui a provoqué de graves dégâts à l’hôpital et un état de panique et de terreur parmi les patients, le personnel médical et les personnes déplacées. »

A la fin de la journée Marsel a envoyé une vidéo insupportable à regarder dont lui-même s’est excusé :

« Désolé, je sais que les scènes sont dures et horribles, mais notre mission est de transmettre la vérité, aussi difficile et douloureuse soit-elle. »

Notre réponse : nous le ferons aussi ! Je ne retranscris que les propos qui accompagnent cette vidéo

« Lorsque vous êtes médecin et que le siège de votre maison par l’occupation vous oblige à procéder sans anesthésie à l’amputation de la jambe blessée de votre fille, rien ne vous aidera sauf les larmes, votre expérience dans le domaine de la médecine et la question désespérée : où sont l’humanité et les droits humains ? »

« Je suis le Dr Hani Bseiso Nous sommes dans notre maison, Ils nous ont bombardés, Voici ma fille. Pouvez-vous imaginer que je suis en train de procéder à une amputation de la jambe de ma fille à la maison ? Qu’est-ce que c’est l’injustice à laquelle nous sommes soumis ?!. Cela fait 15 jours que nous sommes assiégés dans la maison. Ma fille, je suis en train de lui amputer la jambe sans anesthésie ! Où est la pitié ?! Où est l’humanité ?! Quel péché avons-nous commis ?! »

En 2014, j’ai passé trois mois à Gaza et suis partie au début de l’opération « Bordure protectrice ». Lors de ce séjour, j’ai rencontré beaucoup de Gazaoui.e.s qui sont devenu.e.s et resté.e.s des ami.e.s. Asma est une de mes ami.e.s dont je propose le témoignage recueillie également aujourd’hui par WattsApp. Asma est arrivée avec sa famille en provenance d’Algérie il y a une vingtaine d’années, elle est professeur de français dans une école de Khan Younès où elle habite avec sa famille. C’est une petite femme sensible, très discrète et réservée avec qui nous avions longuement échangé sur l’amour idéal, le mariage et la place des femmes dans la société gazaouie. Elle a souhaité me raconter la journée dont tous les détails ne la quittent pas depuis un mois, minute après minute.

Le 18 Décembre 2023 une journée d’arrachement terrible

« J’habite dans un appartement qui est dans un immeuble avec ma famille à l’ouest de Khan Younis. Comme nous étions loin des opérations israéliennes qui se situaient à l’Est et que nous habitons à côté d’un bâtiment de la Croix-Rouge, nous nous sentions protégés et pensions que l’armée israélienne ne s’approcherait pas. A 8h du matin, un enfant de l’immeuble crie que les avions ont lancé des papiers sur les immeubles, papiers que tout le monde lit et où il est écrit que notre quartier et 4 autres doivent être évacués, que les habitants doivent quitter leur habitation car si nous ne partons pas, c’est dangereux pour notre vie. D’habitude je me réveille vers 8H30 et là, ma sœur et mon beau-frère entendent beaucoup de bruit dans l’immeuble car tout le monde quitte son habitation. Mon beau-frère laisse son petit déjeuner en plan et moi j’ai eu un choc, je n’y croyais pas, je ne pouvais pas bouger, j’étais tétanisée. Ma grande sœur a commencé à ramasser les choses importantes et j’ai essayé de l’aider. Tu sais, je me souviens que j’ai voulu tout prendre, mes vêtements, le maquillage, mes bijoux, mais c’était impossible…. Alors on a commencé à ramasser les provisions, l’eau, le sel, le sucre, le riz, la farine, des couvertures, des coussins, des matelas, les médicaments, les batteries et j’ai fait un petit sac avec les papiers, l’argent, les bougies et les diplômes. Puis on a commencé à descendre les escaliers car il n’y avait plus d’électricité pour l’ascenseur et comme mes parents sont très âgés et ne peuvent plus se déplacer qu’avec difficulté, nous avons pris une chaise roulante et mis au moins 30mn pour chacun.e petit à petit, marche après marche. Moi je suis descendue la dernière et là j’ai pleuré. J’ai quitté ma maison, ma chambre que j’aimais, mes vêtements, j’ai mis mon foulard et j’ai fermé à clef. Ma grande sœur et son mari qui ont une voiture ont pris mes parents et nous, nous avons appelé un camion qui a mis du temps à venir à cause des coupures de communication, puis on est monté dans le camion. On est allé chez mon autre sœur à Rafah. A la fin de la journée, je me souviens bien, je restais seule dans un coin la main sur ma tête et quand mon beau-frère m’a questionnée, je lui ai dit que jamais je n’aurais pensé qu’un jour on devrait quitter notre maison. Il m’a répondu que tout Gaza n’a jamais pensé qu’on aurait une guerre comme celle-ci ! J’avais mal au coeur, je ne pouvais ni dormir ni manger, mon appartement était dans ma tête, même si les conditions que nous avons sont meilleures que pour d’autres personnes, ce n’est pas ma maison. C’est quitter une vie, des souvenirs, un environnement familier, c’est de la tristesse si difficile. On ne peut pas aller voir ce qui reste de chez nous à Khan Younis, c’est trop dangereux, les Israëliens y sont. Nous sommes maintenant trois familles chez ma sœur, 14 personnes, les journées sont toutes les mêmes, écouter la radio et vivre une routine simple sur fond de bombardements et d’inquiétude avec des difficultés d’approvisionnement pour tout qui est devenu si cher. On a peur, chaque jour, chaque nuit, chaque minute dès qu’on entend qu’ils approchent mais qu’est ce qu’on va faire ? On va vivre jusqu’à ce qu’on soit mort. J’ai pas peur de mourir, j’ai peur d’être blessée, de perdre un membre, ça c’est dangereux. Tout est détruit, l’école où je travaille, il n’y a plus d’avenir ici. »

Source : Altermidi.org