Partager la publication "« Il a glissé et il est mort » : comment Israël cache la mort de ses militaires"
The Cradle, 25 mai 2023. Qu’ils tombent des arbres ou meurent dans des accidents de voiture, les soldats israéliens semblent être les plus malchanceux de la planète. Mais, en cette ère de l’information, il devient de plus en plus difficile pour Tel-Aviv de dissimuler ses morts liées au combat.
Au cours des cinq jours de guerre d’Israël contre le Jihad islamique palestinien (JIP) dans la bande de Gaza assiégée en mai, une nouvelle controverse a émergé sur le refus de Tel-Aviv de reconnaître ses pertes humaines dans les conflits militaires avec les forces de résistance palestiniennes.
Dans le cadre de l’opération « Revenge of the Free » [Vengeance des Hommes libres], les combattants palestiniens ont lancé plus de 1.500 missiles, ciblant environ 80 villes et villages. Certains de ces missiles ont frappé des quartiers densément peuplés d’Ashkelon, de Tel-Aviv et de Ramla, causant d’importantes destructions.
Bien que des rapports aient circulé sur des dizaines de morts et de blessés, avec des témoins oculaires décrivant des scènes de dévastation totale, la seule image publiée était celle d’un individu décédé dans la colonie de Rehovot, située au sud de Tel-Aviv. À la suite du cessez-le-feu négocié par l’Égypte, Israël a officiellement reconnu le meurtre d’un colon juif et d’un travailleur étranger tout en affirmant que 74 autres avaient été blessés.
Un mois seulement avant la bataille, les médias israéliens et palestiniens avaient rapporté l’aveu tardif d’Israël – après neuf ans – que quatre officiers israéliens avaient été tués lors d’une opération menée en 2014 par les Brigades Al-Qassam, la branche militaire du Hamas.
À ce moment-là, les combattants des Brigades ont infiltré un site près de la colonie de Sderot dans le nord de la bande de Gaza par un tunnel de 3 kilomètres. Alors que les forces d’occupation israéliennes ont d’abord affirmé que leurs soldats avaient neutralisé les 12 assaillants, elles n’ont révélé aucune victime dans leurs propres rangs.
Revisiter la vérité
Le 20 avril 2023, la chaîne de télévision israélienne Channel 12 a divulgué de nouvelles informations sur la mort des quatre officiers : elle a rapporté que les Brigades Qassam avaient l’intention d’enlever les soldats, ce qui a incité le commandement de la division de Gaza de l’armée israélienne à mettre en œuvre la directive Hannibal, une directive militaire israélienne controversée qui ordonne de tuer ses propres troupes plutôt que de les laisser devenir des captifs.
La révélation de la chaîne israélienne a relancé un débat de longue date sur le refus de Tel-Aviv de reconnaître ses pertes humaines dans les opérations de résistance palestinienne, en particulier parmi son propre personnel militaire. L’establishment sécuritaire israélien est déterminé à promouvoir auprès de ses adversaires l’idée que ses soldats ne meurent pas à la guerre.
Un exemple poignant de ce déni est l’opération martyre menée par le combattant de la résistance Ahmed Kassir le 11 novembre 1982, au quartier général du gouverneur militaire à Tyr, dans le sud du Liban. À ce jour, Israël n’a pas officiellement reconnu que l’attentat a coûté la vie à 141 de ses soldats.
Des décennies plus tard, Israël continue d’attribuer à tort l’explosion à une fuite de gaz ou à une erreur structurelle qui a conduit à l’effondrement du bâtiment, « malgré des preuves convaincantes qu’il s’agissait en fait du premier attentat suicide dans la région », a noté Haaretz la semaine dernière.
Un autre incident très médiatisé a été révélé dans un rapport exclusif de The Cradle en 2021, dans lequel une source de sécurité régionale de haut niveau a révélé qu’une opération ciblée menée à Erbil, en Irak, avait tué deux commandants américains et israéliens en représailles aux assassinats du général Qassem Soleimani, de la force iranienne Quds, et Abu Mahdi al-Muhandes, commandant adjoint irakien du Hashd al-Shaabi.
Cependant, les Américains et les Israéliens ont affirmé que la mort de leurs officiers supérieurs respectifs n’était « pas liée au combat » – et pas à Erbil. Le colonel israélien Sharon Asman, âgé de quarante-deux ans, un combattant qui a combattu à Gaza et au Liban et qui aurait pris le commandement de la brigade d’infanterie Nahal quelques jours seulement avant sa mort, serait plutôt mort en Israël après s’être effondré lors d’un entraînement.
Le déni et la désinformation continus de Tel-Aviv concernant ses pertes militaires ne peuvent pas persister indéfiniment. En novembre 2022, Israël a été contraint de rouvrir l’enquête sur l’opération Tyr. Le Jerusalem Post a rapporté que l’armée et l’agence de renseignement du Shin Bet « rouvriront l’enquête sur la première catastrophe de Tyr, en utilisant de nouvelles technologies », ajoutant que l’incident était rouvert « par respect pour les victimes et dans la poursuite de la vérité ».
En 2019, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a dévoilé de nouveaux détails sur le meurtre de 12 soldats israéliens par son unité de commando naval Shayetet 13 lors d’une embuscade en 1997 dans la ville d’Ansariyeh, dans le sud du Liban.
Les familles des soldats décédés étaient furieuses et ont exigé que les chefs de l’opération militaire israélienne ratée – dont le nom de code est Willow Song [Le Chant du Saule] – soient tenus responsables. Ils ont réfuté avec véhémence les affirmations des autorités israéliennes selon lesquelles la « catastrophe » aurait été causée par une erreur technique dans les engins explosifs des soldats.
« Non lié au combat »
Malgré le contrôle oppressant sur l’information imposé par l’armée israélienne, des lapsus occasionnels continuent de se produire, révélant des pertes humaines longtemps tenues secrètes. En mai 2022, l’ancien ministre de la Sécurité intérieure Omer Bar-Lev a révélé que l’officier Barak Sharabi, de l’unité Sayeret Matkal, avait été tué lors d’une opération de sécurité en Syrie en 1984, contrairement aux affirmations des autorités selon lesquelles il était mort dans un accident de voiture.
Dans un autre lapsus antérieur, tout en félicitant les gardes-frontières israéliens sur les réseaux sociaux pour leur succès dans le meurtre de combattants palestiniens à Jénine, Bar Lev a adressé ses condoléances aux familles des soldats israéliens morts dans les opérations. Le problème pour lui était que l’armée israélienne n’avait admis qu’une seule victime au combat, celle d’un commandant de l’unité spéciale Yamam qui, selon eux, avait simplement été « blessé ».
Anwar Saleh, un expert des affaires israéliennes, affirme que cette stratégie israélienne est ancienne et s’applique à toutes les confrontations de Tel-Aviv dans la région. À titre d’exemple, il cite une divulgation d’archives israéliennes de 2021 qui a révélé que le nombre réel de morts des frappes de missiles irakiens de 1991 sur Israël était près de cinq fois supérieur au chiffre officiel.
Alors que pendant la guerre du Golfe, les autorités israéliennes ont annoncé 3 morts suite à des frappes de missiles, le média hébreu Yedioth Ahronoth a rapporté en 2021 qu’en fait, 14 Israéliens étaient morts dans les bombardements. Comme l’indique un rapport de Human Rights Watch (HRW) sur les frappes :
« Les statistiques officielles israéliennes doivent être traitées avec prudence. Des journalistes basés en Israël ont déclaré à MEW (Middle East Watch) que les chiffres fournis par les autorités avaient changé au cours de la guerre sans raison apparente. Les totaux cumulés émis par différents organismes (…) étaient souvent en désaccord les uns avec les autres et ne peuvent toujours pas être entièrement rapprochés. »
Saleh attribue la politique du secret de Tel-Aviv à l’impact psychologique de ces morts sur la société israélienne. Il dit à The Craddle :
« Israël est très sensible à la reconnaissance des pertes humaines, il a donc établi un système médiatique hautement discipliné, complètement soumis au récit de l’armée. Les soldats doivent s’habituer à entendre la phrase : « Il a terminé la mission et est rentré chez lui en toute sécurité », afin de maintenir la confiance de la communauté dans l’establishment sécuritaire. »
Ce comportement est devenu un sujet de railleries pour les nouvelles cellules de résistance armée de Cisjordanie. Les déclarations de groupes tels que Lion’s Den et la Brigade de Jénine confirment les pertes infligées aux forces israéliennes etne se gênent pas pour se moquer :
« Et que l’ennemi [Israël] annonce leurs morts dans des accidents de la route, des chutes d’arbres et des aventures d’escalade des montagnes du Népal. »
Manipulation des médias
Une analyse rapide des médias israéliens révèle une série de soldats tués dans des « accidents ». En 2017, par exemple, la septième chaîne israélienne a rapporté que six soldats avaient été tués dans diverses circonstances au cours du seul mois de juin.
Ces incidents comprenaient des accidents de voiture, des morts subites pendant l’entraînement, la mauvaise manipulation d’armes à feu et des suicides. De même, en 2016, dix incidents similaires impliquant des soldats ont été enregistrés, la plupart se produisant sur les hauteurs du Golan syrien occupé.
En 2021, les médias israéliens ont rapporté le meurtre de l’officier du renseignement Yehuda Cohen par des « hommes armés non identifiés » au Mexique. Quelques semaines plus tard, d’autres médias régionaux ont affirmé qu’il était mort dans une attaque iranienne contre un centre du Mossad au Kurdistan irakien, au cours de laquelle plusieurs officiers israéliens auraient été tués et blessés.
En 2022, la presse israélienne a rapporté qu’un officier de l’unité antiterroriste nationale Yamam, Nikolai Wodubenko, qui avait participé à des opérations contre des combattants de la résistance en Cisjordanie, avait été tué dans un accident de voiture à Jérusalem.
Pendant les 5 jours de l’opération palestinienne « Vengeance des Hommes libres » et ses conséquences immédiates – du 10 au 17 mai – on a constaté une augmentation du nombre de victimes « accidentelles » dans les troupes israéliennes.
Il s’agit notamment d’un accident de voiture près de la colonie de Givat Zeev qui a fait trois morts, une personne tombant d’un balcon à Ashdod, deux corps retrouvés dans les colonies de Bnei Barak et Holon, un motocycliste tué dans un accident de voiture dans la colonie de Netivot, un accident d’avion en Haute-Galilée qui a fait un mort et deux blessés, et un mort et neuf blessés à cause d’une fuite de gaz dans un restaurant à Beer Sheva.
Selon Ayman al-Rafati, spécialiste des affaires israéliennes, ces incidents portent de sérieuses indications que la résistance a infligé de lourdes pertes humaines parmi les soldats et les colons. Il explique à The Cradle :
« Ce n’est pas un hasard si, à chaque escalade, nous assistons à une augmentation du nombre de victimes de tels incidents. Israël alimente au goutte-à-goutte ses pertes humaines, au milieu d’un contrôle strict. Reconnaître les pertes causées par la résistance soulèvera des doutes quant à l’efficacité des systèmes de défense pour lesquels l’establishment de la sécurité a dépensé des milliards de l’argent des contribuables. »
Projeter une fausse image
Depuis 75 ans, Israël s’emploie à consolider l’image puissante de son armée, dans l’esprit de ses citoyens et de ses opposants, comme « un Dieu qui peut tuer qui Il veut sans subir la moindre égratignure », raconte Hassan Abdo, spécialiste des affaires israéliennes à The Craddle :
« Les pertes humaines annoncées par l’establishment de la sécurité sont généralement contraignantes pour des centaines d’institutions médiatiques, et celles-ci sont autorisées à travailler essentiellement selon cette règle. Le nombre de morts provient toujours d’une seule source, et personne ne le remet en question. »
Abdo attribue cela à la préservation de l’image du soldat israélien invincible, « qui n’est pas victime d’un adversaire faible et primitif ». C’est « l’un des principaux piliers du projet sioniste basé sur le tripartite sécurité, immigration et implantation », ajoute-t-il.
Cependant, la capacité à cacher les pertes a été relativement faible ces dernières années avec la croissance rapide des réseaux sociaux. Pendant la guerre de 2014, des dizaines de vidéos ont diffusé des destructions causées par des tirs de missiles dans un certain nombre de villes israéliennes, ce qui a conduit des analystes militaires israéliens à accuser le gouvernement et l’armée de mentir sur le nombre de pertes humaines.
Avec l’influence croissante de la couverture des réseaux sociaux et un examen externe accru, il devient de plus en plus difficile de dissimuler les faits sur l’ampleur de ces pertes.
Les dénégations douteuses de Tel-Aviv, associées au nombre disproportionné de morts palestiniens dans ces conflits, soulignent une réalité gênante : la vérité devient souvent la première victime en temps de guerre.
Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR - relecture Chris