Partager la publication "« Nous estimons que près d’un million des 1,1 million d’oliviers de Gaza ont été détruits. »"
Mohamed Suleiman, Drop Site, 20 octobre 2025. – La dernière fois que Hajj Suleiman Abdel-Nabi a assisté à une récolte d’olives normale, c’était il y a trois ans.

Le pressoir à olives d’Abou Zidan, dans le centre de Gaza, est l’un des rares encore en activité dans l’enclave. 9 octobre 2025. (Photo de Mohamed Suleiman.)
Quelques jours avant l’entrée en vigueur du « cessez-le-feu », le 10 octobre, cet agriculteur de 75 ans a scié ce qui restait de son oliveraie de trois dounams (environ 1,2 hectare) dans le quartier d’Al-Mawasi, au sud de Gaza. Outre les destructions massives d’habitations et d’infrastructures civiles causées par la guerre israélienne de deux ans contre Gaza, le bilan sur l’agriculture et les terres agricoles de l’enclave a été tout aussi dévastateur. Les ressources en eau de Gaza étant gravement épuisées, la moitié des oliviers d’Abdel-Nabi se sont desséchés et sont morts.
« L’eau est devenue plus précieuse que l’or », affirme-t-il. « Comment puis-je demander de l’eau pour les arbres alors que les gens meurent de soif ? »
La guerre d’Israël contre Gaza, commencée en octobre 2023, au plus fort de la récolte des olives, a pratiquement pris fin à la même période avec le « cessez-le-feu » de la semaine dernière. Au cours des deux dernières années, près de 68.000 Palestiniens ont été tués, un chiffre largement sous-estimé, et des villes entières ont été réduites en ruines. Le siège et la campagne de famine d’Israël ont déclenché une famine dans une grande partie de l’enclave. Malgré l’attaque génocidaire qui a dévasté leurs récoltes et fait exploser les prix, les agriculteurs palestiniens de Gaza se préparaient encore à la récolte des olives, même s’il ne reste presque plus d’olives à cueillir.
« Les oliviers sont devenus du bois de chauffage maintenant », dit-il avec amertume. « Je ressens de la douleur à chaque coupe, non seulement à cause de la perte, mais parce que ces arbres sont la vie même. Pour les Palestiniens, ils sont un symbole de persévérance. Lorsqu’ils meurent, c’est comme une nouvelle catastrophe. »
Le fils d’Abdel-Nabi, également prénommé Suleiman, a aidé son père à couper les troncs d’arbres morts, espérant sauver les quelques arbres qui montraient encore de faibles signes de vie. Un agriculteur voisin a récemment installé un puits alimenté à l’énergie solaire – l’un des seuls moyens de puiser l’eau souterraine après que le réseau électrique de Gaza a été pris pour cible au début de la guerre – et Abdel-Nabi espérait emprunter un peu d’eau pour revitaliser les arbres qu’il pouvait.
Une évaluation réalisée en août, basée sur des données satellitaires de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et du Centre satellitaire des Nations Unies, a révélé que 98,5 % des terres cultivées de la bande de Gaza sont soit endommagées, soit inaccessibles, soit les deux. « Cela signifie que seulement 1,5 % des terres cultivées à Gaza – soit 232 hectares – sont actuellement cultivables, contre 4,6 % (688 hectares) en avril 2025, dans un territoire de plus de 2 millions d’habitants », indique le rapport.
« La plupart des arbres ont disparu », a déclaré Mohammed Abu Odeh, expert agricole dans le secteur horticole, à Drop Site. « Mais certains agriculteurs risquent leur vie pour récolter ce qui reste. »
« La récolte des olives est essentielle à la vie à Gaza », a-t-il ajouté. « Plus de 10.000 familles en dépendent, et l’huile d’olive est présente dans tous les repas. Mais avec l’effondrement de la production et la restriction de l’aide, même quelques litres d’huile sont devenus des trésors. » Aujourd’hui, un seul litre d’huile d’olive se vend environ 100 shekels (environ 30 dollars), soit près du double du prix de l’année dernière. « C’est presque impossible à trouver », a déclaré Abu Odeh.
Abdel-Nabi, père de 12 enfants et grand-père de 35 petits-enfants, récoltait plus de 110 litres d’huile d’olive par an, dont environ la moitié provenait d’Al-Mawasi et l’autre moitié de deux dounams (environ 2000 m²) d’arbres centenaires à Khan Younis. Les arbres d’Al-Mawasi n’ont été ni irrigués ni fertilisés depuis le début de la guerre, laissant tous les arbres secs et morts, à l’exception d’une poignée qu’il tente de faire revivre. À Khan Younis, l’armée israélienne a rasé tout son verger.

La plantation d’oliviers de Hajj Suleiman Abdel-Nabi à Al-Mawasi, Khan Younis, est à sec à cause du manque d’eau dû à la guerre. 9 octobre 2025. (Photo de Mohamed Suleiman.)
