Partager la publication "Voyage à travers les braises : Lire dans les souvenirs de Munir Shafiq"
Mohsen Mohammad Saleh, 21 décembre 2021. « Voyage à travers les braises » est une expression qui décrit méticuleusement les conditions vécues par l’intellectuel patriote palestinien, qui s’est engagé en faveur des fondamentaux palestiniens, affrontant patiemment les difficultés et payant un lourd tribut avec des années d’emprisonnement, de déplacement, d’injustice et de douleur, sans dévier d’un iota de sa position. Cette description s’applique presque mot pour mot au cas du penseur palestinien Munir Shafiq.
Le livre arabe intitulé Min Jamr Ila Jamr : Safahat min Zikrayat Munir Shafiq (Voyage à travers les braises (*) : pages des souvenirs de Munir Shafiq), édité par le regretté Nafez Abu Hasna et publié à Beyrouth par le Centre d’études pour l’unité arabe, est l’un de ces rares livres que l’on ne peut plus reposer dès que l’on commence à le lire, bien qu’il compte 560 pages. Il en est ainsi non seulement en raison de son style fluide et captivant, mais aussi parce qu’il est riche en expériences, en prises de position et en enseignements. Il offre une lecture critique et objective de l’action politique et de la résistance palestinienne pendant soixante-dix ans, des milieux de gauche et du Fatah, tout en transmettant l’atmosphère des tendances islamiques et nationalistes. Munir Shafiq était proche des décideurs palestiniens, mais dans le même temps, il n’a jamais occupé de postes de direction de premier plan.
La taille de cet article ne nous permet pas de faire une recension complète du livre. Cependant, cela ne nous empêche pas de parler de certaines des principales caractéristiques de Munir Shafiq, avec qui je suis fier d’être en relation depuis 1996.
Déterminé et libre
La personnalité du fils du quartier al-Qatamun à Jérusalem, Munir Shafiq ‘Asal, se dévoile au fil des chapitres du livre. D’un caractère libre, harmonieux et doté de convictions fermes, Shafiq adopte un raisonnement rationnel, une analyse systématique et autocritique. Lorsqu’il est convaincu d’une idée, il est prêt à la défendre jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix. C’est une personne qui n’aime ni les compliments ni l’hypocrisie sociale, surtout lorsqu’il s’agit de l’action nationale ou des exigences de l’évaluation objective.
Il y a aussi des valeurs fondamentales que Shafiq a conservées et auxquelles il a adhéré en tant que communiste puis qu’affilié au Fatah, et lorsqu’il a embrassé la perspective arabe et islamique. En plus de cela, il possède l’honnêteté envers soi-même et le refus de mentir, y compris l’autocritique lorsqu’il se trompe, comme il l’a fait dans son histoire avec « Mukhlis ‘Amr ».
Par conséquent, Shafiq ne se soucie guère des conséquences, s’il est en contradiction avec l’opinion publique ou les tendances générales, si son examen objectif conduit à de telles conclusions, même si cela peut parfois choquer les élites ou le grand public. Ainsi, il est un « pionnier » cherchant à établir des tendances plutôt que de justifier les chemins des autres. Vous trouverez cela dans son affiliation et son retrait du Parti communiste, lorsqu’il était au Fatah, lorsqu’il a établi la « tendance » au sein du Fatah, et lorsqu’il s’est converti à l’Islam et a adopté la pensée islamique… ainsi que dans son interprétation de la catastrophe de 1948 et de la défaite de 1967, en plus du moment où les fida’yyin ont quitté la Jordanie et d’autres questions.
Un environnement familial distingué
Né en 1936, Munir Shafiqa grandi dans un environnement familial distingué. Il appartient à une famille chrétienne, cultivée, ouverte, marxiste, patriote et fière de son arabisme et de son héritage civilisationnel islamique. Cette image, qui semble plus proche d’une « mosaïque », correspond aux cas de figures palestiniennes qui connaissent et chérissent l’identité palestinienne, s’opposent à l’occupation britannique et aux dangers du projet sioniste, et prônent le changement, le progrès et la libération.
Le père de Shafiq a obtenu un diplôme d’avocat en 1925. Sa mère a été diplômée de l’École normale en 1927. Comme le père était fier de son arabisme et de son héritage, il tenait à améliorer la langue arabe de son fils et l’encourageait à réciter le Coran et des poèmes. À l’âge de 13 ans, Shafiq avait mémorisé trois parties du Coran, de nombreux poèmes d’al-Mutanabbi et d’Abu Tammam, et le livre Nahj al-Balaghah. Il a également mémorisé de nombreux articles du Majallat al-Ahkam al-Adliyyah, qui est le premier code de jurisprudence islamique dans le domaine civil dans le cadre des dispositions légales.
Depuis l’âge de sept ans, il accompagnait son père dans les tribunaux pour assister aux plaidoiries et aux affaires du peuple et de la société. Son père lui donnait une piastre palestinienne pour chaque verset coranique ou verset de poésie qu’il mémorisait (pour exemple, 20 œufs coûtaient à l’époque 2 ou 3 piastres). Il mémorisait une dizaine de versets en une demi-heure et les récitait, ce qui lui permettait d’amasser une « fortune » par rapport à ses camarades.
En général, l’environnement d’un chrétien palestinien n’était pas très différent de celui d’un musulman palestinien. Ainsi, les chrétiens faisaient partie intégrante du tissu social. Ils jouaient un rôle original dans le projet national palestinien en exprimant ce rôle par des mots, du sang et des balles. C’est ce que Munir Shafiq a expliqué plus tard lorsqu’il a écrit l’article « Les Arabes chrétiens sont des musulmans qui vont à l’église » !
Avec le parti communiste
La maturité précoce de la personnalité de Shafiq est due à ses études à l’école al-Rashidiyyah de Jérusalem, à la catastrophe de 1948, en plus de l’environnement culturel marxiste et patriotique de son père. A 15 ans, Shafiq a décidé de faire une demande officielle d’adhésion au Parti communiste (jordanien), bien que son père ait tenté de l’en dissuader et lui ait présenté des dirigeants ayant une expérience communiste antérieure pour le convaincre de rester à l’écart du Parti, et bien que ses parents aient espéré qu’il termine d’abord ses études universitaires. Il a également rejeté la condition de son père selon laquelle s’il voulait étudier à l’université de Damas, il devait cesser de s’engager dans des activités politiques. Il a continué ses activités politiques, et par conséquent, ses études universitaires ont été reportées jusqu’à ce qu’en 1966, sa sœur Samira l’inscrive à l’université. En 1969, alors qu’il a 33 ans, il obtient son diplôme avec une spécialisation en sociologie, et envoie à sa famille le « papier » de diplôme qu’ils attendaient. Cependant, cela « ne signifiait rien pour lui » ! Pour Shafiq, les considérations académiques n’étaient pas importantes et ne représentaient pas un poids psychologique ; et ce, malgré le fait qu’il possède toutes les aptitudes pour parvenir, sans problème, aux plus hauts diplômes universitaires. Quant à son mariage, il s’est déroulé au lendemain de la guerre d’octobre, le 10/10/1973 ! Car Mounir, ainsi que son frère Georges et sa sœur Samira (l’épouse de Naji ‘Allush), étaient occupés par la révolution, qui remplissait leur vie.
Durant son adhésion au Parti communiste, Munir Shafiq a joué un rôle vigoureux et proactif. Il s’est endurci. Il a été emprisonné à plusieurs reprises. Pour lui, la prison était un lieu de lutte et l’emprisonnement une « période de repos » ou un « verre d’eau ». Il s’accommodait « volontiers » de sa situation, et agissait comme s’il avait « trouvé l’occasion de voyager dans un endroit magnifique » !
En même temps, il était contre la décision de partager la Palestine et contre la légitimité d’Israël. Il a quitté le Parti communiste au milieu des années 1960 après un examen critique approfondi de son expérience. Il a même qualifié d’escroc le secrétaire général du Parti, Fahmy Salfiti, lorsque celui-ci a tenté de l’attirer à un poste de direction.
Avec le Mouvement du Fatah
Ce livre présente de manière distinctive l’expérience de Munir Shafiq dans le mouvement du Fatah depuis 1969. Il a rejoint le Fatah grâce à ses amis Naji ‘Allush, Abu Dawud et Muhammad Abu Maizar. Shafiq était convaincu des principes du Fatah et y adhérait. Ses écrits ont contribué à renforcer la position du Fatah en tant que référence pour le travail national, par exemple, son livre : Hawla al-Tanaqudh wa al-Mumarasah fi al-Thawrah al-Filastiniyyah (Sur la contradiction et la pratique dans la révolution palestinienne), et ils ont été largement acceptés par les cadres du Mouvement et ceux qui s’intéressent à l’action de résistance dans le monde arabe. Il a également joué un rôle important dans le renforcement des relations du Fatah avec les partis marxistes et de gauche à travers le monde.
Kamal ‘Adwan s’est rendu compte du potentiel de Shafiq. Il l’a encouragé, surtout après que ce dernier ait pris la direction du secteur occidental (Palestiniens de l’intérieur) à la suite de la troisième conférence du Fatah en 1971. ‘Adwan le choisit pour être responsable de l’action politique dans les territoires occupés et superviser les stations de radio palestiniennes. Il l’introduit également au Centre de planification palestinien en tant que chef du département des terres occupées. Après le martyre de Kamal ‘Adwan en 1973, Munir Shafiq est renvoyé du secteur occidental, mais il continue son travail au Centre de Planification et en devient le directeur général tout en étant conscient des tentatives d’Arafat de le marginaliser au sein du Mouvement Fatah.
Durant cette période, on note la relation dialectique entre l’intellectuel et la révolution, l’interaction des idées avec la pratique réelle, le développement de convictions basées sur la lecture critique des expériences et la pensée libre et ouverte qui découle des fondements et des tentatives d’assimilation de la civilisation et de la culture arabe et islamique.
Avec la « tendance » et la conversion à l’Islam
Munir Shafiq a joué un rôle majeur dans la mise en place d’une « tendance » au sein du Fatah, qui a débuté en 1972, axée sur l’action militaire, notamment dans les territoires occupés. Les leaders les plus éminents de cette tendance étaient Abu Hassan Ibhais, Sa’d Jaradat et Hamdi (Basem al-Tamimi). Certains appellent cette tendance « la tendance de Munir Shafiq », mais celui-ci rejette cette étiquette, malgré son rôle central dans ce contexte, et confirme le rôle d’Abu Hassan Ibhais comme premier leader ayant une influence militaire, politique et intellectuelle. Cette tendance a formé le Bataillon des étudiants, qui est devenu plus tard la Brigade al-Jarmaq ou la Brigade étudiante. Elle a conservé sa particularité au sein du Fatah, ayant ses propres convictions politiques et intellectuelles, ce que Yasser ‘Arafat n’appréciait pas. Elle a également joué un rôle héroïque dans la confrontation avec Israël, notamment lorsque ce pays a attaqué et envahi le Liban.
Munir Shafiq explique comment les discussions au sein du courant sur les projets de résistance, de libération et de renaissance ont progressivement changé, critiquant et dépassant la pensée marxiste, et s’orientant davantage vers l’arabisme. Il s’inspire de l’héritage islamique et croit en la nécessité de comprendre l’environnement populaire et social. Munir Shafiq a noté que les dirigeants communistes, tels que Mao Zedong, pensaient que les idées révolutionnaires correctes devaient provenir des masses. Au fur et à mesure que les discussions se sont développées et ont mûri, et avec le succès de la « Révolution islamique en Iran », Munir Shafiq et ses compagnons ont adopté la vision islamique. Cela a culminé avec la conversion de Munir Shafiq lui-même à l’Islam. La Tendance a ensuite poursuivi son rôle en formant des cellules de combat islamiques et en constituant des Brigades al-Jihad, tout en essayant d’unifier le travail avec le Mouvement du Jihad islamique de Palestine (PIJ).
***
Le livre évoque la manière dont les accords d’Oslo ont constitué un tournant, le rôle de Munir Shafiq dans la Conférence nationale islamique, et sa vision des révolutions arabes, entre autres.
Il n’est pas possible ici de passer en revue ou de discuter de nombreuses opinions politiques de Munir Shafiq, car chacune d’entre elles nécessiterait un article indépendant, y compris les polémiques sur la relation entre la démocratie et les projets de libération et de renaissance, l’évaluation des rôles d’un certain nombre de partis et de tendances, outre le rôle de Gamal Abdel-Nasser, etc.
Le lecteur du livre, ainsi que le lecteur des articles et des écrits de Munir Shafiq, remarquera l’optimisme, et le fait que l’accent est mis sur les lacunes d’Israël et des forces internationales qui le soutiennent, ainsi que sur l’équilibre des forces.
À la fin de votre lecture, vous découvrirez que Munir Shafiq n’a accordé que très peu de temps à sa vie sociale, à sa femme et à ses enfants, car il était préoccupé par les questions révolutionnaires et politiques. Il a donné beaucoup de crédit à sa femme qui a soutenu ses engagements et sa ligne politique, en supportant le fardeau de la prise en charge de leurs enfants.
Une lecture agréable !
***
*ou « sur des charbons ardents » (NdT)
Article original en anglais sur Al-Zaytouna / Traduction MR – Relecture YG
[writers slug=mohsen-mohammad-saleh]