Robert Inlakesh, 13 décembre 2025. Un an s’est écoulé depuis la chute du précédent régime syrien. Durant cette période, les conflits internes ont fait rage, occultant le fait que les Israéliens ont occupé d’immenses portions de territoire et agissent en toute impunité à l’intérieur du pays.
En un an, l’entité sioniste a conquis plus de 400 kilomètres carrés de territoire dans le sud de la Syrie. Hormis quelques cas isolés de résistance locale contre le régime occupant, elle n’a rencontré aucune opposition. De fait, un tel recul face à une campagne ouverte d’occupation du territoire et de spoliation de la souveraineté nationale confère à la Syrie une situation inédite dans l’histoire.
En Syrie, selon de récents sondages, 96 % de la population a une opinion négative du régime israélien. Si l’on considère le soutien apporté aux acteurs non étatiques en Syrie et les campagnes de propagande ciblant les minorités, il est clair que le peuple est uni dans son rejet de ce régime. Aucune tromperie, aucune tentative de corruption des dirigeants ne saurait changer ce fait aux yeux de la majorité du peuple syrien.
Même les plus fervents partisans du président syrien, Ahmed al-Charia, ont scandé à maintes reprises des slogans contre les Israéliens et en faveur de Gaza. Il est donc paradoxal que la plupart d’entre eux semblent incapables de critiquer leurs dirigeants pour avoir tenu des réunions directes avec des responsables israéliens, invité des délégations sionistes, autorisé des citoyens israéliens à visiter Damas et même fait visiter des sites militaires à un journaliste israélien.
Le comportement des dirigeants syriens vis-à-vis des États-Unis est également en totale contradiction avec le discours et la rhétorique adoptés par nombre de combattants de la coalition au pouvoir, Hayat Tahrir al-Sham. Autrement dit, on ne peut pas, d’un côté, clamer son soutien à la libération de la Palestine et prétendre mener une guerre à motivation religieuse, et de l’autre, faire des concessions [littéralement] au CENTCOM. Même en justifiant ce comportement par le sectarisme ou le nationalisme, on ne comprend pas la dissonance cognitive qui se manifeste ici.
Cela étant dit, il est clair que les Syriens finiront par être contraints de résister à leurs occupants. Jusqu’à présent, malgré les promesses de prospérité économique et les concessions faites à l’Occident pour obtenir la levée des sanctions américaines injustes contre la Syrie, le redressement spectaculaire de l’État ne s’est pas concrétisé. Dépendre des États-Unis est également une stratégie vouée à l’échec. Il est évident que Washington utilise la menace des sanctions pour maintenir Damas sous sa coupe.
Les Israéliens parviendront-ils à conquérir Damas ?
Une autre menace évidente réside dans le fait que si les dirigeants syriens cessent d’être utiles aux Israéliens et deviennent au contraire une source de problèmes, il est fort probable que Tel-Aviv ordonne l’assassinat d’Ahmed al-Charia. Cependant, une frappe aérienne directe sur sa position ne serait pas le moyen le plus probable d’atteindre cet objectif, car elle déclencherait presque certainement une réaction.
Au lieu de cela, comme l’évoquent de plus en plus fréquemment divers analystes militaires et groupes de réflexion israéliens, il est plus probable qu’une opération d’assassinat soit menée sur le terrain, par le biais de groupes interposés ou en tentant d’en imputer la responsabilité à un groupe spécifique.
Bien qu’il soit également plausible que n’importe quel groupe armé tente d’assassiner le dirigeant syrien actuel, compte tenu des nombreux griefs entre les différentes organisations du pays, une opération israélienne demeure une possibilité très probable. Si une telle opération réussissait, on estime qu’une lutte de pouvoir éclaterait presque immédiatement entre les groupes syriens rivaux. Alors que ces batailles commencent à déterminer le futur leadership, les Israéliens auront carte blanche pour mener des incursions profondes en territoire syrien. Non seulement ils parviendront probablement à se frayer un chemin direct vers Soueïda, au sud, mais si les conditions le permettent, une tentative d’entrée sur Damas pourrait également se développer.
À l’heure actuelle, une telle opération se heurterait à une défense unie et Ahmed al-Charia n’aurait d’autre choix que de réagir. C’est pourquoi elle n’aura pas lieu. Cependant, pour les Israéliens, hisser leur drapeau dans la capitale syrienne revêtirait une importance symbolique considérable pour leur vision du « Grand Israël ». Il est clair qu’ils ne s’y installeraient pas durablement, mais il est certain qu’ils chercheraient à immortaliser ce moment par une photo.
Pour les Israéliens, de telles victoires symboliques sont d’une grande importance. L’année dernière, lors de son invasion terrestre ratée au Sud-Liban, de nombreux analystes israéliens ont déploré l’incapacité de l’armée israélienne à atteindre le fleuve Litani et ont rappelé qu’avant l’arrivée du Hezbollah, elle avait pu atteindre Beyrouth et y planter un drapeau israélien.
À la fin de la guerre d’octobre 1973, l’armée israélienne a violé le cessez-le-feu sous la menace directe d’une intervention soviétique pour soutenir l’Égypte. L’Union soviétique avait promis d’intervenir si elle s’approchait à moins de 100 kilomètres du Caire. L’armée sioniste a reçu l’ordre de s’approcher à moins de 99 kilomètres de la capitale égyptienne et de bloquer une portion de la route Suez-Le Caire.
Il est clair que les dirigeants syriens n’oseront pas lancer de campagne défensive contre l’armée israélienne à l’heure actuelle ; ils refusent même de menacer d’une riposte militaire. Ils cherchent plutôt à agir par l’intermédiaire des États-Unis pour tenter d’apaiser les Israéliens et les dissuader de leur créer des problèmes. Si l’on en croit les médias israéliens en hébreu, il est clair qu’ils perçoivent la Syrie non comme un pays, mais comme une région à exploiter. À leurs yeux, il s’agit d’un territoire qu’il convient d’aborder avec prudence, mais qui ne représente pas une menace majeure, si ce n’est la possibilité que des milices armées décident un jour de retourner leurs armes contre eux.
Nous assistons actuellement à la fin de la période faste qu’Israël a connue avec la nouvelle Syrie. Cette période a permis l’occupation massive du territoire syrien, tandis qu’Israël a cherché à instrumentaliser les divisions sectaires à son avantage.
Malgré la mobilisation des forces armées syriennes, aux côtés de milices alliées et de combattants tribaux bédouins, pour combattre leurs compatriotes, elles n’ont jamais été déployées pour faire face à la principale menace pesant sur la souveraineté nationale. Au lieu de cela, ces forces ne sont mobilisées que pour combattre les Alaouites dans les régions côtières, ou, pour le plus grand plaisir des Israéliens, les Druzes à Soueïda.
Il convient de rappeler que le gouvernement syrien actuel est dirigé par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une nouvelle appellation du Front al-Nosra. Ce dernier était officiellement soutenu par l’entité sioniste et ses combattants ont même bénéficié de soins médicaux dans des hôpitaux de campagne israéliens. En 2013, le régime occupant a commencé à soutenir plus d’une douzaine de groupes d’opposition syriens, dont beaucoup étaient affiliés à Al-Qaïda, voire à Daech à différentes phases du conflit.
Ce qui a convaincu les milices druzes de rejoindre Bachar al-Assad dans cette guerre, ce sont les massacres sectaires perpétrés contre leur peuple. Aujourd’hui, les Israéliens s’immiscent dans la situation, se présentant comme les sauveurs des Druzes syriens, suite aux attaques perpétrées par plusieurs groupes militants qu’ils soutenaient autrefois. Autrement dit, les sionistes sont prêts à instrumentaliser n’importe qui, n’importe quand, en fonction des avantages qu’ils peuvent en retirer.
Dès 2013, les Israéliens ont commencé à élaborer plusieurs plans pour leur nouvelle « zone tampon » en Syrie et ont manifesté un intérêt particulier pour le soutien d’un régime druze fantoche. Ce régime leur permettrait d’établir une voie d’approvisionnement directe vers ce territoire, à travers le Golan occupé. L’entité sioniste a ensuite profité des gains territoriaux des Forces démocratiques syriennes (FDS), à majorité kurde, dans le nord-est du pays, en nouant également des relations avec elles.
Le plan visant à démembrer l’État syrien en une série de régimes sectaires dysfonctionnels – tous contraints de dépendre de l’aide étrangère pour fonctionner – a été élaboré il y a plus de dix ans. Ce n’est pas un hasard si l’armée de l’air israélienne a lancé sa plus vaste campagne aérienne jamais menée contre la Syrie, détruisant la majeure partie des ressources militaires et de l’arsenal stratégique du pays, le jour même de la chute de l’ancien régime. Cette opération aérienne avait été planifiée des années auparavant, mais n’avait jamais eu lieu faute d’occasion.
Maintenant que le pays est plongé dans le chaos et la division, l’objectif d’Israël est d’exacerber les conflits internes, puis de saisir l’opportunité de grignoter encore davantage les ressources de la Syrie. À moins qu’une force de résistance crédible n’émerge en Syrie, le pays continuera d’être soumis à la volonté de « Tel Aviv ».
Pourtant, face au refus manifeste de nombreux Syriens d’admettre que leur gouvernement a cédé aux pressions américaines et israéliennes, il faudra peut-être l’arrivée des chars Merkava à Damas pour qu’ils prennent conscience de la catastrophe qui frappe leur nation. C’est une vérité difficile à accepter, mais la Syrie est tout autant un pays occupé que la Palestine.
Article original en anglais sur Al Mayadeen / Traduction MR
