Ce que les Occidentaux doivent comprendre sur la nécessité de la lutte armée palestinienne

Robert Inlakesh, 8 juillet 2024. Alors que le sentiment pro-palestinien grandit dans ce qu’on appelle l’Occident collectif, une attitude condescendante et pacifiste qui condamne la résistance palestinienne et ignore la nécessité de la lutte armée se développe également. Au mieux, cette perspective s’enracine dans un manque d’éducation sur la nature de ce conflit et d’autres luttes similaires contre le colonialisme de peuplement et l’apartheid.

Illustration Hadi Dbouk pour Al Mayadeen English.

L’opinion dominante acceptée aujourd’hui dans l’ensemble de l’Occident glorifie des personnalités comme Martin Luther King Jr, Nelson Mandela et Mahatma Gandhi. À première vue, cela suffirait à suggérer une sorte de solidarité générale entre les Occidentaux contre les horreurs du racisme, du colonialisme et de la ségrégation. Pourtant, les idées qui circulent sur ces individus et leurs luttes sont souvent des représentations complètement incorrectes ; elles ancrent finalement les « gentils » de l’histoire dans un ensemble d’individus pacifistes et pacifiques prêts à pardonner et à collaborer avec leurs oppresseurs.

Cette idée, selon laquelle les populations autochtones et du Sud colonisées, ou plus généralement les personnes de couleur, doivent adopter une approche libérale et pacifiste pour résister à leurs oppresseurs, est donc implantée dans la conscience collective occidentale, fondée sur ces concepts attribués aux personnes que je viens de mentionner. Alors que ce contexte moral et philosophique sous-tend les limites du soutien occidental aux luttes de libération et est incrusté dans l’esprit de ceux qui sont actuellement consternés par le génocide en cours à Gaza, il est important de défaire ce blanchiment plutôt pernicieux de l’histoire et de comprendre les dommages qu’il peut causer à l’organisation de la base populaire contre les projets racistes.

Pacifier le changement

Bien que les trois personnages historiques cités soient des individus complexes, couvrir leurs idées dans leur intégralité est une tâche bien trop lourde pour un seul article. Pourtant, il faut combattre les idées fausses délibérément répandues à propos de Gandhi, MLK et Mandela pour se défaire de la propagande.

À commencer par le Mahatma Gandhi, l’idée qui entoure ses actions et qui le présente comme le roi de la paix est pour le moins totalement inexacte. Bien qu’il soit connu pour sa philosophie sur la non-violence, ses tactiques étaient en fait, par nature, conçues pour inviter à la violence et s’appuyer ensuite sur les tendances violentes de l’oppresseur. Si nous devons être précis, la tactique de Gandhi consiste à endurer la violence de l’oppresseur et même à faire mourir ou blesser gravement des manifestants pacifiques en nombre considérable, afin de démontrer l’inégalité et l’injustice que subit un groupe. À bien des égards, il s’agit d’une philosophie suicidaire à certains niveaux, dont le but est de faire appel à la bonne volonté des masses, qui seront idéalement témoins de la violence de l’oppresseur et le forceront à changer. (1)

MLK ne ressemblait en rien à Gandhi, malgré les tentatives de le décrire comme tel. Il n’a pas non plus exclu le recours à la force comme moyen de légitime défense. Les représentations courantes le présentent comme le personnage qui « tend l’autre joue », par opposition à celles de Malcolm X « par tous les moyens nécessaires », mais il s’agit d’une comparaison simpliste et plutôt inexacte qui ne tient pas. Certes, MLK était effectivement un défenseur des formes de lutte non violentes et est surtout connu pour ses discours appelant à l’égalité, mais il n’était pas contre le recours à la force en toutes circonstances. Les gens oublient souvent que le gouvernement américain a joué un rôle dans son assassinat.

Ensuite, nous avons Nelson Mandela, qui est décrit comme l’homme de compromis qui a ignoré les horreurs de l’apartheid et a fait la paix avec ses oppresseurs. Pour commencer, les gens oublient souvent que Nelson Mandela a été qualifié de « terroriste » par les États-Unis et le Royaume-Uni, en raison de son implication dans la branche armée du Congrès national africain (ANC). Il a été l’un des premiers partisans de la lutte armée contre le gouvernement de l’apartheid en Afrique du Sud et la seule raison pour laquelle il n’a pas été davantage impliqué dans la résistance violente est due à son arrestation, survenue au cours des premières années de formation de la branche armée de l’ANC. Au cours de la bataille pour mettre fin à l’apartheid, l’ANC a lancé des attaques à la bombe, a reçu une formation et des armes de la part de nations/groupes du Sud, notamment de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Bien qu’il y ait beaucoup plus à dire sur ces personnages historiques centraux, outre la bataille pour les droits civiques aux États-Unis, l’opposition au colonialisme britannique et l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, il est important de comprendre qu’une résistance violente a fait partie de toutes ces luttes et qu’elle est systématiquement minorée ou totalement ignorée. Dans certains cas, plus que dans d’autres, la lutte armée est plus centrale, mais elle constitue systématiquement un facteur contributif. Comme l’a écrit Franz Fanon au sujet de la violence dans « Les Damnés de la Terre » :

« Le colonisé sait tout cela et rit un bon coup chaque fois qu’il se découvre animal dans les paroles de l’autre. Car il sait qu’il n’est pas un animal. Et précisément, dans le même temps qu’il découvre son humanité, il commence à fourbir ses armes pour la faire triompher. 

« Dès que le colonisé commence à peser sur ses amarres, à inquièter le colon, on lui délègue de bonnes âmes qui, dans « les congrès de culture », lui font remarquer la spécificité et la richesse des valeurs occidentales. Mais chaque fois que les valeurs occidentales sont mentionnées, elles provoquent chez l’indigène une sorte de raidissement ou de tétanité musculaire. »

Condamner le Hamas en Palestine et s’incliner devant les doubles standards des oppresseurs

Depuis le début de la guerre actuelle à Gaza, qui a commencé avec l’opération Al-Aqsa menée par le Hamas le 7 octobre, les grands médias occidentaux pro-israéliens ont cherché à commencer chaque conversation sur la question par une condamnation rituelle de la résistance palestinienne.

Pour les invités israéliens ou pro-israéliens des chaînes de télévision occidentales, une telle question ne leur est jamais posée. S’ils sont contestés, cela se fait toujours dans des limites spécifiquement conçues, dans des frontières conceptuelles de ce à quoi doit ressembler une conversation acceptable. Par conséquent, on leur demande si l’armée israélienne « va trop loin », « commet des erreurs » ou ne se conforme pas aux « normes » pertinentes. Pourquoi est-ce le cas ? Parce que le point d’entrée dans le débat dicte la façon dont la question est formulée, à savoir que la résistance palestinienne est du terrorisme et que la violence du régime sioniste est acceptable à un niveau ou à un autre, la vraie question étant de savoir dans quelle mesure les Israéliens ont « le droit » de recourir à la violence.

Les événements du 7 octobre, qui constituent un raid militaire bien préparé, ont réussi à paralyser le commandement israélien du Sud et ont infligé au total 1.139 morts, dont environ 400 contre le personnel militaire et de sécurité israélien. L’armée sioniste a également clairement infligé un nombre considérable de morts à sa propre population de colons ce jour-là, tandis que les Palestiniens en ont également tué un grand nombre.

Le nombre de non-combattants tués par les Palestiniens n’est pas établi, et aucun rapport, publié par l’ONU ou tout autre groupe indépendant de défense des droits de l’homme, n’a réussi à déchiffrer quel groupe armé ou quel Palestinien individuel qui a traversé le périmètre de Gaza ce jour-là a tué un nombre précis de non-combattants israéliens. L’entité sioniste ne permettra aucune enquête indépendante sur les événements de ce jour-là et a pris soin de s’assurer que les preuves soient également entre ses seules mains. Pourquoi ? Parce que la vérité briserait leur récit.

Un récit concocté pour servir les intérêts de la justification du génocide s’est largement répandu. Le président américain Joe Biden a évoqué le vieux désir des combattants du Hamas de tuer des Juifs, tout en diffusant les allégations israéliennes concernant des bébés décapités et toute une série d’autres mensonges de propagande ridicules. Il s’agit de présenter les Palestiniens et leurs résistants comme des sauvages, d’en faire des monstres nés différents du reste de l’humanité et qui méritent donc une méthode d’examen différente.

Pour comprendre le 7 octobre, vous avez deux manières de l’aborder. La première consiste à supposer que les Palestiniens sont « ethniquement prédisposés au meurtre et à la violence, qu’ils sont des barbares de naissance ou au niveau culturel, et que leur société est inférieure à celle de l’Occident collectif », qui inclut les Israéliens. La deuxième consiste à considérer l’opération Déluge d’Al-Aqsa comme une réaction à des décennies de violence, de nettoyage ethnique et d’apartheid, en utilisant le contexte historique pour expliquer une réaction très humaine face à un régime qui vise à détruire toutes les aspirations à un État palestinien et à ses droits fondamentaux.

Une fois que vous avez établi votre interprétation, l’étape suivante consiste à examiner la situation de manière stratégique. Pourquoi ? Parce que cela nous permet d’analyser les méthodes par lesquelles le peuple palestinien peut effectivement accéder à sa liberté. La raison pour laquelle une grande partie du monde a même un débat sur l’idée des droits des Palestiniens et de la création d’un État est à la fois due à l’opération Déluge d’Al-Aqsa et à la réaction génocidaire israélienne à son égard.

Avant le 7 octobre, la question palestinienne n’était même pas une considération de la politique internationale ; elle constitue désormais la principale question morale de cette époque. Cela signifie que la campagne militaire menée par le Hamas a réussi non seulement à infliger le coup souhaité à l’armée israélienne et à capturer des prisonniers pour les échanger avec ce qui est aujourd’hui 21.000 prisonniers palestiniens, mais aussi à relancer la cause des droits et de l’État palestiniens.

La question qui en découle est souvent : « mais pourquoi le Hamas ne dépose-t-il pas simplement les armes ? » Pour commencer, le régime israélien a exprimé son intention de commettre un génocide et le mène actuellement à Gaza, et même dans le cas où un accord d’échange de prisonniers serait signé, les Israéliens expriment leur volonté de poursuivre la guerre, pas seulement jusqu’à la « défaite du Hamas », mais jusqu’à ce qu’ils parviennent à garantir une situation dans laquelle Gaza ne sera pas gouvernée par les Palestiniens.

En plus de cela, nous avons un exemple historique de ce qui se produit lorsque la résistance palestinienne abandonne ses armes et s’enfuit. Ce scénario précis s’est produit à la fin de la guerre du Liban de 1982 – au cours de laquelle environ 20.000 Palestiniens et Libanais ont été assassinés – lorsque l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a accepté d’évacuer le Liban et de déposer les armes. Lorsque la résistance palestinienne est partie, le régime sioniste a occupé le sud du Liban, il n’y avait personne pour défendre les camps de réfugiés palestiniens, ce qui a conduit à certains des pires massacres de civils de l’histoire de tout le conflit, notamment le massacre de Sabra et Chatila qui a tué 3.500 innocents.

Sachant cela, certains Occidentaux adhèrent aux principes de gauche, comprennent une grande partie du contexte et condamnent toujours le Hamas, l’attaquant comme un « groupe de droite ». Cette analyse est née d’une ignorance totale de la société palestinienne, de la politique, de la culture et de la nature historique des mouvements de résistance. Cette attitude est aussi souvent enracinée dans une approche inculte ou inconsciemment orientaliste des groupes de résistance islamique. Le courant dominant des groupes de résistance a commencé à émerger à la fin des années 1970, alors que les groupes nationalistes arabes laïcs et marxistes n’avaient pas réussi à parvenir à la libération. C’est à cette époque qu’a également eu lieu la naissance de la République islamique d’Iran. Dans le cas de l’Iran, en passant, une grande partie des révolutionnaires étaient en fait des socialistes islamiques et des personnalités telles qu’Ali Shariati ont eu un grand impact sur leur approche idéologique, qui est souvent sortie des livres d’histoire.

L’évolution naturelle de la résistance a cédé la place aux groupes islamiques que nous connaissons tous aujourd’hui, tandis que les nationalistes arabes laïcs et les marxistes continuent d’exister au sein du bloc de résistance. Par exemple, le FPLP et le FDLP sont tous deux des partis palestiniens de gauche, dont les branches armées combattent actuellement aux côtés du Hamas, du Jihad islamique palestinien (JIP) et d’autres groupes islamiques. Même si les divers partis palestiniens existants peuvent avoir de vifs désaccords sur les questions sociales, politiques et économiques, ils sont tous solidaires dans la bande de Gaza et combattent dans le cadre d’une « salle commune » de résistance unifiée formée par le Hamas. Les armes aux mains des groupes de gauche en Palestine sont fournies par les partis islamiques, tandis que les groupes coexistent dans leur lutte commune pour la libération nationale. Cette réalité de partis coexistants avec des points de vue divergents a également existé historiquement dans divers mouvements de résistance.

Si vous soutenez l’idée selon laquelle les valeurs islamiques sont si odieuses et les partis qui y adhèrent doivent être considérés comme des indésirables de droite, alors appliquez-la également aux idéologies chrétiennes de Nat Turner ou de MLK, sur lesquelles les gauchistes occidentaux modernes seraient en vif désaccord en plusieurs points. Dans un mouvement de libération, tout le monde, ou tous les groupes ne doivent pas nécessairement être une représentation parfaite de vos propres valeurs et il y a toujours place à l’évolution. Il y a une raison pour laquelle la majorité des Palestiniens et du monde arabe soutiennent la résistance armée du Hamas. Il ne s’agit pas d’une élection de candidats locaux dans un pays occidental, mais d’une lutte de libération nationale et de la différence entre être nettoyé/exterminé ethniquement ou parvenir à la libération.

Pour conclure, si vous voulez vraiment que les Palestiniens obtiennent leurs droits et un État, la violence n’est pas une hypothèse, c’est une réalité quotidienne et même en vertu de la Quatrième Convention de Genève, ils ont le droit de résister violemment. Alors que des dizaines de civils sont massacrés chaque jour, la résistance armée n’est pas un choix. Le Hamas se trouve être le groupe le plus puissant à la tête de la résistance, donc quand on vous demande de le condamner, on vous demande de condamner la résistance palestinienne et la question n’a en réalité rien à voir avec le Hamas et ses positions politiques.

La plupart de ceux qui ont posé cette question en premier lieu ne pouvaient pas vous donner les faits les plus élémentaires sur le Hamas. Il n’y a jamais de véritable discussion sur leur idéologie, juste une caricature du « sauvage stéréotypé » qu’ils utilisent pour décrire le peuple palestinien.

Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR

(1) Note ISM : Même si Ghandi pensait qu’il était préférable de privilégier la non-violence, il n’a jamais écarté le recours à la violence dans certaines situations :

« Fight violence with nonviolence if you can and if you can’t do that, fight violence by any means, even if it means your utter extinction. But in no case should you leave your hearths and homes to be looted and burnt. » – [« Combattez la violence par la non-violence si vous le pouvez », a-t-il exhorté, « et si vous n’y parvenez pas, combattez la violence par tous les moyens, même si cela signifie votre extinction totale. Mais en aucun cas vous ne devez laisser vos foyers et vos maisons être pillés et incendiés. »]

« It is better to be violent, if there is violence in our hearts, than to put on the cloak of nonviolence to cover impotence. » – [« Il vaut mieux être violent, s’il y a de la violence dans nos cœurs, que de revêtir le manteau de la non-violence pour cacher l’impuissance. »]

Merci à Chris & Dine pour leurs ajouts, qui complètent l’article de l’auteur sur Ghandi et enrichissent la réflexion sur les concepts de violence / non violence centraux dans les luttes de libération.