Partager la publication "L’expansion violente d’Israël est un processus continu, et pourtant, il ne parvient toujours pas à « finir le travail »"
Joseph Massad, 18 novembre 2025. Le colonialisme de peuplement est un projet sans fin, qui se poursuit jusqu’à son renversement.
La semaine dernière, des colons juifs illégaux ont incendié une mosquée palestinienne à Salfit, dans le nord de la Cisjordanie, et ont tagué ses murs de graffitis racistes. Le même jour, l’armée d’occupation israélienne a abattu deux adolescents palestiniens près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie.

Salfit – La mosquée Hajja Hamida, située entre Kifl Haris et Derastia, au nord-ouest de Salfit, incendiée le 13 novembre par des colons qui ont inscrit des slogans racistes sur ses murs. (Photos Wafa.ps)
Ce faisant, les colons et les soldats perpétuent une vieille tradition sioniste et israélienne.
En effet, l’idéologie du séparatisme racial et le vol de terres qui en découle sont fondamentaux pour le sionisme depuis le début du XXe siècle. Pourtant, les régimes arabes restent impassibles face à ce que tout cela présage pour leur propre avenir.
Certains pays arabes souhaitent ardemment que le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu mettent fin au génocide de Gaza et cherchent déjà à récompenser Israël en normalisant ou en approfondissant la normalisation déjà en vigueur.
Il semble également que l’Algérie, qui n’a pas encore normalisé ses relations avec Israël, souhaite suivre cet exemple, si l’on en juge par son vote lundi au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la recolonisation de Gaza.
Parallèlement, les colons juifs ont intensifié leurs attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie durant la saison des olives : destruction d’arbres, incendies d’entrepôts et attaques contre des tentes bédouines.
Depuis le 7 octobre 2023, Israël et ses colons juifs illégaux ont tué plus de 1.070 Palestiniens en Cisjordanie, en ont blessé 10.700 et en ont enlevé (ou « arrêté », selon la terminologie sioniste) 20.500. Les colons juifs ont, à eux seuls, attaqué des Palestiniens à 7.154 reprises, et ce nombre continue d’augmenter. Les autorités israéliennes poursuivent également la confiscation des terres palestiniennes et l’expulsion de leurs habitants afin de faire place à de nouveaux colons juifs illégaux.
Ces derniers mois, Israël a expulsé 40.000 Palestiniens, rasant des maisons et des quartiers entiers, notamment dans les camps de réfugiés de Jénine et de Tulkarem, détruisant leurs champs et incendiant leurs récoltes.
La semaine dernière, l’Autorité foncière israélienne a envoyé des avis d’expulsion à des Palestiniens vivant au nord de Jérusalem-Est occupée, leur donnant 20 jours pour quitter leurs propriétés. Parmi celles-ci, 130 dounams (environ 13 hectares) près du village de Qalandiya, en Cisjordanie, sont destinés à être confisqués pour la construction d’une nouvelle colonie juive. Déjà, 40 % des terres de Qalandiya sont coupées du reste du village, situées à l’ouest du mur de séparation israélien de 2002 et, de fait, perdues pour leurs propriétaires.
Alors que les Palestiniens de Gaza continuent d’être anéantis par le génocide israélien, qui a fait plus de 250.000 morts et blessés et plus de deux millions de réfugiés, les Palestiniens de Cisjordanie subissent la répression et la violence continues d’Israël, perpétrées par son armée, ses colons et ses collaborateurs de l’Autorité palestinienne (AP), qui participent tous à leur massacre.
Terre et travail
Malgré les condamnations hypocrites des puissances occidentales à l’égard des attaques de colons et leurs critiques timides de l’offensive israélienne contre Gaza, rien de tout cela n’est nouveau dans l’histoire du sionisme et d’Israël. Il s’agit simplement de la continuation des politiques de colonisation de peuplement qu’Israël a toujours menées.
Les deux principes du sionisme, la « conquête de la terre » et la « conquête du travail », ont guidé le mouvement de colonisation de peuplement depuis ses débuts. Des exemples datant d’il y a un siècle, notamment des années 1920, démontrent la persistance de ces efforts coloniaux sionistes et expliquent pourquoi la colonisation de peuplement ne s’achève jamais.
Dès le début des années 1920, la colonisation sioniste s’était déjà transformée en une campagne systématique visant à s’emparer des terres palestiniennes et à en expulser les habitants. Sur le front de la « conquête des terres », le Fonds national juif, bras financier de l’Organisation sioniste, se lança dans une frénésie d’acquisitions foncières, achetant des terres palestiniennes à des propriétaires absents basés à Beyrouth et au Caire et déplaçant des milliers de paysans, qui rejoignirent de plus en plus les soulèvements et les révoltes contre les colons et leurs soutiens britanniques.
La lutte pour les terres dans le village d’Affulah, dans la région de Marj Ibn Amir, qui englobait 22 villages menacés d’expulsion, ainsi que le déplacement planifié des Bédouins palestiniens de leurs terres agricoles et de pâturage (environ 4.000 hectares) dans le Wadi al-Hawarith, constitua un point de tension majeur en octobre 1924.
Ce déplacement fut retardé par leur résistance et leur refus de partir, ainsi que par les décisions attendues des tribunaux du Mandat britannique. Ils furent finalement chassés par les Britanniques en 1933.
Quant à la « conquête du travail » sioniste, elle s’est opérée sous le terme de « travail hébraïque », visant à priver les Palestiniens autochtones d’emploi – d’abord dans les entreprises sionistes et juives opérant en Palestine, puis, sous le mandat britannique, dans tout le pays.
Si les appels et les stratégies visant à imposer le « travail hébraïque » existaient dès les premières années de la colonisation juive, ils s’intensifièrent sous le mandat, lorsqu’une campagne agressive fut lancée pour priver les Palestiniens de travail et les remplacer par des colons juifs.
Ce qui avait commencé par un ciblage des colonies agricoles et des fermes, ainsi que des chantiers de construction urbains, s’étendit à presque tous les secteurs du pays, y compris les ports, les chemins de fer, les carrières et même l’administration du mandat britannique elle-même.
Les ouvriers sionistes, qui dirigeaient les colons juifs en Palestine, notamment par le biais de leur « syndicat » séparatiste, l’Histadrout, organisèrent une campagne de piquets de grève pour harceler les travailleurs palestiniens et leurs employeurs capitalistes juifs, qualifiés de « supplanteurs » et de « cédants » par les sionistes, afin de contraindre ces derniers à embaucher exclusivement des Juifs.
Les employeurs juifs étaient également qualifiés de « traîtres » et faisaient l’objet d’un boycott de la part de la communauté des colons juifs jusqu’à ce qu’ils cèdent et remplacent leurs travailleurs palestiniens, moins chers, par des colons juifs.
Les piquets de grève commencèrent sérieusement en 1927 et se poursuivirent jusqu’en 1936. Ces travailleurs palestiniens étaient en réalité les mêmes paysans qui avaient été expulsés de leurs terres après leur rachat par les sionistes à des propriétaires absents, et qui cherchaient du travail suite à leur expulsion et à la perte de leurs moyens de subsistance.
Mais les colons sionistes, d’une cruauté sans bornes, les persécutèrent sans relâche. À l’instar de leurs homologues noirs sud-africains, victimes d’agressions de la part d’ouvriers blancs quelques années auparavant, les travailleurs palestiniens des plantations d’agrumes ou du secteur de la construction – mobilisés pour bâtir la colonie juive de Tel-Aviv pour leurs colonisateurs juifs – étaient constamment battus, pourchassés et harcelés afin de les dissuader de travailler sur ces chantiers.
Ironie du sort, ces travailleurs palestiniens autochtones étaient qualifiés de « travailleurs étrangers » par les colons sionistes. Mais la question du travail palestinien devint caduque après l’expulsion de la majorité des Palestiniens en 1948.
Provocation coloniale
La politique de séparatisme racial colonial était telle que les sionistes cherchèrent à s’approprier le mur de Bouraq (appelé en Occident « mur occidental » ou « mur des Lamentations ») de la mosquée Al-Aqsa, datant de la fin du VIIe siècle.
L’importance religieuse de cette partie du mur, considérée comme le seul vestige de la structure originelle entourant l’ancien « second » temple juif détruit par les Romains, fut amplifiée par les sionistes, pourtant laïques, et dotée d’une signification nationale et religieuse nouvellement inventée. Les tentatives sionistes, dans la seconde moitié des années 1920, de s’approprier la portion du mur appartenant à une fondation musulmane palestinienne et faisant traditionnellement partie du complexe de la mosquée al-Aqsa, connu sous le nom d’al-Haram al-Sharif, l’un des lieux les plus sacrés de l’islam depuis la fin du VIIe siècle, ont galvanisé les Palestiniens, notamment les paysans déplacés et les ouvriers licenciés, les poussant à une révolte majeure.
L’idée que la révolte palestinienne d’août 1929 ait été l’aboutissement des expulsions de Palestiniens de leurs terres par les colons juifs dans les années 1920, et du licenciement des anciens paysans devenus ouvriers suite aux piquets de grève sionistes, a été rejetée par les sionistes, qui la considéraient comme une fausse raison de la révolte.
Ils ont plutôt insisté sur le fait qu’elle était motivée par l’antisémitisme. L’instrumentalisation sioniste de l’« antisémitisme » comme prétexte fallacieux pour discréditer tous les efforts anticoloniaux palestiniens (et juifs), qui a débuté dans les années 1880, est encore aujourd’hui efficacement utilisée par Israël dans sa campagne de relations publiques en Occident.
C’est dans ce contexte que d’importantes manifestations palestiniennes ont éclaté en octobre 1933 contre l’immigration et la colonisation britanniques et juives.
Elles étaient principalement organisées par le parti patriotique palestinien Istiqlal (« indépendance ») et d’autres organisations de jeunesse, qui tentaient en vain d’inciter l’élite dirigeante palestinienne représentée au sein de l’Exécutif arabe – l’organe qui parlait au nom des Palestiniens auprès des autorités britanniques – à adopter une politique de non-coopération.
L’Exécutif arabe a finalement cédé et a lancé un appel à manifester.
Des milliers de personnes ont défilé à travers la Palestine, dont 8.000 rien qu’à Jaffa, parmi lesquelles 600 Palestiniens expulsés de leurs terres du Wadi al-Hawarith quelques mois auparavant, en juin. La police britannique s’est livrée à une répression féroce, tuant 26 manifestants palestiniens non armés à Jaffa et à Haïfa, et en blessant des dizaines d’autres.
Attaques continues
La tentative sioniste de s’emparer du mur de Bouraq dans les années 1920 aboutit finalement en 1967, après la conquête de Jérusalem-Est par Israël. Depuis lors, et en violation des enseignements juifs et des décisions rabbiniques interdisant aux Juifs d’entrer dans l’enceinte de la mosquée, considérée comme un acte d’hérésie, le sionisme de peuplement a façonné une nouvelle version sionisée du judaïsme, sous l’impulsion de rabbins issus de la colonisation qui ont levé cette interdiction.
Ceci a permis au chef du Likoud, Ariel Sharon, et à ses partisans colons d’envahir le Haram al-Sharif en septembre 2000, sous la protection de 1.000 policiers israéliens.
Depuis, la prise d’assaut de la mosquée est devenue un événement régulier.
Le mois dernier encore, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a mené des dizaines de colons à l’assaut de la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem-Est occupée, pendant les fêtes juives de Roch Hachana et Yom Kippour, sous protection policière israélienne. Depuis début septembre, des milliers de colons sont entrés illégalement dans l’enceinte pour y accomplir des rituels religieux.
Ben Gvir a également intensifié ses attaques contre les citoyens palestiniens d’Israël, perpétrant une série de cambriolages dans les villes israéliennes (et anciennement palestiniennes) de Ramleh et Lydda, sous prétexte de lutter contre la criminalité.
Ces attaques ont coïncidé avec un nouvel ordre d’expulsion visant les citoyens palestiniens du Naqab, s’inscrivant dans la campagne menée par Israël depuis des décennies pour détruire leurs villages et expulser leurs habitants.
La semaine dernière, la Cour suprême israélienne a rejeté un recours déposé par les habitants du village de Ras Jarabah, situé dans le Naqab, à l’est de Dimona. La plus haute juridiction a ordonné l’expulsion de 500 d’entre eux et leur a donné 90 jours pour s’y conformer. Ce ne sont là que quelques-uns des innombrables précédents des horreurs infligées aujourd’hui aux Palestiniens, la principale exception étant l’ampleur même du génocide des Palestiniens à Gaza – une escalade extrême des crimes israéliens et sionistes qui n’a pas cessé depuis les années 1880.
Projet voué à l’échec
On pourrait penser qu’Israël, le mouvement sioniste et leurs soutiens occidentaux reconnaîtraient un fait historique fondamental : le colonialisme de peuplement est un processus qui ne s’achève jamais, sauf par l’anéantissement total de la population autochtone.
C’est, après tout, l’histoire – et le présent – des principales colonies de peuplement blanches du monde occidental, qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Australie, du Canada ou de la Nouvelle-Zélande, sans parler de l’Amérique centrale et du Sud.
Pourtant, malgré les efforts génocidaires déployés par Israël, des millions de Palestiniens sont toujours en vie, et la moitié d’entre eux vivent encore sur leurs terres. Les colons juifs d’Israël ont donc encore fort à faire.
Le fait que la violence coloniale israélienne se poursuive à l’intérieur de ses frontières de 1948 et sur les territoires qu’il occupe depuis près de six décennies témoigne de l’incapacité du régime à « mener à bien sa mission ». En effet, la dernière guerre génocidaire a affaibli Israël politiquement, économiquement, diplomatiquement, démographiquement et même militairement, comme en témoigne l’incapacité de son armée à anéantir le Hamas après deux ans de guerre d’extermination.
L’échec de son objectif principal, l’expulsion des Palestiniens de Gaza hors de Palestine, ne fait qu’aggraver la situation.
Les régimes arabes qui normalisent leurs relations avec Israël, notamment l’Arabie saoudite qui espère renforcer ce rapprochement en guise de récompense pour le récent génocide, font preuve d’une crédulité surprenante.
Ils semblent convaincus non seulement qu’Israël survivra indéfiniment en tant qu’État colonial juif suprématiste, mais aussi qu’une fois le Hamas vaincu et démantelé définitivement, la normalisation avec cet État génocidaire pourra se faire sans entrave, comme si la résistance palestinienne pouvait être simplement étouffée. Ce fantasme est partagé par l’imperturbable président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui croit encore que lui et sa coterie de collaborateurs palestiniens seront installés à la tête de Gaza et présideront un État palestinien souverain et illusoire, reconnu par les soutiens occidentaux d’Israël, à l’exception des États-Unis.
Si un siècle et demi de colonialisme de peuplement juif, soutenu par les puissances coloniales occidentales, n’a pas réussi à garantir l’avenir d’Israël en tant qu’État à suprématie juive, alors quels que soient les plans qu’Israël et Trump concoctent pour Gaza – sans parler de la Cisjordanie, de Jérusalem ou même d’Israël lui-même –, ils sont voués à l’échec pour assurer la continuité du colonialisme de peuplement israélien.
Les Israéliens le comprennent parfaitement.
Cela se manifeste par le malaise croissant au sein de leurs élites politiques et économiques, qui craignent l’effondrement de la colonie de peuplement, comme le fait désormais l’ancien Premier ministre Ehud Barak lui-même, et au sein de la population juive, dont beaucoup l’ont déjà abandonnée, tandis que beaucoup d’autres envisagent de faire de même.
En prévision d’une telle éventualité, l’université Harvard a constitué, dans un lieu secret, une vaste archive de documents relatifs à Israël afin de la préserver « au cas où Israël cesserait d’exister ». La question est de savoir si les élites arabes et les soutiens occidentaux d’Israël prendront un jour conscience de cette réalité.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR