L’accord gazier israélo-égyptien et pourquoi la normalisation est une malédiction

Robert Inlakesh, 25 décembre 2025. – Affichant un sourire triomphant, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé ce qu’il a qualifié d’accord historique avec l’Égypte. Cet accord, d’une valeur de 34,7 milliards de dollars en exportations de gaz, a affirmé la domination de Tel Aviv et a constitué une récompense pour le génocide perpétré à Gaza.

Illustration Mahdi Rteil pour Al-Mayadeen.

Malgré les conséquences sur la situation en Palestine, qui ont suscité une vive indignation, l’aspect le plus négligé de cet accord gazier réside peut-être dans ses implications pour le Caire lui-même et, plus largement, pour la question de la normalisation des relations dans le monde arabe.

L’Égypte fut jadis le centre culturel et politique de la région MENA, exerçant une influence considérable dans le monde arabe en particulier et représentant un défi actif à la domination israélienne. En 1973, l’armée égyptienne parvint à reprendre temporairement la péninsule du Sinaï, occupée illégalement depuis 1967.

Cependant, après la guerre, qui aboutit à la reconquête des territoires occupés par le régime sioniste, tant en Égypte qu’en Syrie, les deux nations ayant décidé de lancer une attaque surprise conjointe empruntèrent des voies très différentes. Le président égyptien Anouar el-Sadate décida de mettre en avant la puissance militaire de son pays pour signer un accord de normalisation, voie diplomatique pour la récupération de son territoire.

Comme c’est souvent le cas pour les dirigeants qui cherchent à normaliser leurs relations, la volonté de reconnaître l’entité occupante s’inscrit dans une stratégie visant à s’attirer les faveurs de Washington et à réaligner le pays sur son agenda régional, généralement motivé par des intérêts économiques et sécuritaires.

Dans le cas du Caire, cet accord de normalisation fut le plus important de tous, tant en termes de territoire conquis que de milliards de dollars d’aide américaine obtenus en conséquence. Des milliards de dollars provenant des contribuables américains ont été envoyés à l’Égypte par l’administration Carter, faisant de ce pays arabe le deuxième plus important bénéficiaire d’aide étrangère après Israël.

L’Égypte a également pu reconquérir le Sinaï et s’ouvrir à d’innombrables opportunités d’investissement, notamment en levant toutes les restrictions qui lui étaient imposées auparavant par les États-Unis. Pourtant, malgré l’utilisation efficace de son influence par Sadate et les avantages concrets qu’il a obtenus, le résultat escompté était loin de ce que le dirigeant prétendait avoir envisagé.

Sadate fut finalement assassiné, puis vint la dictature d’Hosni Moubarak. Le dirigeant égyptien s’est alors encore davantage rapproché du camp occidental, mettant en œuvre des réformes économiques néolibérales de la fin des années 1980 jusqu’à la chute de son régime en 2011.

Ces réformes ont certes engendré une croissance économique théorique, mais elles ont creusé le fossé entre riches et pauvres, consolidant la concentration des richesses et accentuant les inégalités sociales. La plupart de ces politiques ont été menées dans le cadre des programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, ce qui s’est traduit par une augmentation des privatisations, de la déréglementation et une réduction des dépenses publiques. C’est dans ce contexte que le régime de Moubarak a signé un accord d’exportation de gaz avec les Israéliens. Or, il ne s’agissait pas d’un accord ordinaire, mais d’un système corrompu orchestré par des hommes d’affaires égyptiens et israéliens, et il a permis de piller les ressources naturelles du pays pour une misère.

À l’époque, le gaz se vendait jusqu’à 12,60 dollars par million d’unités thermiques britanniques (MBTU). Pourtant, l’Égypte le vendait à la compagnie East Mediterranean Gas pour seulement 1,50 dollar. Résultat : des partenaires commerciaux corrompus se sont enrichis, tandis que l’Égypte a perdu environ 11 milliards de dollars. En substance, cet accord a permis au régime sioniste de bénéficier d’un gaz à un prix défiant toute concurrence, privant ainsi le peuple égyptien de tout bénéfice.

Aujourd’hui, sous la direction d’Abdel Fattah al-Sissi, l’Égypte inverse le sens du gazoduc et achètera désormais son gaz au régime occupant du nord. C’est pourquoi le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a organisé une conférence de presse spéciale pour l’annoncer, le sourire aux lèvres. Il s’agit du plus important contrat d’exportation jamais signé par Israël, une véritable récompense pour un génocide.

C’est aussi un signe de capitulation totale. Les Israéliens ont violé l’accord de normalisation de Camp David en envahissant le corridor de Philadelphie à Gaza, en commettant des attentats à la bombe dans le Sinaï et en tuant même des soldats égyptiens depuis le 7 octobre 2023.

Lorsque l’armée égyptienne a commencé à masser des forces dans le Sinaï, des groupes de réflexion pro-israéliens basés à Washington ont alors commencé à élaborer un récit justifiant une invasion israélienne du territoire.

En septembre 2024, la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), également basée à Washington, a publié un rapport accusant Le Caire d’aider le Hamas par le biais d’un réseau de tunnels menant à Gaza. Il était allégué que l’Égypte permettait au mouvement de résistance palestinien d’accroître ses capacités militaires, ce qui s’est avéré impossible sur le plan physique, comme l’a démontré l’armée israélienne elle-même.

Des personnalités israéliennes incitaient également à la guerre fin 2024, alors que le mouvement de colonisation israélien continuait de prôner la réoccupation de la péninsule du Sinaï. La semaine dernière, Yishai Fleisher, un leader de la communauté de colons illégaux d’al-Khalil, a même publié une vidéo sur les réseaux sociaux pour défendre cette position.

Bien que la situation politique actuelle ne permette pas une prise de contrôle sioniste du territoire égyptien, comme nous l’avons constaté dans le sud de la Syrie au cours de l’année écoulée, dès qu’une telle opportunité se présentera, de nouvelles terres seront annexées.

Ce qui est arrivé à la nation qui fut jadis un pilier du monde arabe est le triste et inévitable récit de la normalisation israélienne et de la capitulation face aux exigences américaines. Les États-Unis ont enrôlé l’Égypte grâce à une aide massive, puis ont exigé des réformes et l’achat d’équipements par l’armée égyptienne, de manière incohérente, auprès de nombreux pays. Le FMI et la Banque mondiale accordent des prêts, mais cherchent ensuite à remodeler le pays selon leur modèle. Lorsque cela perdure, combiné à des pratiques commerciales qui exploitent la population, il en résulte un système asservi aux États-Unis. Malgré les investissements des pays arabes du Golfe et d’autres acteurs, la construction de complexes et de nouveaux quartiers destinés aux plus fortunés, ainsi que d’autres projets en cours dans le pays, l’Égypte demeure dans une situation de précarité permanente. Malheureusement, son déclin s’accentue et les risques sécuritaires potentiels liés à ce déclin augmentent de façon exponentielle.

L’Égypte sert ainsi de modèle pour la normalisation. L’aspect le plus préoccupant réside peut-être dans les conséquences pour les autres pays qui empruntent cette voie. Comme mentionné précédemment, l’Égypte s’est engagée dans la normalisation depuis une position de relative force, ce qui lui a permis de regagner du territoire et de recevoir des milliards d’aide étrangère.

L’entité sioniste cherche désormais à normaliser ses relations avec le Liban et la Syrie, deux pays en position de faiblesse qui seront contraints de faire des concessions pour parvenir à un tel accord, sans rien recevoir en retour. Les États-Unis leur apporteront une aide bien moindre qu’ils n’en ont apporté à l’Égypte, et même si les Égyptiens avaient clairement des atouts à faire valoir à l’époque, il suffit de voir où ils en sont aujourd’hui.

Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR