Seule la justice peut servir de fondement à un cessez-le-feu – Comprendre le rejet des conditions d’Israël par le Hamas

Ranjan Solomon, 11 décembre 2025. Le dernier cycle de négociations de cessez-le-feu à Gaza a échoué sous le poids d’exigences impossibles, de violations israéliennes de plus en plus graves et d’une catastrophe humanitaire qui s’aggrave d’heure en heure. Les médias présentent le rejet du cessez-le-feu par le Hamas comme de l’obstination ou une manœuvre politique. Mais la réalité est bien plus complexe, plus tragique et profondément ancrée dans l’offensive incessante qui ravage Gaza depuis plus de deux ans. Un cessez-le-feu négocié sous les décombres, sous le feu des drones et de l’artillerie, ne saurait être un chemin vers la paix. Il s’agit simplement d’exiger que l’occupé se soumettent à la logique de son occupant.

Khaled Meshaal interviewé par Mawazine, pour Al-Jazeera le 10.12.2025.

Ce qui se déroule aujourd’hui à Gaza n’est pas un simple conflit militaire, mais la destruction systématique d’un peuple. Selon les agences de l’ONU, au 7 octobre 2025, le bilan des morts a dépassé les 67.173, dont près de 70 % sont des femmes et des enfants. Plus de 18.000 enfants ont été tués – des chiffres inimaginables. Israël a bombardé des hôpitaux, des convois humanitaires, des abris de l’ONU, des usines de dessalement, des réseaux d’assainissement et des boulangeries. Environ 80 % de la population de Gaza a été déplacée, souvent à plusieurs reprises, repoussée d’une zone dévastée à une autre. Dans un tel contexte, un accord de cessez-le-feu qui ne garantit ni dignité, ni sécurité, ni souveraineté n’est pas un cessez-le-feu, mais une simple pause dans un conflit de longue durée.

Pour comprendre le rejet de la proposition par le Hamas, il faut en comprendre le contenu. Israël insiste sur le droit de pénétrer à nouveau dans n’importe quelle zone de Gaza à sa guise, même en période de calme supposé. Il exige le droit de poursuivre la surveillance par drones, de détenir qui bon lui semble et de refuser le retour des familles déplacées dans le nord de Gaza. Il refuse de s’engager sur un retrait complet des troupes ou sur la mise en place de droits politiques durables. En réalité, Israël veut un cessez-le-feu lui permettant de tout contrôler – circulation, territoire, reconstruction, flux migratoire, maintien de l’ordre – tout en n’offrant aux Palestiniens qu’une réduction momentanée des bombardements. Aucun progrès concernant les prisonniers, aucune fin définitive des hostilités, aucun cadre de reconstruction significatif, aucune perspective politique.

Il est difficile d’imaginer un seul Palestinien, militant ou civil, prendre le risque d’accepter de telles conditions. Khalid Meshal a été catégorique lorsqu’il a averti que « la dynamique des négociations de cessez-le-feu pourrait s’essouffler à l’approche de la fin de la première phase ». On ne peut pas laisser Israël commettre des atrocités en toute impunité et s’attendre à ce que le Hamas reste les bras croisés, incapable de se défendre et de protéger sa population. Les auteurs de tels actes s’affranchissent souvent des contraintes éthiques pour remporter la victoire. Israël adhère au principe défendu par les théoriciens de la géopolitique, selon lequel la guerre s’affranchit de toute morale conventionnelle et repose sur des principes de pur intérêt et de survie. Pour Israël, « l’éthique » est secondaire par rapport à la réalisation d’objectifs stratégiques. Israël n’hésite donc pas, le plus souvent, à bafouer les principes éthiques pour remporter la victoire.

Le monde oublie souvent que les négociations de cessez-le-feu ne sont pas de simples exercices diplomatiques. Elles s’enracinent dans des vies déjà brisées. À Khan Younis, une mère nommée Lina a raconté avoir passé dix jours à chercher ses deux enfants après qu’une frappe aérienne a détruit leur rue. Elle a retrouvé sa fille à l’hôpital, vivante mais brûlée. Son fils, lui, n’a jamais été retrouvé. Interrogée sur son soutien à un cessez-le-feu, elle a répondu : « Un cessez-le-feu qui les inciterait à nous bombarder à nouveau ? Qu’ils arrêtent la guerre pour de bon, ou qu’ils nous laissent enterrer nos morts en paix.» Sa douleur n’est pas un argument politique. Mais derrière ses mots se cache la dure réalité de Gaza : les habitants ne veulent pas une pause, mais la fin du conflit.

Les violations israéliennes commises pendant les négociations ont encore davantage discrédité le processus. Alors que les délégations faisaient la navette entre Le Caire et Doha, Israël a bombardé Rafah à plusieurs reprises, malgré ses assurances données aux médiateurs que la ville resterait intacte pendant les pourparlers. Des rapports d’organisations humanitaires indiquent que des convois d’aide ont été touchés, tuant des travailleurs et plongeant des populations entières dans la famine. Amnesty International a documenté que les forces israéliennes ont ouvert le feu sur des civils faisant la queue pour du pain et de l’eau à Deir al-Balah et Jabalia. Il ne s’agit pas d’« erreurs » isolées ; elles s’inscrivent dans une stratégie plus large consistant à utiliser la famine, les déplacements de population et les châtiments collectifs comme armes de guerre. Dans un tel contexte, exiger des Palestiniens qu’ils croient aux promesses israéliennes relève du cynisme. Le fait qu’Israël ait commis 738 violations des accords de cessez-le-feu illustre le caractère asymétrique de ces relations.

Il faut comprendre la position du Hamas dans le contexte plus large de la vie politique palestinienne. Le mouvement ne négocie pas uniquement pour son propre compte ; il négocie face à une population qui a subi des pertes inimaginables. Tout accord qui laisserait Israël contrôler l’avenir de Gaza serait perçu comme une capitulation. Alors que les capitales occidentales insistent sur le fait que le Hamas est seul responsable du rejet d’un cessez-le-feu, elles occultent délibérément le fait qu’un cessez-le-feu, pour être significatif, doit être réciproque. Il doit contraindre la partie disposant d’un avantage militaire écrasant. Or, la proposition n’offre aucune contrainte de ce type. Au lieu de cela, elle cherche à légaliser la poursuite des opérations militaires israéliennes sous couvert d’une trêve.

La situation humanitaire ne fait qu’aggraver cette réalité. L’ONU a averti que la crise alimentaire à Gaza a déjà dépassé le stade de la famine. Des enfants meurent de déshydratation. Des parents font bouillir de l’herbe, broient des aliments pour animaux et brûlent du plastique pour cuisiner. Des médecins rapportent avoir amputé des membres sans anesthésie et pratiqué des interventions chirurgicales d’urgence à la lumière de leurs téléphones portables. L’Organisation mondiale de la santé décrit le nord de Gaza comme un « cimetière pour enfants » car l’acheminement de nourriture et de médicaments est bloqué. Ces éléments sont indissociables des négociations de cessez-le-feu. Le siège imposé par Israël fait partie intégrante du champ de bataille, et tout cessez-le-feu qui ne lève pas le siège ne fait que prolonger les souffrances humanitaires.

Le droit international est sans équivoque sur ce point. La Quatrième Convention de Genève interdit les châtiments collectifs, les déplacements forcés, la famine comme méthode de guerre et le ciblage des infrastructures civiles essentielles à la survie. Le comportement d’Israël remplit tous ces critères. La Cour internationale de Justice a émis des mesures conservatoires, avertissant que les actions d’Israël sont vraisemblablement génocidaires. Pourtant, la proposition de cessez-le-feu ne prévoyait aucun mécanisme de responsabilisation, pas même un engagement à autoriser des enquêtes indépendantes. Pour les Palestiniens, cette omission n’est pas technique, elle est existentielle. Elle signifie que le monde attend d’eux qu’ils négocient dans un vide moral, où la justice n’a pas sa place.

Les États-Unis, principal allié d’Israël, ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de cette proposition. Au lieu d’exiger de la retenue de la part d’Israël, ils ont permis à ce dernier de rédiger des conditions préservant tous les leviers de son contrôle militaire. Les déclarations de Washington ont présenté le Hamas comme le seul obstacle, passant sous silence les bombardements en cours. En refusant de faire respecter ses propres lignes rouges, les États-Unis ont sapé la crédibilité de l’ensemble du processus. L’Europe a adopté la même stratégie, appelant au calme tout en maintenant ses ventes d’armes et son soutien diplomatique. C’est cette hypocrisie qui creuse le fossé entre la rhétorique occidentale et la réalité palestinienne.

Dans ce contexte, la voix des familles palestiniennes demeure le pilier moral. Au camp de Nuseirat, un enseignant déplacé nommé Samir a décrit ses attentes vis-à-vis des négociations : « Qu’ils arrêtent de nous tuer. Laissez-nous rentrer chez nous. Que nos enfants puissent dormir sans crainte. Si ces droits ne sont pas garantis, à quoi sert un cessez-le-feu ?» Ses paroles constituent la critique la plus simple et la plus cinglante des pourparlers. Elles nous rappellent que le cessez-le-feu n’est pas un trophée politique ; c’est le droit fondamental d’un peuple à vivre.

Le refus du Hamas n’est donc pas un refus de la paix. C’est un refus d’un cadre qui a consolidé l’occupation, protégé la domination militaire israélienne et n’a offert aux Palestiniens qu’un répit temporaire. Un cessez-le-feu sans justice n’est qu’une parenthèse entre deux massacres. Les revendications des Palestiniens sont simples : la cessation totale des hostilités, le retrait des troupes, le retour des familles déplacées, l’accès humanitaire, la reconstruction des maisons, la libération des détenus et un véritable chemin vers la liberté politique. Il ne s’agit pas d’exigences maximalistes, mais des conditions minimales de survie humaine.

Il incombe désormais à la communauté internationale de cesser de prétendre que des négociations peuvent se poursuivre alors que Gaza est en proie aux flammes. Faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils acceptent des conditions injustes n’est pas de la diplomatie, c’est de la coercition. Une paix véritable exigera de mettre fin à l’impunité israélienne, de lever le blocus et de garantir que les Palestiniens soient traités non comme des sujets à gérer, mais comme un peuple doté de droits, d’autonomie et de dignité.

D’ici là, les propositions de cessez-le-feu continueront d’échouer. Non pas parce que les Palestiniens refusent la paix, mais parce que le monde leur propose sans cesse une paix sans liberté.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traducton MR