Partager la publication "Histoires inédites des Palestiniennes dans les prisons israéliennes"
Wafa Aludaini, 18 juin 2022. Le mois de mars est particulièrement difficile pour les femmes palestiniennes détenues dans les prisons d’occupation israéliennes : La Journée internationale de la Femme et la Fête des Mères dans le monde arabe tombent toutes deux durant ce mois. « C’était très difficile, parce que nous avons vu à la télévision la célébration des femmes et les histoires de leurs luttes. Pourtant, personne n’a parlé des femmes détenues dans les prisons israéliennes. Nous nous sommes senties oubliées », m’a confié Nisreen Abu Kmail, une ancienne prisonnière. « Pour la fête des mères, 22 d’entre nous étaient des mères, alors nous nous sommes souvenues de nos enfants ».
Les jeunes filles de la prison avaient prévu une fête surprise dans la cour de la prison pour honorer les mères emprisonnées à leurs côtés, comme Nisreen, avec de petits objets artisanaux et des cadeaux simples achetés à la cantine, mais les gardiens ont saisi les cadeaux et annulé l’événement. « Nous essayons de transmettre du bonheur et de la joie dans les cellules par tous les moyens, malgré les actions délibérément cruelles dont nous faisons l’objet », a déclaré Nisreen.En octobre 2015, Nisreen a reçu un appel téléphonique du service des renseignements de l’occupation israélienne la convoquant à un poste de contrôle du nord de la bande de Gaza pour récupérer un permis de voyage pour son mari. Dès qu’elle est arrivée au poste de contrôle, elle est tombée dans une embuscade des forces d’occupation, qui l’ont placée dans une salle d’interrogatoire. « Ils m’ont frappée à coups de crosse de fusil directement sur la poitrine. L’interrogatoire était si dur », a-t-elle déclaré. Finalement, cette mère de sept enfants a été accusée d’espionnage pour des groupes de résistance palestiniens. « J’ai refusé toutes les accusations, et ils n’ont pas de preuves ». Elle a été condamnée à six ans de prison.
Loin du regard des médias internationaux, 32 femmes palestiniennes sont actuellement des prisonnières politiques qui croupissent dans les prisons d’occupation israéliennes, selon Addameer, une ONG palestinienne qui surveille le traitement des prisonniers palestiniens et offre un soutien juridique. Derrière les murs de Hasharon et Damon en Israël attendent des mères, des étudiantes, des journalistes et des enseignantes. Des enfants grandissent même dans les prisons ; Addameer affirme qu’il y a actuellement quelque 170 enfants palestiniens dans le système carcéral israélien.
Les histoires les plus courantes que l’Occident entend au sujet de l’occupation israélienne de la Palestine ont pour titre : frappes aériennes et cessez-le-feu, bilan des morts civiles et pourparlers de paix. Bien qu’aux Etats-Unis la position du Parti démocrate sur l’occupation israélienne soit en train de se fracturer, la gauche progressiste ayant récemment comparé la cause palestinienne aux mouvements de justice raciale et dénoncé les ventes d’armes à Israël, le président Biden n’a fait que des gestes symboliques pour reconstruire la relation des États-Unis avec les Palestiniens. Les histoires de femmes comme Nisreen, pour qui la détention de masse définit la vie quotidienne sous l’occupation, sont rarement relatées aux États-Unis.
En tant que journaliste dans la bande de Gaza, j’ai parlé à d’anciens prisonnières, à des familles de prisonnières et à des ONG palestiniennes pour me faire une idée plus précise de la vie de ces femmes, dont les récits longs et difficiles démontrent l’héroïsme tranquille de la survie. Comme me l’a dit Nisreen, « être piégée dans ll’impitoyable système carcéral israélien nous submerge rapidement et dévore férocement nos vies. »
Vivre en enfer : les conditions d’incarcération
Selon Addameer, Israël a arrêté plus de 16.000 femmes palestiniennes depuis 1967, et de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ont documenté les traitements cruels et dégradants auxquels sont soumises les Palestiniennes détenues par Israël, notamment la torture, les humiliations sexuelles, le refus des visites familiales, l’isolement cellulaire, les soins médicaux insuffisants ou inexistants et le manque d’éducation. À Damon, Nisreen a enduré ce qu’elle appelle « un enfer ».
« Les murs sont très froids, la majorité des pièces mal ventilées, humides et infestées d’insectes », se souvient-elle. « Le bâtiment est vieux, beaucoup de portes sont rouillées à cause de l’humidité. Il n’y a pas de chaises dans les cellules, et l’administration pénitentiaire empêche les femmes de recouvrir le sol de couvertures. » Chaque cellule était équipée d’un chauffe-eau, d’une cuisinière électrique, d’une télévision, d’une radio et de toilettes ouvertes. Les lits étaient des lits superposés, et il arrivait que les femmes en tombent, subissant des fractures ou des os cassés qui étaient ignorés ou insuffisamment traités. L’eau était contaminée, ce qui obligeait les femmes à acheter de l’eau minérale à la cantine de la prison.
Nisreen et d’autres prisonnières libérées auxquelles j’ai parlé se sont souvenues que les prisonnières se rassemblaient dans une cour pendant les pauses, où elles étaient surveillées par deux gardiens et des caméras. Sous cette surveillance, elles ne pouvaient pas faire de l’exercice librement ou s’exposer au soleil ; beaucoup de femmes emprisonnées sont des musulmanes qui portent le hijab, et la surveillance par des gardiens de prison masculins constituait donc une atteinte à la vie privée. La cour n’était pas couverte, donc lorsqu’il pleuvait ou qu’il faisait trop chaud, les femmes étaient privées de ces quelques heures d’air frais. Les détenues n’avaient pas le droit de s’asseoir en groupe, de pratiquer des travaux manuels et de disposer de matériel éducatif.
« Nous avions l’impression de geler en hiver, et pourtant ils ne nous autorisaient pas à avoir une couverture supplémentaire ou de couvrir le sol avec des tapis », m’a dit une ancienne prisonnière, Fatima Azziq. « Quelquefois, ils interdisaient de faire entrer des livres et des stylos. »
Les détenues qui viennent d’être libérées font souvent état d’une forte intimidation de la part des gardiens et de l’administration pénitentiaire à l’égard des femmes détenues. En raison de leur isolement et du manque d’organisations de défense disponibles pour contester les pratiques de gestion de la prison, la capacité des femmes à réagir aux injustices permanentes dans la prison a été fortement réprimée. Lorsqu’elles ont organisé une manifestation à l’intérieur de la prison, elles ont été immédiatement réprimées par les gardiens.
Ces femmes ont accès à des avocats. Elles peuvent faire appel de leur condamnation. Mais les autorités israéliennes traînent les pieds sur les questions juridiques, et même si les affaires arrivent devant les tribunaux, les femmes ne font pas confiance aux procédures des tribunaux d’occupation israéliens.
Quoi qu’il en soit, dit Nisreen, il arrive que les femmes se sentent soulagées lorsque l’autorité israélienne refuse une demande d’aller au tribunal, « car cela signifie au moins que nous n’avons pas à vivre le cauchemar du bosta. » Le véhicule de transport pénitentiaire israélien, connu sous le nom de bosta, est tristement célèbre pour ses ouvertures obstruées, ses espaces étroitement divisés avec des chaises en métal auxquelles les prisonniers sont enchaînés, ainsi que pour les humiliations et les brimades que les détenus subissent de la part des gardes et des prisonniers israéliens en cours de route. Ces trajets peuvent durer 12 heures ou plus, menottés, sans arrêts de repos, sans nourriture, ni pauses toilettes. « Certaines prisonnières préfèrent endurer la douleur plutôt que de passer par Bosta pour se rendre à l’hôpital de la prison », a déclaré Nisreen.
Négligence médicale dans les prisons
Tout récemment, en mai 2022, la détenue palestinienne Israa Jaabis s’est encore vu refuser une intervention chirurgicale dont elle a besoin de toute urgence pour l’aider à respirer par le nez. Le 11 octobre 2015, Israa transportait des articles ménagers vers sa nouvelle maison près de son lieu de travail à Jérusalem. En ce jour fatidique, elle transportait une bouteille de gaz dans la voiture, selon sa sœur Mona Jaabis. Alors qu’elle se dirigeait vers un poste de contrôle israélien, la bouteille de gaz s’est enflammée. L’airbag de la voiture s’est activé, provoquant une explosion. Israa est sortie en courant de la voiture, appelant à l’aide la police israélienne qui tenait le poste de contrôle. Mais la police a appelé d’autres personnels de sécurité et a obligé Israa d’entrer dans la voiture en feu, ce qui lui a causé de graves brûlures qui ont énormément affecté sa mobilité. Elle a été arrêtée et condamnée à 11 ans de prison pour tentative de meurtre ; les autorités israéliennes ont affirmé qu’elle avait intentionnellement fait exploser la voiture. Aucune preuve n’a été présentée et elle a nié avec véhémence les accusations. Elle a dû subir huit interventions chirurgicales d’urgence pour soigner ses brûlures, mais on lui a refusé tout traitement complémentaire en prison pendant l’exécution de sa peine.
« Elle ne respire plus que par la bouche depuis 2015, et les autorités israéliennes continuent de refuser de la soigner », a déclaré Mona. Mère d’un fils âgé de 6 ans au moment de son arrestation, Israa était également étudiante et travaillait avec les personnes âgées. Elle est aujourd’hui âgée de 37 ans. « Elle ne peut pas aller seule aux toilettes, ni se brosser les cheveux, ni même se nourrir », a déclaré Nisreen au sujet d’Israa, qui a été emprisonnée avec elle, après leur arrestation le même mois de la même année. « Nous nous sentons tellement découragées pour elle, et nous ne pouvons rien faire pour l’aider, si ce n’est l’aider à faire ses propres affaires ».
Depuis sept ans, la famille d’Israa continue de faire appel aux autorités israéliennes. Elle est restée gravement défigurée par l’accident, et lorsque son fils lui a rendu visite en prison un an après son arrestation, il ne l’a pas reconnue. « Elle pleurait, elle avait le cœur brisé parce qu’elle ne pouvait pas utiliser sa main pour le tenir ou le toucher afin de le réconforter », a déclaré Mona. Les autorités israéliennes continuent de refuser son opération et ne permettent pas à sa famille ni à aucune organisation extérieure d’intervenir pour lui apporter une aide médicale.
Comme Israa, l’ancienne prisonnière Samar Sobeih, 37 ans, a déclaré que les autorités israéliennes avaient refusé de lui fournir les soins médicaux nécessaires. Tout au long de sa grossesse dans les prisons et après son accouchement, elle se souvient que les gardiens de prison lui disaient : « Tu es une terroriste, et bientôt tu mettras un nouveau terroriste au monde. »
Samar était enceinte d’un mois de son premier enfant lorsqu’elle a été arrêtée par l’armée israélienne à son domicile en 2005. Elle a accouché en détention israélienne, une expérience « très dure et inhumaine », amplifiée par le fait que c’était son premier enfant et qu’elle était séparée de sa famille. Son fils Baraa a été mis au monde par césarienne, tandis que les mains et les pieds de Samar étaient menottés à un lit dans un hôpital israélien. « Baraa a quitté mon ventre pour entrer dans une autre tombe », m’a-t-elle dit.
Selon le Club des prisonniers palestiniens, sept prisonnières gravement blessées et plusieurs autres souffrant de problèmes de santé chroniques sont détenues par l’occupant israélien et souffrent de négligence médicale. Certaines ont besoin d’opérations chirurgicales urgentes et de soins médicaux spéciaux. Les détenues malades à l’intérieur des prisons israéliennes ont recours à des analgésiques et des tranquillisants, selon Addameer et l’Association des droits de l’homme, car l’administration pénitentiaire refuse l’accès aux médicaments provenant de l’extérieur de la prison, que ce soit des familles des prisonniers ou des organisations d’aide palestiniennes. Les prisonnières tombent fréquemment malades pendant leur détention en raison des conditions de vie dans les cellules.
Nisreen décrit plusieurs prisonnières blessées dont la souffrance était également amplifiée par le fait que l’approbation de simples déplacements pour soins prenne des mois. Dans un cas, une femme que Nisreen connaissait en prison a souffert d’une molaire pendant toute une année avant d’être transférée dans le redoutable bosta pour être soignée.
Souvent, après des mois d’attente de l’approbation du traitement, les prisonniers apprennent que leur traitement a été fixé à la même date que les visites familiales prévues, qui sont elles-mêmes souvent difficiles à obtenir. Naturellement, une détenue se sent obligée de choisir de rester pour voir sa famille, auquel cas une note est ajoutée à son dossier pour indiquer qu’elle « refuse le traitement ». Ces retards, d’une nature sadique et inutile, sont une confirmation de plus que l’administration pénitentiaire utilise tous les moyens à sa disposition pour rendre épouvantable la vie des Palestiniennes incarcérées.
Retour à la maison après l’emprisonnement
Lorsque Nisreen a été libérée de la prison de l’occupation en octobre 2021, elle est allée au poste de contrôle militaire d’Erez pour passer à Gaza, chez elle, mais les autorités israéliennes ne lui ont pas permis de passer. Elle a attendu pendant plusieurs jours qu’un permis soit approuvé, dormant la nuit du côté israélien du poste de contrôle tandis que son mari et ses enfants dormaient du côté de Gaza, attendant d’être réunis après six ans de séparation. Au moment de son arrestation en 2015, le plus jeune enfant de Nisreen n’avait que 8 mois, son aîné 11. Pendant toutes ses années d’emprisonnement, les autorités israéliennes ont empêché à plusieurs reprises ses enfants de lui rendre visite. « Lorsque j’ai été libérée, mes enfants pouvaient à peine me reconnaître. Et mon fils de 6 ans ne m’a pas serrée dans ses bras ; il avait l’impression que j’étais une étrangère », a-t-elle dit. « J’ai pleuré. J’avais l’impression que l’occupation m’avait volé non seulement ma liberté mais aussi ma vie entière. »
Baraa, le fils de Samar, était un étranger au monde extérieur à la prison, et il avait peur de tout ce qu’il voyait pour la première fois lorsqu’ils ont été libérés, sa mère et lui. Les caméras de télévision ont filmé les pleurs de l’enfant. « Baraa avait peur des oiseaux et des moineaux qui s’approchaient de lui, car ce n’est pas courant en prison », a déclaré Samar, la voix triste. Samar et Baraa ont passé deux ans emprisonnés ensemble. Aujourd’hui, Baraa a 16 ans, il est en classe de seconde. L’année dernière, il a obtenu une moyenne de 98 % à l’école. Samar est maintenant mère de trois enfants.
Pour ces femmes, les actes de célébration, d’apprentissage, de protestation et de simple maintien dans les prisons représentaient un rejet résolu et une résistance aux conditions oppressives dans lesquelles elles étaient forcées de vivre. Le traumatisme causé par le séjour de Nisreen en prison a laissé des traces durables. Elle dit qu’elle se réveille encore la nuit en pensant qu’un garde va venir compter les prisonnières. Elle vit désormais à Gaza avec sa famille, où elle s’efforce chaque jour de reconstruire sa vie, mais elle porte en elle les femmes toujours emprisonnées qu’elle a laissées derrière elle.
Article original en anglais sur The Palestinian Information Center / Traduction MR
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