Gaza est empoisonnée par les déchets

Israël contrôlant toutes les principales décharges de Gaza, 900.000 tonnes de déchets solides ont été déversées dans l’enclave, aggravant la situation sanitaire déjà dramatique.

Abdel Qader Sabbah et Sharif Abdel Kouddous, 16 décembre 2025. La tente délabrée d’Amin Sabri se trouve parmi plusieurs autres, au pied d’une colline d’ordures en décomposition d’environ 7,5 mètres de haut, en plein cœur de Gaza-ville. Des enfants pieds nus, les vêtements couverts de crasse, courent à proximité. Les mouches pullulent et la puanteur des ordures imprégne l’air.

Des tas d’ordures jonchent les rues près du stade Yarmouk à Gaza, le 10 décembre 2025. (Capture d’écran de la vidéo d’Abdel Qader Sabbah, à voir sur l’article original)

« Voici ma tente et voici la décharge en face de laquelle je vis », déclare Sabri à Drop Site. « Nous ne dormons ni la nuit, ni le jour, à cause des ordures. L’odeur est omniprésente et nos enfants sont malades. Ils souffrent de violents maux de tête. Nous sommes confrontés à une infestation de germes et d’insectes. »

Ces deux dernières années, l’armée israélienne a systématiquement détruit l’infrastructure civile de Gaza, y compris les services de gestion des déchets. D’immenses tas d’ordures se sont accumulés dans toute l’enclave. Les marchés autrefois animés et les rues ombragées ont laissé place à d’interminables montagnes d’ordures, aggravant considérablement la crise environnementale et sanitaire à Gaza.

Avant la guerre, la collecte des déchets à Gaza était coordonnée par le site de transfert de Yarmouk, situé près du stade municipal, et les déchets étaient transportés vers la décharge de Johr El-Deek. Johr El-Deek étant maintenant inaccessible – située à l’est de la « ligne jaune » occupée par les forces militaires israéliennes –, le site de Yarmouk a été transformé en une immense décharge. Les quelques camions-bennes encore en service à Gaza grimpent jusqu’au sommet du site de Yarmouk et y déversent chaque jour davantage d’ordures non traitées. Certaines communautés ont recours à l’incinération des déchets, ce qui libère des fumées toxiques dans l’air. Des enfants courent sur les collines d’ordures en décomposition, cherchant à récupérer ce qu’ils peuvent.

« Nous avons été déplacés de la ville de Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza, et nous sommes arrivés à Gaza-Ville. Nous avons constaté que les déplacés étaient entassés aux quatre coins de la bande de Gaza. Nous avons été contraints de vivre au milieu des ordures, dans la décharge de Yarmouk, gérée par la municipalité de Gaza », raconte Sabri. « Nous pensions trouver refuge dans un endroit sûr, un endroit décent. Mais nous avons été forcés de venir ici ; il n’y a nulle part où aller. Nous avons été contraints de rester dans cette décharge, au milieu des ordures et des déchets… Je souffre à cause de cette décharge. Je souffre des germes, des rats et des chiens. Chaque jour, je trouve 20 ou 30 rats à l’intérieur de ma tente, en plein dedans. Je n’ai même pas une tente digne d’y vivre. »

Sabri précise que les récentes tempêtes hivernales et les inondations à Gaza aggravent encore la situation. « Nos enfants sont tombés malades ; ils ont tenu bon, mais cette odeur forte et nauséabonde continue de nous parvenir, bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Quand il pleut, les eaux usées se déversent sur nous. Quand il pleut, tout cela nous retombe dessus », a-t-il expliqué.

Amin Sabri n’est qu’un parmi tant d’autres Palestiniens déplacés à Gaza, contraints de vivre à proximité d’une décharge improvisée. Gaza, le 10 décembre 2025. (Capture d’écran de la vidéo d’Abdel Qader Sabbah, à voir sur l’article original.)

Avant même la guerre, Gaza était confrontée à de graves problèmes de gestion des déchets, avec seulement trois grandes décharges déjà saturées. Ces trois décharges restent inaccessibles, même après le cessez-le-feu, car elles se situent dans des zones désormais contrôlées par l’armée israélienne. Tout au long de l’attaque israélienne, des dizaines de décharges temporaires et surchargées ont été utilisées dans des zones densément peuplées. Entre octobre 2023 et novembre 2025, environ 900.000 tonnes de déchets solides ont été produites et déversées dans ces décharges de fortune à travers Gaza, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

La grande majorité des véhicules de collecte et de transport des déchets à Gaza, déjà insuffisants avant la guerre, ont également été détruits : on en comptait 261 avant la guerre, contre seulement 48 aujourd’hui, toujours selon le PNUD. Le nombre de conteneurs à déchets est passé de 7.300 à 900, tandis que le nombre d’engins de déchargement est tombé à zéro, contre 18 auparavant. Malgré l’accord de cessez-le-feu conclu il y a deux mois, Israël bloque l’acheminement de nouveaux approvisionnements : « L’entrée des camions de collecte des déchets, des équipements de collecte des déchets médicaux, ainsi que des machines et outils de traitement reste suspendue, de même que celle d’autres fournitures essentielles telles que les pièces détachées pour les points de collecte et les conteneurs à déchets », a indiqué le PNUD dans un rapport publié ce mois-ci.

Ce rapport du PNUD lance également un avertissement alarmant concernant les pluies hivernales et les inondations qui frappent Gaza depuis plusieurs semaines. « À l’approche de l’hiver, la situation engendre de nouveaux défis. Les pluies et les inondations risquent de disperser les déchets accumulés dans les communautés environnantes et de contaminer les sources d’eau », précise le rapport. « Les systèmes de drainage obstrués et les déchets non collectés augmentent le risque de maladies hydriques et entravent l’accès aux abris. Sans une collecte des déchets régulière et un traitement sûr, les risques pour la santé publique devraient s’aggraver cet hiver. »

Quelque 350.000 tonnes de déchets solides se sont accumulées dans la seule ville de Gaza, selon Hosni Mhana, porte-parole de la municipalité. « Gaza-Ville est aujourd’hui confrontée à une série de crises graves, dont la principale est celle de l’accumulation extrême de déchets », a déclaré M. Mhana à Drop Site. « L’occupation israélienne empêche les équipes municipales d’accéder à la principale décharge située à l’est de la ville, dans le quartier de Johr El-Deek. De ce fait, la municipalité a été contrainte de stocker les déchets en plein centre-ville, transformant ainsi ces déchets accumulés en une bombe à retardement placée au cœur même de la ville

Les décharges de Gaza étant inaccessibles en raison du contrôle militaire israélien, des montagnes d’ordures se sont accumulées au centre de la ville. 10 décembre 2025. (Capture d’écran de la vidéo d’Abdel Qader Sabbah, à voir sur l’article original.)

Mhana insiste sur les crises engendrées par l’accumulation de déchets solides.

« Premièrement, il s’agit d’un danger pour l’environnement et la santé publique en raison de la propagation accélérée des maladies et des épidémies qui en découlent pour les populations environnantes. Deuxièmement, la prolifération d’insectes et de rongeurs, ainsi que les odeurs nauséabondes, constituent un problème majeur. Aujourd’hui, ces déchets menacent la vie des habitants et des personnes déplacées vivant à proximité, notamment compte tenu de la crise de l’eau, qui demeure indispensable au nettoyage et à la désinfection. »

L’armée israélienne a également détruit des centaines de milliers de mètres du réseau d’égouts de Gaza, ainsi que la quasi-totalité des stations de pompage et de traitement des eaux usées. « Le réservoir de Sheikh Radwan est devenu un terrain propice à la propagation des maladies et des épidémies, en raison de l’accumulation d’eaux usées et de leurs fuites dans ce réservoir, initialement conçu pour la collecte des eaux pluviales », déclare Mhana. « Plus de 95 % des infrastructures de la ville de Gaza ont été détruites par la guerre génocidaire menée par l’occupation israélienne pendant deux années consécutives. Il en résulte une situation extrêmement dangereuse, un effondrement quasi total des services essentiels », ajoute-t-il. « La municipalité doit aujourd’hui relever des défis majeurs, notamment celui de gérer la crise de l’accumulation des déchets dans le centre-ville. »

Rayan El Amine a contribué à ce reportage. Sami Vanderlip a réalisé le montage vidéo.

Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR