Partager la publication "Une grand-mère de Gaza abattue par un tireur d’élite israélien alors que son enfant agitait un drapeau blanc"
Mohammed al-Hajjar (Gaza), Lubna Masarwa (Jérusalem), Khaled Shalaby et Nadda Osman (Londres), 10 janvier 2024. Middle East Eye révèle qu’un tireur d’élite israélien a abattu une Palestinienne dont le petit-fils tenait un drapeau blanc, alors qu’ils tentaient de fuir la ville de Gaza vers une « zone de sécurité » dans le sud du territoire assiégé.
Hala Rashid Abd al-Ati marchait avec plusieurs autres Palestiniens tentant de fuir le quartier d’al-Rimal dans la ville de Gaza, le 12 novembre, tandis qu’elle tenait son petit-fils qui agitait un drapeau blanc, selon des images exclusives obtenues par MEE.
Des images exclusives obtenues par Middle East Eye montrent une Palestinienne abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville de Gaza le 12 novembre, alors qu’elle et d’autres tentaient d’évacuer la zone tout en tenant des drapeaux blancs au milieu de l’intense assaut israélien sur le nord de Gaza. pic.twitter.com/E92NI6v8Q4
— Middle East Eye (@MiddleEastEye) 8 janvier 2024
Selon la vidéo, alors qu’Abd al-Ati traversait une artère reliée à la rue al-Wihda, elle a été abattue d’une seule balle tirée par un soldat israélien.
On peut entendre la personne qui a enregistré ces images depuis un immeuble voisin, que MEE ne nommera pas pour des raisons de sécurité, dire : « la femme a été abattue. Les salauds (les troupes israéliennes) ont tiré sur la femme ».
Sur les images, on peut voir un Palestinien du groupe courir vers Abd al-Ati pour s’assurer de son état, alors que son petit-fils de cinq ans, Taim, court vers les autres pour se mettre à l’abri. Selon la famille, la balle a été tirée depuis une zone où se trouvait l’armée israélienne.
Les membres survivants de la famille d’Abd al-Ati, qui sont maintenant dispersés dans la bande de Gaza déchirée par la guerre, ont déclaré à MEE que la décision d’emprunter cet itinéraire pour quitter la ville de Gaza avait été prise après qu’ils se soient concertés à de multiples reprises avec la Croix-Rouge.
« Ma mère qui tenait son petit-fils (le fils de ma sœur) est tombée au sol lorsqu’elle a été tuée » Sarah Bassem Khres, fille de Hala Rashid Abd al-Ati
À la suite de l’attaque du 7 octobre contre le sud d’Israël, la Croix-Rouge, ainsi que plusieurs pays de la région et les États-Unis, ont commencé à collaborer avec Israël pour créer de prétendues « zones de sécurité » permettant aux Palestiniens de se déplacer du nord de Gaza vers la partie sud de l’enclave.
MEE a déjà fait état de frappes aériennes israéliennes et de tirs de snipers qui ont tué des dizaines de civils ayant suivi à contrecœur ces soi-disant « zones de sécurité » pour atteindre le sud de Gaza après avoir reçu des instructions en ce sens de la part de l’armée israélienne et de son gouvernement.
Sarah Bassem Khres, l’une des filles d’Abd al-Ati, a déclaré à MEE que la veille de la fuite de leur famille, les forces israéliennes avaient assiégé leur quartier, positionnant des chars et des snipers dans cette zone résidentielle densément peuplée. « Nous nous sommes réveillés au son des cris et des pleurs des gens… Après deux heures d’encerclement par les chars, nous avons appelé la Croix-Rouge pour qu’elle nous aide à évacuer. »
Elle a ajouté, « Ils nous ont dit qu’ils avaient cessé de travailler dans le nord de Gaza, et que la zone dans laquelle nous nous trouvions était devenue un champ de bataille en zone rouge et que nous devions quitter la zone immédiatement. »
Khres raconte que la famille a commencé à perdre espoir à mesure que les chars se rapprochaient, mais a décidé d’appeler à nouveau la Croix-Rouge, qui a déclaré que la situation devenait de plus en plus dangereuse et qu’ils devaient partir.
Je l’ai vue s’effondrer au sol
Selon Khres, le matin de l’assassinat, toute la famille s’est réveillée et a prié ensemble alors que le bruit des bombes israéliennes pilonnant leur quartier s’intensifiait.
Abd al-Ati leur a ensuite préparé le petit-déjeuner, tandis qu’ils étaient assis et lisaeint le Coran avant de se préparer à partir.
Khres a indiqué qu’ils n’ont accepté de s’aventurer dehors que lorsqu’ils ont entendu leurs voisins crier et exhorter les autres résidents à partir, ce qui, selon eux, a été fait conformément aux instructions de la Croix-Rouge.
« Vers 11 heures du matin, il y a eu le bruit des tireurs embusqués et des bombes, et nos voisins criaient « dégagez, partez », alors nous avons ramassé nos affaires, tenu les drapeaux blancs et sommes partis, alors que des avions de guerre tournaient au-dessus de nos têtes et que des balles réelles étaient tirées au hasard sur nous », a-t-elle déclaré.
Selon Khres, ils ont ensuite quitté leur domicile vers la rue al-Shaheed Abdel Qader al-Husain en direction de la rue Omar Bin Abdul Aziz.
Khres a déclaré qu’ils avaient été rejoints par au moins 100 autres personnes, dont la plupart étaient des femmes et des enfants.
Selon elle, dès qu’ils se sont avancés au milieu de la route, elle a vu sa mère tomber au sol alors que retenssissaient le bruit des tirs.
« J’ai crié pour ma mère… j’ai eu l’impression de goûter à la mort mille fois par minute », a-t-elle ajouté.
Elle portait du pain et de l’huile d’olive au cas où nous aurions faim
La sœur de Khres, Heba, âgée de 28 ans et mère de deux enfants, a déclaré à MEE que d’autres habitants du quartier avaient dit à plusieurs reprises à leur famille qu’ils partiraient ensemble car ce serait probablement plus sûr.
« Les instructions qui nous ont été données étaient basées sur des informations de la Croix-Rouge. On nous a dit qu’il y aurait un couloir sûr vers le sud de Gaza. Ma mère tenait mon fils Taim », a-t-elle déclaré.
« J’étais à la porte de notre maison et j’attendais mon mari quand j’ai entendu le bruit des tirs à balles réelles et les cris de ma sœur et de mon cousin. Ils n’arrêtaient pas de crier « reculez, reculez », puis j’ai vu le corps sans vie de ma mère ».
« Mon frère Mohammed, qui a 22 ans, a risqué sa vie pour aller chercher le corps de ma mère dans la rue et la ramener à la maison. »
Heba a déclaré que lorsque sa mère a été tuée, elle portait avec elle des sacs de pain et d’huile d’olive parce qu’elle ne savait pas combien de temps ils resteraient loin de chez eux et s’ils auraient de la nourriture et d’autres provisions de base. Selon Heba, le meurtre les a séparés, elle et son mari Yousef, de leur fils Taim, ajoutant ne douleur et une agonie incommensurables à leur souffrance.
« J’étais en train de rassembler des affaires dans notre maison et je m’apprêtais à partir quand j’ai entendu les cris à l’extérieur », a expliqué Yousef à MEE.
« Je ne pensais pas que c’était notre famille… Je suis sorti à la recherche de Taim et j’ai vu un char tout près de nous. Quand je suis rentré à la maison, ma belle-mère était morte à l’intérieur et Taim avait disparu. »
Après le meurtre, Taim a été emmené à Nuseirat par un voisin, puis à Rafah, dans le sud de Gaza, où il se trouve avec sa tante. On ne sait pas si et quand ses parents le reverront.
Le cousin de Heba et Sarah, Malak Anwar al-Khatib, 18 ans, a lui aussi raconté à MEE le moment où Abd al-Ati a été abattue.
« Après qu’elle ait été tuée, ma tante a été emmenée à l’intérieur de sa maison et nous avons essayé de la soigner, mais elle était déjà morte. Nous avons prié sur son corps et l’avons enterrée près de la maison… Après cela, on nous a dit que la Croix-Rouge nous aiderait à repartir, mais nous avons perdu confiance et nous n’étions pas prêts à risquer davantage notre famille. »
L’armée israélienne n’a pas répondu à nos questions sur le meurtre, mais une photo publiée par l’armée le jour même de l’incident montre des chars de l’armée et des snipers stationnés dans la rue al-Nasr, parallèle à la maison d’Abd al-Ati. La photo semble également montrer l’armée présente dans la zone de l’intersection d’où la balle a été tirée.
MEE a contacté la Croix-Rouge pour obtenir des commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
La famille a depuis déclaré à MEE qu’elle avait enterré Abd al-Ati près de chez elle, à son soulagement car plusieurs corps en décomposition jonchent encore les rues, souvent écrasés par des chars israéliens et des véhicules militaires ou dévorés par des chiens errants.
Article original en anglais publié sur Middle East Eye / Traduction Chris & Dine