Partager la publication "Doigts sectionnés et incisions : les corps restitués par Israël choquent les familles de Gaza"
Maha Hussaini à Gaza-ville & Mohammed al-Hajjar à Nuseirat, 3 décembre 2025 – Les corps remis par Israël sont arrivés à Gaza gelés, numérotés et silencieux. Les familles palestiniennes espéraient que leur arrivée apporterait enfin des réponses à leurs questions, posées depuis deux ans, sur le sort de leurs proches disparus.

Plus de 300 Palestiniens non identifiés sont enterrés au cimetière de Deir al-Balah, parmi les corps remis par les forces d’occupation israéliennes, car certains ont perdu toute leur famille et il ne reste aucun proche pour les identifier. (source)
Mais ces réponses ont soulevé de nouvelles questions, laissant de nombreuses familles dans l’incertitude, même après avoir enfin pu enterrer leurs êtres chers : qu’est-il arrivé à leurs corps ?
Nombre des dépouilles livrées à l’hôpital Nasser de Khan Younis étaient difficiles à identifier : certaines présentaient des membres sectionnés, d’autres de longues incisions suturées.
Cela a conduit les familles à soupçonner que des organes vitaux ou des parties du corps ont été prélevés pendant que leurs proches étaient détenus par Israël.
Pourtant, les médecins légistes de Gaza affirment ne pouvoir ni confirmer ni infirmer ces allégations, car le ministère de la Santé ne dispose pas du matériel nécessaire pour des examens complets. « Mon frère Ahmed a disparu le premier jour de la guerre », a déclaré Muhammed Ayesh Ramadan, un habitant de Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, à Middle East Eye.
« Nous n’avions aucune nouvelle de lui, ni des circonstances de sa disparition, mais je répétais sans cesse qu’il avait disparu et je le cherchais sans relâche, dans l’espoir de le retrouver. »
Lorsque les corps ont été rapatriés d’Israël dans le cadre du cessez-le-feu signé avec le Hamas en octobre, le ministère palestinien de la Santé a exposé leurs photos à l’hôpital Nasser afin que les familles puissent les voir.
Ramadan a cherché pendant trois jours en vain. Le quatrième jour, il a finalement aperçu les indices qu’il cherchait.
« Je l’ai identifié avec une certitude d’environ 70 % grâce à son visage », se souvient-il.
En examinant plus en détail le corps, Ramadan a également trouvé des marques distinctives qu’il a reconnues sur le torse, confirmant ainsi l’identité de son frère de 37 ans.
« Le corps était brûlé et contenait six ou sept balles. Il était extrêmement raide et complètement gelé », explique-t-il.
Ramadan a remarqué qu’un des orteils de son frère avait été sectionné. Les médecins légistes affirment cependant que c’était le cas pour la quasi-totalité des corps qu’ils ont reçus, apparemment en raison des analyses ADN effectuées en Israël.
« Il y avait aussi une incision suturée verticalement, partant de sa poitrine et descendant vers le bas ; on aurait dit qu’ils l’avaient ouvert », ajoute-t-il.
« Mon frère n’avait jamais subi d’opération ni eu de points de suture avant la guerre. J’ai même interrogé sa femme, qui a confirmé qu’il n’avait jamais eu de points de suture et que son abdomen n’avait jamais été ouvert. »
« Nombreux sont ceux qui restent non identifiables »
À Gaza, les médecins et les équipes médico-légales sont souvent incapables de déterminer si des organes manquent, faute d’équipement et de matériel essentiel.
Khalil Hamada, directeur général de la médecine légale à Gaza, a déclaré à MEE que les corps remis par les autorités israéliennes ne peuvent faire l’objet que d’un examen externe, sans possibilité d’inspection interne.
« Les corps arrivent dans des conditions de congélation si extrêmes que nous les laissons parfois un ou deux jours à l’air libre, le temps que la glace fonde et que les détails deviennent visibles. Certains corps arrivent même partiellement décomposés », a-t-il expliqué.
« La manipulation des corps est extrêmement difficile. Nous ne procédons pas à un examen médico-légal complet, car nous n’avons pas les moyens nécessaires. Le processus se limite à la documentation des caractéristiques individuelles afin que les familles puissent identifier leurs proches.»
M. Hamada a ajouté que des examens approfondis nécessiteraient des tests ADN et des scanners 4D, qui ne sont pas disponibles à Gaza. « Cela limite considérablement notre capacité à mener des examens médico-légaux précis et à identifier formellement les corps. Nombre d’entre eux restent non identifiables et nous sommes contraints de les enterrer anonymement », a-t-il déclaré.
Israël a restitué les corps de 345 Palestiniens à Gaza. Seuls 99 ont été identifiés à ce jour.
Les autres ont pour la plupart été enterrés dans des fosses communes sans identification.
Hamada a également confirmé que les autorités israéliennes amputent certaines parties du corps, comme les pouces et les orteils, avant de restituer les dépouilles.
« Ils peuvent n’amputer que le bout d’un doigt ou la première phalange, mais ils amputent souvent le pouce entier. Dans la plupart des cas, ces doigts sont amputés à des fins de prélèvement d’ADN avant que le corps ne nous soit remis », a précisé Hamada.
Mains et pieds liés
Lors de la remise des corps, Israël ne communique aux autorités palestiniennes ou aux familles ni les noms, ni les rapports médico-légaux, ni les rapports d’état de santé, ni les informations relatives aux causes de décès.
Après chaque arrivée de corps, le ministère de la Santé invite les familles à l’hôpital Nasser, où les photos des dépouilles, numérotées, sont projetées sur un grand écran.
Les familles qui reconnaissent un proche communiquent le numéro du corps avant de se recueillir devant la dépouille à la morgue et d’organiser les funérailles.
Comme certains proches ne peuvent pas se déplacer et que la période de recueillement est courte, le ministère tient également à jour une page web présentant les photos des corps non identifiés, avec des informations telles que la date de réception, le sexe et le numéro du corps.
Les photos montrent des gros plans de différentes parties du corps, comme la mâchoire, le crâne, les doigts et les orteils, ainsi que des marques distinctives que les proches peuvent reconnaître, sans oublier les vêtements que portait la personne disparue.
Zeinab Ismail Shabat, originaire de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, consultait une page lorsqu’elle a reconnu son frère disparu, Mahmoud Shabat, âgé de 34 ans.
« Dès que nous avons vu ses cheveux, ses yeux, les traits de son visage, nous l’avons reconnu », a-t-elle confié à MEE.
« Le lendemain, ma mère, mon père, la femme de mon frère et mon oncle sont allés à l’hôpital Nasser et l’ont reconnu eux aussi. »
La famille de Mahmoud a confirmé son identité à l’hôpital en reconnaissant une blessure à la tête qu’il avait subie lors des manifestations de la Grande Marche du Retour de 2018 contre le blocus israélien de Gaza.
« Un de ses index était sectionné. Ses mains étaient liées dans le dos. Ses jambes étaient également attachées et les marques des liens métalliques avaient laissé des traces sur ses pieds », a expliqué Mme Shabat. « Il est évident qu’il est mort en martyr alors qu’il était ligoté. Il était complètement nu. Il avait une balle dans la cuisse et des éclats de bois étaient incrustés dans sa poitrine. »
Selon la mère de Mahmoud, son visage semblait avoir été frappé si violemment que son crâne était fracturé et son cou portait des marques suggérant une pendaison.
Des médecins indépendants à Gaza rapportent que de nombreux corps reçus portaient des signes évidents de torture, des fractures et, dans certains cas, les mains et les pieds liés, les yeux bandés.
Nagah Ismail al-Jabari, sœur et mère de deux Palestiniens disparus dont les corps ont été récemment remis par Israël, a déclaré qu’elle ne pouvait les identifier qu’à leurs vêtements.
« Mon frère, Fahd, avait 35 ans et est tombé en martyr au début de la guerre. Il faisait partie de ceux qui étaient sortis pour observer les conséquences de l’attaque du 7 octobre et il a été tué », a-t-elle confié à MEE. « Je l’ai reconnu à ses sandales et à ses vêtements. Certains de ses traits et ses dents n’étaient pas trop décomposés. Je l’ai reconnu sur les photos, puis je suis allée avec mon frère et ils ont sorti le corps du congélateur pour que nous puissions l’identifier plus précisément. »
Comme pour presque tous les corps reçus, Jabari a déclaré que l’index et le gros orteil gauches de son frère avaient été amputés.
« Il lui manquait aussi une dent. Mais il n’y avait ni incisions ni points de suture. C’est principalement parce que mon frère a été tué sur le coup, donc je ne pense pas qu’ils auraient tenté de prélever des organes sur quelqu’un déjà mort », a-t-elle ajouté.
« Quant à mon fils, il avait 20 ans. Je l’ai identifié à ses vêtements et à ses sous-vêtements », s’est-elle souvenue.
« Il lui manquait deux dents et il avait une blessure à la cuisse gauche. Il y avait aussi des éclats d’obus dans le dos. »
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR