Partager la publication "L’Israël que vous avez connu n’a pas disparu, il n’a jamais existé"
Nasim Ahmed, 20 décembre 2022. La guerre d’Israël contre la Palestine ne se limite pas au champ de bataille. Elle est également menée dans les médias, et nulle part ailleurs de manière aussi évidente que dans le New York Times. Longtemps considéré dans le secteur comme un « journal de référence » national, son bilan en matière de couverture impartiale de l’occupation militaire brutale d’Israël et de la prise de contrôle de la Palestine laisse beaucoup à désirer. Bien que largement considéré comme un journal de gauche, les pages du NYT ont été utilisées pour blanchir les crimes israéliens. Par exemple, lorsqu’Amnesty International a publié son rapport historique selon lequel Israël pratique l’ « apartheid », le journal a mis près de deux mois à rendre compte de ses conclusions.
Le black-out du NYT a suscité des critiques virulentes. Ayant la réputation d’être l’un des journaux les plus prestigieux et les plus en vue du monde, le fait d’ignorer les conclusions d’une organisation aussi prestigieuse qu’Amnesty International – un groupe que le journal cite régulièrement pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans d’autres pays qu’Israël – montrait clairement que le « journal de référence » refusait délibérément de remettre les pendules à l’heure lorsqu’il s’agissait de rendre compte de l’État d’apartheid.
Peu de personnes dans la hiérarchie du NYT ont été plus critiquées que Thomas Friedman. Le chroniqueur le plus connu du journal sur le Moyen-Orient, Israël et la Palestine, en a exaspéré plus d’un au fil des ans avec ses analyses. Encourageant l’invasion américaine de l’Irak en 2003, le cadrage conceptuel orientaliste de Friedman sur la région a même fait l’objet d’une thèse de doctorat qui a dénoncé les préjugés sous-jacents qui sous-tendent les opinions de l’un des commentateurs les plus influents des États-Unis.
Malgré les critiques, personne ne contestera que le NYT est un baromètre qui permet de jauger l’orientation de l’opinion publique américaine sur Israël et la Palestine. Il peut être lent à réagir, et la position éditoriale du journal peut prendre plus de temps que prévu pour reconnaître la sinistre réalité de l’occupation israélienne, mais c’est néanmoins un indicateur aussi bon que n’importe quel autre pour mesurer l’opinion de l’écrasante majorité des libéraux américains sur Israël et la Palestine.
L’écart entre la réalité de l’occupation militaire brutale d’Israël et la représentation qu’en font les médias a toujours été une source d’exaspération. Le livre de Greg Philo et Mike Berry, Bad News From Israel, [Mauvaises nouvelles d’Israël, ndt] publié en 2004, n’est qu’un des nombreux ouvrages qui exposent les préjugés des médias qui, pendant des décennies, ont perpétué un récit falsifié sur Israël. Au cours des presque deux décennies qui se sont écoulées depuis, il semble que l’écart entre la réalité et la représentation médiatique se soit réduit dans une certaine mesure.
Un consensus continu au sein de la communauté internationale des droits de l’homme sur la pratique de l’apartheid par Israël, une enquête imminente de haut niveau sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité israéliens, notamment par la Cour pénale internationale (CPI), la montée des ultranationalistes d’extrême-droite israéliens, ne sont que quelques-unes des raisons pour lesquelles des publications comme le New York Times doivent ajuster leur position sur Israël et la Palestine.
Plusieurs articles récents, y compris un éditorial du NYT, suggèrent que le journal a ajusté sa position pour présenter un récit qui est un reflet plus honnête de la réalité. L’article intitulé « The Ideal of Democracy in a Jewish State Is in Jeopardy » (L’idéal de la démocratie dans un État juif est en danger) est le dernier d’une série d’articles qui semblent briser les mythes libéraux sur l’État d’Israël. Publié ce week-end, l’article rédigé par le comité de rédaction du New York Times lance un avertissement sévère sur la menace que représente le gouvernement israélien actuel. S’exprimant en tant qu’ami d’Israël, le comité de rédaction déplore que les partis ultranationalistes dirigés par Benjamin Netanyahu constituent une « menace significative » non seulement pour Israël mais aussi pour l’idée d’une « patrie juive ».
Il n’est pas surprenant que la principale préoccupation du comité soit le coup fatal porté par les ultranationalistes israéliens à la solution à deux États. « La position du gouvernement pourrait rendre militairement et politiquement impossible l’émergence d’une solution à deux États », a déclaré le comité de rédaction du NYT. Exhortant l’administration du président Joe Biden à ne pas accepter cette issue, le NYT a déclaré que la Maison Blanche « devrait faire tout ce qu’elle peut pour exprimer son soutien à une société régie par l’égalité des droits et l’État de droit en Israël, comme elle le fait dans les pays du monde entier. Ce serait un acte d’amitié, cohérent avec le lien profond entre les deux nations. »
L’article de samedi reflète une profonde inquiétude au sein du New York Times quant à l’orientation d’Israël. Il a été publié deux jours après un autre article, cette fois par Friedman, le principal chroniqueur du journal. « Qu’est-ce qui se passe en Israël ? » demandait Friedman, faisant écho au sentiment du conseil d’administration du journal. Il poursuit en disant que « la perspective d’une solution à deux États a pratiquement disparu. Mais personne ne veut la déclarer officiellement morte et enterrée – car l’exclure catégoriquement aurait d’énormes ramifications. Ainsi, les diplomates, les politiciens et les organisations juives libérales prétendent que son cœur bat encore faiblement. »
Un mois avant que Friedman ne publie ses lamentations sur Israël, il a écrit un autre article dans le NYT, commentant sa prise de conscience que « L’Israël que nous connaissions n’existe plus » Révélant son anxiété quant à la formation d’un gouvernement israélien d’extrême-droite, il poursuit en disant : « Alors que cette réalité auparavant impensable s’installe, une question fondamentale va agiter les synagogues en Amérique et dans le monde entier : « Dois-je soutenir cet Israël ou ne pas le soutenir ? » ». Cette question, dit Friedman, hantera les étudiants pro-Israël sur les campus universitaires et tous ceux qui espèrent maintenir une relation avec l’État d’apartheid.
Rien de tout cela ne devrait bien sûr surprendre quiconque suit de près la question israélo-palestinienne. Israël a toujours été un angle mort pour les partisans libéraux autoproclamés de l’État d’occupation. Leurs hypothèses erronées et leur croyance en leur propre propagande signifient que des gens comme Friedman sont incapables de voir la réalité de la prise de contrôle de la Palestine par Israël pour ce qu’elle est. Friedman reconnaît dans son dernier article que nous nous retrouvons avec « une solution de grand désordre ». Il explique que le désordre total « fera qu’Israël ne sera plus un socle de stabilité pour la région et pour son allié américain, mais au contraire, un chaudron d’instabilité et une source d’anxiété pour le gouvernement américain. »
Ce qui est intéressant dans ces confessions libérales, telles qu’affichées par Friedman et, dans une moindre mesure, par le New York Times – qui, en toute équité, a laissé un espace aux voix critiques sur sa plateforme – c’est l’absence totale de prise en compte des points de vue et des récits colportés pendant des décennies pour assurer la victoire d’Israël dans la guerre médiatique. Leurs fausses hypothèses sur Israël et le sionisme sont la principale raison du choc et de la consternation qui sont devenus trop évidents dans les écrits des partisans libéraux d’Israël dans le New York Times.
Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR
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