Face à la pénurie d’eau, Abdel-Nabi doit désormais acheter des olives et de l’huile d’olive au lieu de les vendre. « Cette année, j’achète les mêmes olives et la même huile qu’avant », dit-il. « Avant, je vendais un kilo d’olives deux dollars ; maintenant, je les achète dix. Un litre d’huile d’olive qui coûtait autrefois 10 dollars coûte maintenant 25 dollars. »
Il essuie ses larmes en regardant les souches. « La saison des olives était notre plus belle période de l’année », dit-il. « Nous nous réunissions pour cueillir, chanter et manger ensemble. Maintenant, cette joie a disparu, comme tout ce que cette guerre nous a enlevé. »
Dans le centre de Gaza, Ahmed al-Adini, 21 ans, arrive à un petit pressoir à olives sur la route de Salah al-Din. Al-Adini s’est récemment marié et sa femme attend leur premier enfant ce mois-ci. Sa récolte d’olives a atteint à peine 170 kilos cette saison, contre une tonne en moyenne avant la guerre.
Avec l’aide de son père et de ses frères, il transportait des sacs d’olives jusqu’au pressoir en charrette tirée par un âne. « Nous pouvions à peine arroser les arbres », dit-il. « Le terrain était à proximité des positions des chars israéliens pendant des mois. »
Pourtant, la famille a insisté pour récolter ses olives. « Pour mon père, ce n’est pas seulement l’huile, c’est une question d’identité », explique Ahmed. « Nous voulons goûter l’huile de nos propres arbres, et non celle d’un endroit en qui nous n’avons pas confiance. L’olivier nous dit que nous sommes toujours en vie. »
Un symbole de persévérance
Pour les Palestiniens, l’olivier est plus qu’une simple culture ; c’est un ancrage culturel, transmis de génération en génération et ancré dans la mémoire et la résistance. Pris au piège d’un siège israélien étouffant depuis 2007, les Palestiniens de Gaza comptent depuis longtemps sur l’agriculture locale, l’un de leurs rares moyens de survie. Aujourd’hui, même cela a été supprimé.
À un autre pressoir, Mohammed Abu Jleidan, 43 ans, est arrivé à vélo, poussant une petite charrette, avec ses deux fils : Yusuf, 13 ans, et Mo’tasem, 14 ans. Ils ont apporté 270 kilos d’olives provenant de trois dunams de terre (environ 1,7 hectare) qui produisaient autrefois deux tonnes.
« Malgré tout – pas d’eau, pas d’engrais, pas de soins – cette petite récolte est une bénédiction », a déclaré Abu Jleidan à Drop Site. « Beaucoup d’agriculteurs ont tout perdu. Leurs arbres ont séché ou ont été rasés au bulldozer. J’ai même de la chance d’avoir cela.»
Le coût du pressage de l’huile a augmenté. Avant la guerre, il coûtait moins d’un demi-shekel le kilo. Aujourd’hui, il coûte trois shekels (environ 0,9 dollar), en raison de la flambée des prix du diesel, des pièces détachées et de la main-d’œuvre. « Le carburant coûte 25 dollars le litre aujourd’hui ; il coûtait moins de deux dollars auparavant », explique Zidan Fawaz Zidan, 54 ans, propriétaire de l’un des rares pressoirs encore en activité dans le centre de Gaza. « Avant, nous traitions 150 tonnes d’olives par jour. Aujourd’hui, nous en traitons à peine cinq tonnes tous les deux jours.»
Plus de 35 pressoirs ont été détruits à Gaza ces deux dernières années. Seuls cinq sont encore opérationnels, tous situés dans la région centrale.
Selon Fayyad Fayyad, président du Conseil oléicole palestinien, le secteur oléicole de Gaza est « presque entièrement détruit ».
« Il n’y a pas de saison des olives cette année », a déclaré Fayyad à Drop Site. « Nous estimons que près d’un million des 1,1 million d’oliviers de Gaza ont été détruits.» En 2022, Gaza a produit environ 50 000 tonnes d’olives. Cette année, a précisé Fayyad, le total sera bien inférieur à mille. « La destruction est délibérée », a-t-il affirmé. Israël vise à éliminer le secteur agricole, y compris l’olivier. Il ne reste que des arbres épars, pas de vergers, pas de production.
Le conseil oléicole de Fayyad prépare un plan pour reconstruire le secteur oléicole si le cessez-le-feu est maintenu et que la guerre prend fin. Il commencera par des analyses de sol pour détecter la contamination par les munitions et par la reconstruction des réseaux d’irrigation. Le gouvernement tunisien a promis 180 000 jeunes oliviers à Gaza dès que les conditions le permettront.
Mais la replantation prendra des années. « L’olivier pousse lentement », explique Fayyad. « Il faut de la patience, et la paix, pour qu’il porte à nouveau des fruits.»
Malgré la dévastation, les agriculteurs de Gaza retournent dans leurs oliveraies, pour arroser, tailler, sauver ce qui reste de vie.
« L’olivier est l’histoire de la Palestine », a déclaré Abdel-Nabi. « Même lorsqu’il brûle, il reste présent dans nos cœurs.»
Cet article a été publié en collaboration avec Egab.
Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR