Partager la publication "L’UE et Israël pourraient partager les données personnelles des Palestiniens sous occupation"
Yara Alnazer, 28 novembre 2022. Un nouvel accord de partage de données entre Israël et l’agence de maintien de l’ordre de l’Union européenne Europol, qui pourrait inclure les données des Palestiniens sous occupation, ferait que l’agence deviendrait un « informateur ou commencerait à agir comme des services de renseignement », selon Shawan Jabarin, directeur général d’Al-Haq.
Jabarin déclare à Jerusalem24 que le projet d’accord « transcende les limites de toute relation politique [entre Israël et l’UE] au sens politique et juridique. »
« Cela remet en question le rôle de l’Union européenne et de ses institutions, spécifiquement l’institution policière, l’institution politique, et sa coopération avec l’État occupant », dit Jabarin.
Statewatch, une organisation caritative basée au Royaume-Uni qui surveille les libertés civiles en Europe, spécule que la mise en œuvre de tout accord potentiel incomberait au nouveau ministre de la Sécurité nationale et extrémiste d’extrême-droite Itamar Ben-Gvir – un poste auquel il vient d’être nommé avec des pouvoirs élargis – dans le cas où un accord final serait conclu.
« Incompatible avec le droit international »
L’ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, Haim Regev, a rencontré son homologue européen le 14 septembre pour peaufiner un projet d’accord sur le partage des données entre le gouvernement israélien et Europol, en préparation depuis plusieurs années.
L’accord permettrait « l’échange de données à caractère personnel entre l’Agence de l’Union européenne pour la coopération en matière de répression (Europol) et les autorités d’Israël chargées de lutter contre la grande criminalité et le terrorisme », les données à caractère personnel étant définies comme comprenant – sans s’y limiter – « le nom, le numéro d’identification, les données de localisation ou un identifiant en ligne ou à un ou plusieurs facteurs spécifiés à l’identité physique, physiologique, génétique, mentale, économique, culturelle ou sociale de cette personne. »
Bien qu’un accord similaire ait été conclu en 2018, le projet actuel inclut potentiellement l’accès aux données personnelles de toute personne se trouvant en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est – tant les colons israéliens que les Palestiniens sous occupation. Europol serait censé autoriser au préalable toute utilisation qu’Israël fait de ces données, mais Israël conserverait le droit de contourner le consentement en cas d’ « urgence ».
Le projet d’accord actuel « est incompatible avec le droit international », déclare Jabarin, « et est également incompatible avec les déclarations et la position de l’UE qui n’a pas encore reconnu la souveraineté d’Israël sur Jérusalem ni la légitimité des colonies illégales. »
Conformément à un accord de 2014 permettant à Israël de participer au programme de financement de la recherche de l’UE – le premier pays non membre de l’UE à y être invité – aucun accord bilatéral ne s’applique « aux zones géographiques qui sont passées sous l’administration de l’État d’Israël après le 5 juin 1967. »
« Agir comme une sorte d’informateur »
Jabarin souligne qu’en tant que puissance occupante, Israël « n’a aucune souveraineté légale » sur la Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est.
« Lorsque l’UE s’engage avec la puissance occupante en tant qu’organe souverain et négocie des accords relatifs aux territoires occupés concernant des informations sur la sécurité et d’autres données non sécuritaires, cela implique, politiquement, qu’Israël est souverain sur les territoires occupés », explique Jabarin.
Il soulève également la question de savoir si l’on peut faire confiance à une puissance occupante « qui commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité » pour offrir des « informations correctes et précises » sur les populations sous occupation, et suggère que l’UE coopère plutôt avec des organisations locales.
Jabarin craint également qu’à la lumière d’un tel échange de données, « la mission de police européenne en Palestine devienne une sorte d’informateur ou commence à agir comme un service de renseignement, travaillant sur la base de règles arbitraires », plutôt que de fonctionner comme un auxiliaire. Depuis 2006, l’UE dirige une mission de police en Palestine (EUPOL COPPS), par laquelle elle apporte son soutien à la police palestinienne pour renforcer ses capacités techniques.
Un des objectifs de Lapid
L’ambassadeur israélien auprès de l’UE, Haim Regev, a célébré sur son compte twitter la réunion de septembre, qualifiant l’accord d’ « étape importante dans le renforcement de la coopération entre Israël et l’UE ».
Selon le Jerusalem Post, le renforcement de la coopération avec l’UE avait été « l’un des objectifs fixés par le Premier ministre Yair Lapid lors de la formation du gouvernement sortant l’année dernière ».
Le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a critiqué le projet et l’a qualifié de « attaque contre le droit international » et de « plus que scandaleux ». Al-Maliki a également critiqué la présidente de la CE Ursula von der Leyen pour avoir « accepté de négocier selon de tels paramètres [en] violation flagrante du droit international », et a déclaré que ses actions impliquaient une « complicité internationale ».
Pas de consensus
Bien que les médias israéliens aient rapporté en septembre que la police israélienne avait « conclu » l’accord, le ministre sortant de la sécurité publique Omer Bar-Lev ayant déclaré qu’il était « important de finaliser les longues négociations » alors que son mandat touche à sa fin, le texte actuel n’est qu’un projet et n’a pas été ratifié.
Treize pays de l’UE s’opposent à l’accord dans sa forme actuelle.
Étant donné que l’UE adopte ses décisions par consensus et non à la majorité, les chances que le projet actuel soit approuvé sont faibles. Toutefois, « le fait que cette clause soit déjà préparée dans cette direction est un scandale pour la Commission européenne », déclare M. Jabarin.
Article original en anglais sur Jerusalem24 / Traduction MR