Lassés des ordres de déplacement israéliens, des Palestiniens de Gaza refusent de partir

Rasha Abou Jalal, Gaza, 15 avril 2025.— Le 11 avril, l’armée israélienne a donné l’ordre à des dizaines de milliers de Palestiniens de l’est de la ville de Gaza, notamment dans les quartiers de Shujaiya, Zeitoun et Tuffah, d’aller s’installer dans des zones situées à l’ouest de la ville. Ces ordres étaient la dernière salve d’une campagne militaire de la terre brûlée, reprise par Israël le 18 mars et qui a fait plus de 1.600 morts, dont plus de 500 enfants.

Adel Murad, 43 ans, déblaye les décombres de sa maison à Shujaiya, dans la ville de Gaza, le 12 avril 2025. (Photo de Rasha Abu Jalal)

Depuis le 18 mars, Israël a émis au moins vingt-quatre ordres de déplacement dans des villes et villages de Gaza, notamment à Beit Hanoun, Beit Lahia, dans la ville de Gaza, Deir al-Balah, al-Nuseirat et Khan Younis. Le 31 mars, Israël a émis un ordre de déplacement pour la quasi-totalité de Rafah, le gouvernorat le plus au sud. Plus de 400.000 Palestiniens ont été déplacés en moins d’un mois.

À l’heure actuelle, plus des deux tiers de Gaza sont soit sous le coup d’ordres de déplacement actifs, soit dans une zone interdite – parfois appelée « zone de mort ». Pourtant, dans certains quartiers soumis à des ordres de déplacement, des habitants refusent de partir, préférant rester chez eux et affronter l’assaut plutôt que d’être à nouveau déplacés vers des zones dépourvues d’abris et qui continuent néanmoins d’être la cible de l’armée israélienne.

Ce matin-là, le 11 avril, Adel Murad, un enseignant de 43 ans, a fui Shujaiya avec neuf membres de sa famille pour rejoindre le quartier occidental d’Al-Nasr afin d’échapper aux intenses bombardements aériens israéliens. Mais ils ne sont pas restés longtemps ; le lendemain, la famille a décidé de braver les ordres israéliens et de rentrer chez elle. La famille de Murad a traversé la fumée et les décombres jusqu’à sa maison de Shujaiya, où elle a immédiatement commencé à déblayer les débris.

« J’en ai assez des déplacements », a déclaré Murad à Drop Site depuis chez lui le 12 avril. « Il n’y a pas d’abri, pas d’hébergement temporaire. Tous les centres d’évacuation sont pleins, et la seule alternative est de dormir dans la rue, sans eau ni même toilettes. Être déplacé est une humiliation. »

Il s’est penché sur les décombres. Ses yeux fatigués les scrutaient à la recherche de quelque chose de récupérable dans sa maison détruite. Il a ramassé une planche de bois, l’a dépoussiérée et a contemplé les vestiges de sa maison, se demandant si le bois pourrait servir à construire un nouveau mur. C’était la troisième fois que Murad reconstruit sa maison ; elle a été partiellement détruite pour la première fois en février 2024.

« Je ne quitterai pas ma maison, même si je dois vivre au milieu des décombres, » a déclaré Murad. « C’est ma terre, et je ne serai plus déplacé. »

Murad a construit un abri de fortune sur les ruines de sa maison. À l’aide de bâches en plastique et de bois, il a érigé des murs rudimentaires, laissant un côté ouvert pour laisser entrer l’air et la lumière. À l’intérieur, il a étendu de vieilles couvertures sur le sol, à côté d’un petit poêle à bois. Il n’y a ni électricité ni eau courante. Dans un coin, il a creusé un trou profond, l’a recouvert d’une tôle et a placé une cuvette en plastique au-dessus pour servir de toilettes.

« Le président Donald Trump veut que nous émigrions, que nous quittions nos maisons, que nous devenions des réfugiés dans le désert du Sinaï ou ailleurs, mais nous sommes là, » a-t-il déclaré, tout en enfonçant un clou dans une planche pour colmater une fissure dans le mur de ciment en ruine. « Nous reconstruisons ce qu’ils détruisent encore et encore, et nous vivrons ici malgré eux. »

L’assaut aérien israélien est implacable. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, entre le 18 mars et le 9 avril, quelque 224 frappes israéliennes ont visé des immeubles d’habitation et des tentes pour les personnes déplacées. Dans trente-six de ces frappes, les seules victimes recensées étaient des femmes et des enfants.

« La multiplication des ordres d’évacuation émis par les forces israéliennes – qui sont, de fait, des ordres de déplacement – a entraîné le transfert forcé de Palestiniens de Gaza vers des espaces de plus en plus restreints, où ils ont peu ou pas accès aux services essentiels, notamment à l’eau, à la nourriture et aux abris, et où ils continuent d’être la cible d’attaques », a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, dans un communiqué publié la semaine dernière.

Les troupes israéliennes ont achevé la construction d’un nouveau « corridor de sécurité », coupant Rafah du reste de Gaza, appelé Morag – du nom d’une colonie juive qui existait autrefois entre Rafah et Khan Younis. Les forces israéliennes ont également repris le contrôle du corridor de Netzarim, qui isole le tiers nord de Gaza du reste de l’enclave.

Mahmoud Sarhan, 48 ans, travaille avec des habitants pour creuser un puits à Zeitoun, dans la ville de Gaza, le 12 avril 2025. (Photo de Rasha Abu Jalal)

Mahmoud Sarhan, 48 ans, et ses six enfants font partie des dizaines de familles du quartier de Zeitoun, à l’est de la ville de Gaza, qui ont refusé d’obtempérer aux ordres de déplacement émis par l’armée israélienne le 11 avril.

« Nous n’avons pas d’autre choix », a déclaré Sarhan à Drop Site, ajoutant que les zones de l’ouest de Gaza où ils ont reçu l’ordre de se déplacer sont surpeuplées et dépourvues de services de base. « J’ai décidé avec mes voisins que nous ne fuirions plus. »

Sarhan parlait en aidant d’autres personnes à creuser un puits dans la rue pour tenter d’assurer l’accès à l’eau des familles restées. Plus tôt ce mois-ci, l’approvisionnement en eau de la compagnie israélienne des eaux a été interrompu pendant l’offensive, ont indiqué les autorités municipales de Gaza dans un communiqué, coupant ainsi 50 % de l’approvisionnement total en eau au nord de l’enclave.

L’UNICEF estime que l’accès à l’eau potable pour un million de personnes, dont 400.000 enfants, est passé de seize litres par personne et par jour pendant le cessez-le-feu à seulement six.

« Nous creusons à mains nues et avec des outils rudimentaires, mais nous travaillons ensemble car nous savons que personne ne viendra nous sauver, » a déclaré Sarhan.

Israël bloque toute aide humanitaire à Gaza depuis le 2 mars, le plus long enfermement des 18 mois de guerre. Outre la catastrophe humanitaire causée par le blocus de toute nourriture, eau potable, médicaments et autres aides ou fournitures essentielles, les efforts de reconstruction sont devenus quasiment impossibles.

Les matériaux de construction de base ont grimpé en flèche au cours des six dernières semaines en raison du blocus et de la reprise de la guerre. Mohammed Abu Jayyab, rédacteur en chef du journal Al-Eqtesadia (L’Économie) à Gaza, a déclaré à Drop Site qu’un sac de ciment de 30 kilogrammes coûte désormais 900 shekels (250 dollars), contre 20 shekels (5 dollars) avant la guerre. Le prix d’une seule dalle de pierre est passé de 1 shekel (0,30 dollar) à 20 shekels (5 dollars), rendant la reconstruction complètement inabordable.

Les habitants ont recours à des bâches en plastique et du bois pour reconstruire. « Ils n’ont d’autre choix que de réparer leurs maisons partiellement détruites et d’y vivre, malgré la reprise des combats et le risque d’effondrement, en raison du manque d’abris et du manque de tentes depuis la fermeture de la frontière », a déclaré Abu Jayyab.

Pour Sarhan, la décision de rester dans son quartier natal de Zeitoun était simple. « Trump et Netanyahou veulent que nous quittions notre patrie, que nous abandonnions, que nous émigrions. Mais nous restons. Même si cela signifie creuser de nos propres mains pour trouver de l’eau », a-t-il déclaré. « La reprise de la guerre nous place face à un avenir incertain. Mais nous ne pouvons pas cesser de vivre simplement par crainte de ce qui pourrait arriver demain. »

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A propos de l’auteur : 

Je m’appelle Rasha Abu Jalal et je suis journaliste à Gaza. Je travaille pour plusieurs médias et couvre les questions politiques, humanitaires et sociales palestiniennes. Je suis membre permanent du jury du prix annuel Press House.


Pour l’article que vous venez de lire, la journaliste Rasha Abu Jalal s’est rendue dans deux quartiers de la ville de Gaza pour s’entretenir avec des habitants qui défient les ordres de l’armée israélienne de quitter les lieux.

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Sharif Abdel Kouddous 


Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR