Partager la publication "L’élargissement de la géographie de la résistance palestinienne : pourquoi Israël ne peut pas vaincre les Palestiniens"
Ramzy Baroud, 12 avril 2022. Ce n’est pas pour rien qu’Israël s’acharne à relier la série d’attentats perpétrés récemment par des Palestiniens à un endroit précis, à savoir le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Ainsi il suffit au gouvernement aux abois de Naftali Bennett d’ordonner simplement une nouvelle opération militaire meurtrière à Jénine pour rassurer ses citoyens que la situation est sous contrôle.
Alors le 9 avril, l’armée israélienne a pris d’assaut le camp de réfugiés de Jénine, a tué un Palestinien et en a blessé dix autres. Toutefois, le problème d’Israël est bien plus grand que Jénine.
Si l’on examine les événements, depuis l’attaque à l’arme blanche du 22 mars dans la ville méridionale de Beersheba (Bir Al Saba’) – qui a fait quatre morts – jusqu’à l’assassinat de trois Israéliens à Tel Aviv – dont deux officiers de l’armée – on arrive à une conclusion évidente : ces attaques ont dû être, dans une certaine mesure, coordonnées.
Les représailles palestiniennes spontanées à la violence de l’occupation israélienne suivent rarement ce modèle en termes de calendrier ou de style. Toutes les attaques, à l’exception de celle de Beersheba, ont été menées à l’aide d’armes à feu. Les tireurs, comme l’indiquent les vidéos amateurs de certains événements et les déclarations de témoins israéliens, étaient bien entraînés et agissaient avec beaucoup de sang-froid.
L’événement de Hadera du 27 mars, perpétré par deux cousins, Ayman et Ibrahim Ighbariah, de la ville arabe d’Umm Al-Fahm, à l’intérieur d’Israël, en est un exemple. Les médias israéliens ont fait état des compétences indéniables des assaillants, armés d’armes qui, selon l’agence de presse israélienne Tazpit Press Service, ont coûté plus de 30.000 dollars.
Contrairement aux attentats palestiniens perpétrés pendant la deuxième Intifada palestinienne (2000-2005) en réponse à la violence israélienne dans les territoires occupés, les derniers attentats sont généralement plus ciblés, visent des policiers et des militaires et ont clairement pour but d’ébranler le faux sentiment de sécurité d’Israël et d’affaiblir les services de renseignement du pays. Dans l’attaque de Bnei Brak, le 29 mars, par exemple, une Israélienne qui se trouvait sur les lieux a déclaré aux journalistes que « le militant nous a demandé de nous éloigner de l’endroit parce qu’il ne voulait pas viser des femmes ou des enfants. »
Si les rapports des services de renseignement israéliens ont récemment mis en garde contre une « vague de terrorisme » à l’approche du mois sacré du Ramadan, ils n’avaient manifestement guère idée du type de violence, ni du lieu et de la manière dont les Palestiniens allaient frapper.
Après l’attentat de Beersheba, les responsables israéliens ont évoqué la responsabilité de Daesh, une affirmation commode étant donné que Daesh avait également revendiqué l’attentat. Cette théorie a rapidement été marginalisée, car il est devenu évident que les autres attaquants palestiniens avaient d’autres affiliations politiques ou, comme dans le cas de Bnei Brak, aucune affiliation connue.
La confusion et la désinformation se sont poursuivies pendant plusieurs jours. Peu après l’attentat de Tel Aviv, les médias israéliens, citant des sources officielles, ont parlé de deux assaillants, alléguant que l’un d’eux était pris au piège dans un immeuble voisin. C’était faux : il n’y avait qu’un seul attaquant et il a été tué, mais quelques heures plus tard, dans une autre ville.
Un certain nombre de travailleurs palestiniens ont été rapidement arrêtés à Tel Aviv, soupçonnés d’être les agresseurs simplement parce qu’ils avaient l’air arabe, preuve de l’approche chaotique d’Israël. En effet, après chaque événement, une confusion totale s’est installée, avec de grandes foules d’Israéliens armés descendant dans les rues à la recherche de toute personne ayant des caractéristiques arabes pour l’appréhender ou la frapper sans ménagement.
Les officiels israéliens ont contribué à l’hystérie, avec des politiciens d’extrême droite, comme l’extrémiste Itamar Ben Gvir, menant des hordes d’autres extrémistes pour saccager Jérusalem occupée.
Au lieu d’appeler au calme et de faire preuve de confiance, le Premier ministre du pays lui-même a appelé, le 30 mars, les Israéliens ordinaires à s’armer. « Quiconque possède un permis de port d’arme, c’est le moment de la porter », a-t-il déclaré dans une déclaration vidéo. Cependant, si la solution d’Israël à toute forme de résistance palestinienne consistait en davantage d’armes à feu, les Palestiniens auraient été pacifiés depuis longtemps.
Pour apaiser les Israéliens en colère, l’armée israélienne a mené de nombreux raids sur la ville et le camp de réfugiés de Jénine, laissant à chaque fois derrière elle plusieurs morts et blessés palestiniens, dont de nombreux civils. Parmi eux, le jeune Imad Hashash, 15 ans, tué le 24 août alors qu’il filmait l’invasion [du camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, ndt] avec son téléphone portable [c‘est Saleh Ammar, 19 ans, qui a été assassiné le 24 août à Jenin, ndt]. Le même scénario s’est produit le 9 avril.
C’était toutefois un exercice inutile car c’est la violence israélienne à Jénine au fil des ans qui a conduit à la résistance armée qui continue d’émaner du camp. Les Palestiniens, que ce soit à Jénine ou ailleurs, se défendent parce qu’on leur refuse les droits de l’homme fondamentaux, qu’ils n’ont pas d’horizon politique, qu’ils vivent dans une pauvreté extrême, qu’ils n’ont pas de véritable leadership et qu’ils se sentent abandonnés par la soi-disant communauté internationale.
L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas semble être totalement éloignée des masses. Les déclarations d’Abbas reflètent son détachement de la réalité de la violence, de l’occupation militaire et de l’apartheid israéliens dans toute la Palestine. Fidèle à lui-même, Abbas a rapidement condamné l’attaque de Tel Aviv, comme il l’avait fait pour les précédentes, faisant à chaque fois la même référence à la nécessité de maintenir la « stabilité » et d’empêcher « une nouvelle détérioration de la situation », selon l’agence de presse officielle Wafa.
À quelle stabilité Abbas fait-il référence, alors que la souffrance des Palestiniens est aggravée par la violence croissante des colons, l’expansion illégale des colonies, le vol de terres et, avec les récents événements internationaux, l’insécurité alimentaire également ?
Une fois de plus, les responsables et les médias israéliens rejettent commodément la faute sur Jénine, une toute petite partie d’une région surpeuplée. Ce faisant, Israël veut donner l’impression que le nouveau phénomène des attaques de représailles palestiniennes est confiné à un seul endroit, adjacent à la frontière israélienne et pouvant être facilement « géré ».
Une opération militaire israélienne dans le camp peut servir l’agenda politique de Bennett, donner un sentiment de force et regagner une partie de son électorat politique déçu. Mais il s’agit d’une solution temporaire. Attaquer Jénine maintenant ne fera aucune différence à long terme. Après tout, le camp renaît des cendres de sa destruction quasi-totale par l’armée israélienne en avril 2002.
Les nouvelles attaques palestiniennes montrent une géographie beaucoup plus vaste : Naqab, Umm Al Fahm, la Cisjordanie. Les germes de cette connectivité territoriale sont liés à la guerre israélienne de mai dernier et à la rébellion palestinienne qui a suivi, qui a éclaté dans toutes les régions de Palestine, y compris dans les communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël.
Le problème d’Israël est son acharnement à fournir des solutions militaires à court terme à un problème à long terme, lui-même résultant de ces mêmes « solutions militaires ». Si Israël continue à soumettre le peuple palestinien dans le cadre du système actuel d’occupation militaire et d’apartheid croissant, les Palestiniens continueront certainement à réagir jusqu’à ce que leur réalité oppressive soit modifiée. Aucune violence israélienne ne peut modifier cette vérité.
Article original en anglais paru sur Middle East Monitor / Traduction MR
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