Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 53 / 5 avril

Brigitte Challande, 5 avril 2024. Au matin du 5 avril, Marsel nous raconte l’histoire d’une rencontre au coin d’une rue : cette histoire met en lumière le quotidien particulier d’une vie où tous les repères sont brouillés, explosés, basculés dans cette situation de guerre génocidaire, sociocidaire, où la famine organise la vie quotidienne.

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Marsel (à g.) et M.J., le jeune médecin qu’il a rencontré par hasard.

« Au coin de la route, rêves dispersés et tentatives de survie. Après avoir dépassé cet homme de quelques mètres, je suis revenu rapidement en arrière, mais si précipitamment que je ne pouvais plus discerner mon chemin. Je suis revenu sur mes pas, son attitude et ses marchandises attirant l’essentiel de mon attention. Le jeune homme, âgé d’une vingtaine d’années, a révélé sous son chapeau des traits qu’il aurait peut-être cherché à cacher par honte. Son visage respirait l’innocence, en particulier ce sourire qui ornait son visage la plupart du temps. C’était un jeune homme sympathique, avec un sac à dos en bandoulière et, à la main, des boîtes ressemblant à des médicaments. Ses paroles m’ont arrêté, m’incitant à une double écoute pour garantir l’exactitude de ce que j’ai entendu au milieu de sa promotion de ses produits faite sur un ton doux : vitamines avec zinc, vitamine C avec zinc. À ma connaissance, je sais bien que les vitamines, comme les médicaments, nécessitent une prescription médicale. Les médicaments sont-ils devenus un produit vendu au coin des rues en raison du manque de contrôle du ministère de la Santé dans le contexte de l’état d’urgence provoqué par la guerre ?

Je me suis retourné, je l’ai salué et j’ai commencé à en apprendre davantage sur ce jeune homme et sa marchandise, qui devrait idéalement se trouver sur les étagères des pharmacies et être délivrée sur ordonnance. Dans un premier temps, j’ai essayé de tester le jeune homme. J’ai demandé une boîte de vitamines, feignant d’ignorer son contenu. Je me suis renseigné sur le contenu de la boîte, ses avantages et sa date de péremption. Ses réponses m’ont assuré que ce jeune homme est bien informé sur ses marchandises et n’est pas simplement un vendeur ambulant. Interrogé sur le moment optimal pour prendre de la vitamine C, il m’a répondu qu’elle peut être consommée à tout moment de la journée, de préférence le matin ou l’après-midi, contrairement à la vitamine D, qui doit être prise le matin avec un repas gras et une exposition au soleil. Interrogé sur la nécessité d’une prescription, il a précisé que si la vitamine D nécessite une prescription médicale et une analyse pour mesurer les taux de vitamine D avant la prescription, la vitamine C n’implique pas de tels prérequis. L’assurance du jeune homme, son discours clair et ses réponses spontanées et fondées sur ses connaissances m’ont amené à m’enquérir de son expertise et à dévoiler son histoire. Ici, dans ce coin de déplacement, convergent rêves et espoirs, désespoir et privation, génocide et naissance. Ici, les contradictions s’entrelacent pour produire de Gaza une formule chimique rare, non fabriquée mais pourtant détectable. A Gaza même, le jeune M.J. est médecin, pharmacien et géologue, animé par une profonde passion pour l’astronomie et les sciences spatiales. Il parle couramment l’anglais, le français et l’arabe, et est originaire de la banlieue est de Khan Yunis. Sa résidence de quatre étages est en ruines, ses rêves et ses certificats sont enfouis sous des tonnes de décombres.

Certains partent à la recherche d’un gagne-pain pour satisfaire la faim de leurs enfants, ils savent qu’en échange, c’est la mort et la lave de plomb qui les attend, et pourtant ils partent. Ici apparaît l’alchimie particulière du Palestinien qui le pousse à se sacrifier pour la survie des autres. »

Concernant la chaine d’information Al-Jazeera maintenant interdite en Israël par décret :

Marsel envoie une vidéo qui montre qu’Al-Jazeera a acquis des images montrant les forces d’occupation ciblant des hommes dans le nord de Gaza alors qu’ils tentaient de rassembler de l’aide alimentaire parachutée près de la barrière frontalière. « Ces hommes, qui cherchaient désespérément à soulager leur faim, ont été abattus alors qu’ils ne se trouvaient pas à proximité de véhicules militaires ou de soldats. Les images les montrent tentant d’accéder à l’aide, et leur retraite au milieu des coups de feu. Un homme, touché par balles, essaie de fuir mais succombe tragiquement, approché par deux chiens. »

https://twitter.com/i/status/1776165425924960346


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se concacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.


Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com

Les témoignages sont également publiés sur UJFP; Altermidi.org