Partager la publication "La présidence d’Aoun et le nouvel ordre américano-saoudien au Liban"
Ibrahim Al-Amine, 12 décembre 2025.- L’accession du général Joseph Aoun à la présidence a marqué le début officiel d’une nouvelle phase de tutelle américano-saoudienne sur le Liban. Il s’est imposé comme le seul candidat ouvertement soutenu à la fois par Washington et Riyad. Pourtant, son ascension n’était pas garantie ; avant le cessez-le-feu et la chute soudaine du régime syrien, une contre-offensive soutenue par le Qatar et menée par le Hezbollah, le mouvement Amal, le Courant patriotique libre et plusieurs indépendants a brièvement menacé de bloquer son accession au pouvoir. Une fois la guerre au Liban terminée et Damas effondré, l’axe régional soutenant Aoun s’est empressé d’imposer les conditions politiques de la nouvelle ère au Liban.

12 décembre 2025. Frappes israéliennes incessantes au sud Liban (source vidéo Motasem Dallul sur X).
Ce changement est devenu manifeste dès l’atterrissage d’un avion saoudien à Beyrouth, transportant Aoun à Riyad. Accueilli par le prince Yazid ben Farhan, il a été conduit à une rencontre avec le ministre de la Défense, Khalid ben Salmane, où le message a été transmis sans cérémonie : Washington, Riyad et d’autres acteurs régionaux clés s’étaient accordés sur sa présidence. Le recours au Qatar fut bloqué, le président du Parlement, Nabih Berri, penchait déjà pour le soutenir, et toute obstruction restante serait traitée directement. Aoun comprit qu’il ne s’agissait pas d’un simple soutien, mais d’une exigence de consensus quasi total, renforcée par la maîtrise du dossier libanais dont faisait preuve le prince bin Farhan, un rappel subtil que Riyad le surveillait depuis des années.
Les conditions saoudiennes étaient claires : le Hezbollah ne serait pas admis au sein du nouveau gouvernement, Saad Hariri et son parti ne reviendraient pas, et ni Gebran Bassil ni Sleiman Frangieh ne siégeraient dans le premier cabinet. Najib Mikati, en revanche, restait acceptable. De retour à Beyrouth, Aoun s’empressa de communiquer avec le Hezbollah et d’établir des contacts avec les Forces libanaises, tout en refusant de rendre visite à Samir Geagea à son domicile. Les Saoudiens proposèrent une solution : une rencontre à la résidence de l’ambassadeur saoudien avec la députée Strida Geagea, à laquelle Samir Geagea pourrait se joindre discrètement. C’est ainsi que la rencontre eut lieu.
Geagea se présenta à la réunion prêt à négocier. Il exigea une part significative au gouvernement, une influence sur les nominations chrétiennes et la promesse qu’Aoun ne formerait aucun parti politique et ne présenterait aucun candidat aux élections législatives. Aoun, peu enclin à ouvrir un nouveau front, avait déjà assuré Washington que le problème des armes du Hezbollah serait réglé sous trois mois et avait promis à Riyad de ne pas s’allier avec le parti. Obtenir le soutien de Geagea en ajoutant une promesse supplémentaire ne lui coûta guère plus. Son véritable objectif était d’atteindre Baabda avec un minimum de résistance, de s’assurer une position dominante sur les nominations militaires et sécuritaires et d’utiliser la présidence pour redorer l’image du Liban auprès des capitales arabes et de ses partenaires occidentaux.
L’étape suivante consista à destituer Mikati et à installer Nawaf Salam au pouvoir, une manœuvre orchestrée conjointement par la France et l’Arabie saoudite et acceptée par les États-Unis. Le gouvernement de Salam visait à rompre radicalement avec le passé, et il s’est rapidement impliqué dans les négociations finales habituelles du Liban : un accord privé avec Gebran Bassil et une convention prévoyant l’inclusion de représentants de Marada, du Hezbollah et d’Amal, tous choisis par ses soins. Lui et Aoun reconnaissaient que cette nouvelle phase exigeait le démantèlement de l’Accord de Doha, à commencer par le « tiers bloquant » sur lequel le Hezbollah s’était appuyé pendant plus d’une décennie pour maintenir l’équilibre au sein du gouvernement. L’affaiblissement du poids politique du Hezbollah a commencé non pas sur le champ de bataille, mais autour de la table des ministres, en limitant son influence et en l’obligeant à accepter des ministres non belligérants.
Un arrangement hybride se mit rapidement en place. Salam fut tenu à l’écart des négociations avec Israël et des dossiers clés relatifs à la sécurité et aux affaires militaires. Ces derniers restèrent fermement entre les mains d’Aoun, y compris les nominations importantes et même les candidats privilégiés au ministère de l’Intérieur. Cette nouvelle tutelle laissait entrevoir sa volonté de restaurer certains pouvoirs présidentiels érodés depuis Taïf. Salam ne le comprit pleinement que lorsque Karim Saeed fut nommé gouverneur de la banque centrale sans son approbation. Les tensions s’accrurent entre les deux hommes, mais les pressions saoudiennes permirent d’éviter une rupture.
Pourtant, en quelques mois, il devint évident que le paysage politique n’avait pas évolué comme prévu. Le Hezbollah n’avait pas disparu et les partis marginalisés restaient profondément ancrés dans leurs communautés. Les élections municipales confirmèrent que la carte politique était sensiblement la même qu’avant la guerre. Face à cette réalité, le nouvel axe dirigeant chercha à simplifier le discours et réduisit le débat national à un seul point : l’armement du Hezbollah. Les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste, les indépendants sunnites et plusieurs députés du mouvement « Changement » se sont ralliés à une campagne de désarmement, éludant la question bien plus épineuse du système politique qui devait gouverner le Liban dans cette nouvelle ère. Le dossier des armes est devenu un foyer de divisions internes et le moyen le plus simple de masquer l’absence de modèle de gouvernance.
Le Hezbollah, de son côté, s’est attaché à limiter les dégâts. Il s’est concentré sur le renforcement de ses capacités et a évité les affrontements internes susceptibles de compromettre sa stratégie à long terme, tout en repoussant la question cruciale qui restait sans réponse : quelle formule politique pourrait assurer la pérennité du Liban sous une tutelle étrangère renouvelée ?
Un an après la mise sous tutelle ouverte des États-Unis et de l’Arabie saoudite, le Liban demeure sans système de gouvernance clair, sans plan pour remédier à l’effondrement économique et financier, et sans protection face à une guerre qui continue de progresser sur son front sud. À l’est, le front syrien, qui reprend de plus belle, menace de replonger le Liban dans des cycles de conflit civil. Des cycles qu’Israël considère comme essentiels à sa guerre contre la résistance.
Article original en anglais sur Al-Akhbar / Traduction MR