Partager la publication "Israël peut désormais retirer la citoyenneté des Palestiniens de 48"
Lana Tatour, 25 juillet 2022. La semaine dernière, dans une décision faisant jurisprudence, la Cour suprême d’Israël a jugé que l’État avait le pouvoir de révoquer la citoyenneté d’une personne condamnée pour des infractions assimilables à un « manquement à la loyauté », même si cette personne devenait de ce fait apatride, et en violation du droit international.
La décision a été prise sur le cas d’Alaa Zayoud, un Palestinien qui détient la citoyenneté israélienne. En octobre 2015, Zayoud a foncé avec sa voiture dans une gare routière et a poignardé trois Israéliens. En 2017, un an après sa condamnation, le ministre de l’intérieur a notifié à Zayoud son intention de révoquer sa citoyenneté, conformément à la loi sur la citoyenneté.
Le tribunal administratif de Haïfa a approuvé cette décision. Zayoud a fait appel et l’affaire s’est retrouvée devant la Cour suprême.
Dans sa décision, la Cour suprême a déterminé que : « Aucun vice constitutionnel dans l’arrangement qui permet la révocation de la citoyenneté d’une personne qui a commis un acte qui constitue un manquement à la loyauté envers l’État d’Israël, tel que : un acte de terrorisme ; un acte de trahison ou d’espionnage grave ; ou l’acquisition de la citoyenneté ou du droit de résidence permanente dans un État hostile ou en territoire hostile.
« Il en est ainsi, même si à la suite de la révocation de sa citoyenneté, l’individu devient apatride, sous réserve que si l’individu devient apatride, le ministre de l’Intérieur lui accorde un statut de résidence permanente en Israël ou un autre statut désigné. »
Il ne faut pas sousestimer l’importance de cette décision. Ses implications sont graves et se manifesteront tôt ou tard. Cette décision crée une voie légale pour révoquer la citoyenneté des Palestiniens de 48 (également connus sous le nom de citoyens palestiniens d’Israël), un nouvelle étape dans les démarches d’Israël pour faire progresser le nettoyage ethnique et l’expulsion des Palestiniens.
Intention terroriste
Sur le plan pratique, la Cour a ouvert la voie à ce qui deviendrait la dénaturalisation systématique des Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne, les rendant vulnérables à l’expulsion, ce à quoi Israël aspire depuis longtemps.
La décision de remplacer la citoyenneté par un statut dit « de résidence permanente » peut permettre aux individus de continuer à avoir accès à certains services sociaux, mais elle les prive de la plus grande protection que la citoyenneté est censée accorder : le droit de rester chez soi.
Israël sait que pour rendre les Palestiniens de 48 vulnérables à l’expulsion, il doit d’abord révoquer leur citoyenneté. C’est ce que facilite la décision de la Cour.
Et c’est Israël et ses services de sécurité qui définissent ce qui constitue un « manquement à la loyauté », qui, selon la loi sur la citoyenneté, crée les motifs de révocation de la citoyenneté. Pour l’instant, Israël définit un « manquement à la loyauté » sur la base de la loi antiterroriste israélienne, qui lui permet de classer différentes infractions comme des actes terroristes.
Israël applique couramment l’« intention terroriste » lorsqu’il s’agit de Palestiniens. Par exemple, à la suite de l’Intifada de l’Unité de mai 2021, Israël a arrêté des milliers de Palestiniens et déposé des actes d’accusation contre des centaines de manifestants, dont 167 ont été accusés d’infractions terroristes, sur la base de la loi antiterroriste.
À la suite de la récente décision de la Cour suprême, tous ces manifestants risquent de se voir retirer leur citoyenneté. Les Palestiniens ne savent que trop bien ce que cela pourrait signifier : l’expulsion de leur patrie.
L’acte de révocation de la citoyenneté laisserait les Palestiniens concernés apatrides. Israël a déjà rendu tous les Palestiniens apatrides en 1948 avec l’annulation de la citoyenneté palestinienne sous le mandat britannique. De nombreux Palestiniens restent apatrides. Les Palestiniens qui sont restés après la Nakba (la Catastrophe) de 1948 ont reçu la citoyenneté israélienne au cours des deux premières décennies de l’État.
Aujourd’hui, Israël menace de les rendre à nouveau apatrides.
Bien que cette décision viole clairement le droit international, le tribunal a tout de même déterminé qu’il était constitutionnel de dénaturaliser les Palestiniens, en déclarant – à tort – que la condition d’apatridie pouvait être corrigée par l’extension de la « résidence permanente en Israël ou un autre statut désigné ».
Un plan secret
L’expérience des habitants de Jérusalem nous apprend qu’il n’y a rien de permanent dans la « résidence permanente » lorsqu’il s’agit des Palestiniens. Depuis 1967, Israël a régulièrement révoqué la résidence des Jérusalémites, les bannissant effectivement de façon permanente de leur ville et de leurs maisons. Jusqu’à présent, plus de 15.000 résidences ont été révoquées, dans le cadre des démarches continues pour éliminer les Palestiniens de la ville.
Israël n’a jamais fait la paix avec l’existence de ses citoyens palestiniens. Il a poursuivi des plans d’expulsion massive des Palestiniens de 48 au cours de sa première décennie. Le massacre de Kafr Qasim en octobre 1956, au cours duquel l’armée a exécuté 51 Palestiniens, faisait partie d’un plan secret plus vaste, appelé « opération Hafarperet », visant à évincer la population palestinienne du Petit Triangle.
En outre, au début des années 1950, Israël a tenté de faire avancer un plan d’expulsion de 10.000 Palestiniens de sept villages de Galilée, ainsi que d’autres plans de réinstallation de Palestiniens en Argentine et au Brésil.
La volonté d’expulsion des Palestiniens persiste. Elle réapparaît dans le paysage public et politique israélien au cours des années 1980 avec la montée en puissance de Meir Kahane, un rabbin nationaliste ultra-orthodoxe d’origine américaine, et de son parti fasciste, Kach. Kach prône la dénaturalisation des citoyens palestiniens et leur transfert, ainsi que l’expulsion des Palestiniens dans les territoires occupés de 1967.
Depuis les années 2000, des efforts importants ont été déployés pour rendre la citoyenneté des Palestiniens plus facilement révocable. Les plans proposés pour réduire le nombre de citoyens palestiniens font désormais partie intégrante du discours politique israélien dominant et sont soutenus par la majorité du public israélien.
Nous avons vu des appels exigeant que les Palestiniens de 48 signent un serment d’allégeance à l’État israélien en tant qu’État juif, l’adoption de l’État-nation du peuple juif en 2018 et l’avancement de ce que l’on appelle le plan « d’échange de population » – le transfert prévu des villages du Petit Triangle et de leurs 300.000 résidents estimés vers « l’État palestinien » contre la volonté des Palestiniens de ces régions.
Instrument de sumud
Ces dernières années, Israël a révoqué la citoyenneté des Bédouins palestiniens du Naqab (Néguev), ce qui semble être un test pour un projet plus large de dénaturalisation des citoyens palestiniens. En 2010, le ministère de l’Intérieur a entamé un examen du statut de la citoyenneté des Bédouins.
Son rapport a conclu que des milliers de Bédouins avaient été enregistrés à tort comme citoyens. Par la suite, Israël a dénaturalisé des centaines de Bédouins dans le Naqab (Néguev), les rendant ainsi apatrides.
Ce n’est pas une coïncidence si Israël a commencé par les Bédouins – la population la plus vulnérable et la plus marginalisée parmi les Palestiniens de 48 (vidéo)
Ce n’est pas un secret qu’Israël veut voir tous les Palestiniens, y compris ceux de 48, disparaître. Même si ces derniers ont obtenu la citoyenneté israélienne, Israël les considère comme des invités dont la présence n’est pas seulement indésirable, mais toujours conditionnelle.
Israël voit dans leur citoyenneté un geste, pas un droit – et les gestes peuvent toujours être annulés – comme l’a dit l’ancien ministre israélien des Transports, Bezalel Smotrich : « Nous sommes les propriétaires de cette terre. Cette terre appartient au peuple juif depuis des milliers d’années. Dieu nous a promis toute la terre d’Israël, une promesse qu’il a tenue. Nous avons juste été le peuple le plus hospitalier du monde depuis l’époque d’Abraham et donc vous êtes toujours là. Du moins pour le moment. »
Nous devons voir les choses telles qu’elles sont : Israël travaille pas à pas à créer des voies légales pour rendre possible la dénaturalisation, et donc l’expulsion, des Palestiniens de 48. Pour eux, la citoyenneté israélienne a été un instrument de sumud, ou de ténacité inébranlable.
Elle garantit – pour la plupart – leur présence continue dans leur patrie. Pour les Palestiniens de 48, la citoyenneté est synonyme de survie.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR
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