Ahmed Dahaby, Le Caire, Égypte, 14 juin 2025. Vendredi, quelque 200 participants à la Marche mondiale vers Gaza ont été arrêtés à un poste de contrôle de sécurité près du Caire, en Égypte, alors qu’ils se dirigeaient vers Ismaïlia, une ville située sur le canal de Suez, à 130 kilomètres à l’est du Caire. Après avoir été retenus au poste de contrôle pendant plusieurs heures et s’être vu confisquer temporairement leurs passeports, les manifestants ont été physiquement emmenés de force dans des bus pour le Caire par des agents de sécurité en civil. D’autres participants, parvenus séparément à rejoindre l’hôtel d’Ismaïlia, ont été également interpellés, certains battus et contraints de monter dans des bus pour le Caire.

Les Égyptiens ont battu et attaqué des militants étrangers pro-palestiniens qui refusaient de quitter l’Égypte lors de leur marche vers Gaza. Un militant pro-palestinien : « Nous sommes prêts à mourir pour cette cause. » Capture d’écran de la VIDEO ICI.
Les autorités égyptiennes répriment des centaines de militants internationaux arrivés dans le pays pour participer à une marche prévue vers le poste-frontière de Rafah et exiger la fin du siège israélien de Gaza. Le mouvement populaire, baptisé Marche mondiale vers Gaza, a demandé à plusieurs reprises l’autorisation de traverser le Sinaï et se rassembler à al-Arish pour la marche aux ambassades égyptiennes à l’étranger, dans les jours et les semaines précédant l’action prévue. Mais, selon les organisateurs, l’Égypte a refusé l’autorisation et les participants de 80 pays arrivés au Caire cette semaine ont plutôt été victimes de perquisitions dans leurs hôtels, de harcèlement, d’arrestations et d’expulsions.
Le groupe d’Ismaïlia prévoyait de se rassembler dans un hôtel pour « évaluer la situation et discuter de la marche à suivre » sans autorisation des autorités égyptiennes, a déclaré à Drop Site Melanie Schweizer, avocate allemande et principale organisatrice de la marche. Une vidéo du site montre une scène chaotique : des bouteilles d’eau et des objets sont jetés sur la foule par ce que les participants décrivent comme des « voyous » du gouvernement.

Les marcheurs bloqués à un poste de contrôle à Ismaïlia mais déterminés à poursuivre la marche vers Gaza. Capture d’écran de la VIDEO ICI.
« Nous avons été transparents dès le début », a déclaré Schweizer à Drop Site. « Nous avons sollicité des réunions avec des responsables égyptiens, soumis des documents et avons même été remerciés par des diplomates en Allemagne pour nos efforts. Maintenant, nous sommes traités comme une menace. »
Parallèlement aux manifestants arrivant au Caire par avion, un convoi de milliers de personnes a quitté l’Algérie par voie terrestre en début de semaine, passant par la Tunisie et l’ouest de la Libye, rassemblant des personnes en chemin. Le convoi « Sumoud » – le convoi de la persévérance – devait atteindre l’Égypte avant le 15 juin pour rejoindre la Marche mondiale vers Gaza, mais il a été stoppé à Syrte le 12 juin par les autorités de l’est de la Libye.
Les manifestations prévues, qui ont rassemblé plus de 3.000 personnes, comptaient parmi les plus grandes actions visant à briser le siège de Gaza. Cette semaine, la Flottille de la Liberté, un bateau transportant des militants et de l’aide en route vers Gaza via la mer Méditerranée, a été interceptée par la marine israélienne dans les eaux internationales, et conduite au port d’Ashdod, où les participants ont été arrêtés, incarcérés avant d’être expulsés.
Les autorités égyptiennes ont déclaré que leurs actions de cette semaine étaient motivées par des préoccupations juridiques et sécuritaires, malgré l’histoire du pays marquée par une répression politique extrême. « Ils sont venus avec des visas touristiques, et non pour des missions humanitaires ou diplomatiques », a déclaré Tamer El Shihawy, officier du renseignement militaire à la retraite et ancien député égyptien. « Lorsqu’ils ont déclaré être ici pour une marche, cela a enfreint les conditions de leur visa. Ce serait interdit au Royaume-Uni ou aux États-Unis. »
El Shihawy a également invoqué l’instabilité dans le Sinaï, où une insurrection de faible intensité menée par des militants locaux dure depuis des années, pour justifier le blocage du convoi. « Laisser des milliers d’inconnus traverser le Sinaï, l’une des zones les plus sensibles et les plus militarisées de la région, est une ligne rouge », a-t-il déclaré. « Nous ignorons qui ils sont, ce qu’ils transportent, ni quelle est leur idéologie. C’est une question de sécurité nationale. »
L’Égypte reste liée par les accords de Camp David de 1979, qui constituent le fondement de ses relations avec les États-Unis. Elle est le deuxième bénéficiaire mondial de l’aide militaire américaine après Israël. Pendant des années, l’Égypte, seul pays, hormis Israël, à partager une frontière avec Gaza, a coordonné ses efforts de sécurité avec Israël et contribué à l’application du blocus sur le territoire. Après l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah El-Sissi en 2013, les autorités égyptiennes ont également détruit les tunnels qui assuraient la liaison avec Gaza et ont autorisé des drones, des hélicoptères et des avions de combat israéliens à mener une campagne aérienne secrète dans le Sinaï.
Ces derniers mois, le tollé international suscité par le siège brutal et les bombardements incessants de Gaza par Israël s’est intensifié. Un blocus total imposé par Israël à partir du 2 mars a conduit toute la population de Gaza au bord de la famine. La Fondation humanitaire pour Gaza, un nouveau groupe soutenu par les États-Unis et Israël qui a mis en place quelques « centres de distribution d’aide » dans des zones reculées de Gaza fin mai, a été accusée par l’ONU et des organisations internationales d’instrumentaliser l’aide. Les forces d’occupation ont tiré sur les Palestiniens dans ou à proximité des centres d’aide presque quotidiennement, faisant plus de 270 morts dans ce que le ministère de la Santé de Gaza a qualifié de « massacres de l’aide ».
L’Égypte a condamné le siège en cours de Gaza, mais a également strictement surveillé toute manifestation pro-palestinienne non autorisée par l’État. Elle a arrêté 186 personnes au cours des 20 derniers mois, dont plus de 100 sont actuellement derrière les barreaux.
Avec l’arrivée de centaines de personnes au Caire pour participer à une marche prévue vers Rafah, la répression égyptienne s’est intensifiée. Militants et observateurs estiment désormais que des centaines de participants ont été arrêtés, interrogés ou expulsés (vidéo).
« Nous estimons qu’entre 300 et 400 personnes ont été expulsées à ce jour, voire davantage », a déclaré Ragia Omran, éminente avocate égyptienne spécialisée dans la défense des droits humains. « Nombre d’entre elles ont été arrêtées à l’aéroport ou appréhendées à leur hôtel. Deux vols complets ont été refoulés. Parmi les personnes concernées figurent des ressortissants d’Espagne, de Grèce, de France, d’Allemagne, d’Italie, des États-Unis, du Canada, de Colombie, du Venezuela, d’Afrique du Sud, de Norvège et des Pays-Bas. »
Des perquisitions dans des hôtels auraient eu lieu sans mandat. Omran a déclaré que les agents étaient entrés avec des listes de noms, avaient fouillé les téléphones et les sacs, et avaient escorté les invités directement vers les zones d’attente de l’aéroport avant leur expulsion.
« Il n’existe aucune base légale pour empêcher des personnes de se rendre pacifiquement à un poste frontière en voiture à des fins humanitaires », a-t-elle ajouté. « En vertu du droit international, l’Égypte ne devrait pas être complice du siège. »
En réponse aux accusations de complicité dans le siège de Gaza, El Shihawy, l’ancien député, a été catégorique : « L’Égypte a fait plus pour Gaza que la plupart des autres pays. Nous avons ouvert Rafah, négocié des cessez-le-feu, envoyé des tonnes d’aide. Mais nous ne pouvons pas permettre aux gens de parcourir des centaines de kilomètres à pied à travers une zone militarisée. Ce n’est pas ainsi que fonctionnent les États. »
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a publié une déclaration le 11 juin, invoquant la sécurité nationale et l’absence d’autorisations pour refuser l’accès à Rafah. Cependant, les organisateurs du convoi affirment avoir déjà reçu des encouragements des ambassades égyptiennes à l’étranger.
Le 11 mai, Schweizer a contacté l’ambassadeur d’Égypte à Berlin par courriel pour solliciter un entretien. « Une semaine plus tard, j’ai reçu un appel du personnel consulaire l’invitant à un entretien. Ils nous ont donné l’impression qu’ils soutenaient la mission », a-t-elle déclaré.
Les acteurs de la société civile égyptienne, depuis longtemps à l’avant-garde des mouvements de solidarité régionale, sont restés largement à l’écart, craignant une répression plus sévère contre les militants nationaux.
« Nous nous attendions à ce que si les Égyptiens se joignaient à la marche, celle-ci pourrait être interdite », a déclaré Mahienour El-Massry, éminente avocate et militante basée à Alexandrie.

Zwelivelile Mandla Mandela, petit-fils de Nelson Mandel, avec des membres de la délégation d’Afrique du Sud. VIDEO de sa prise de parole.
Ahmed Douma, ancien prisonnier politique et militant, abonde dans le même sens : « Les Égyptiens étaient présents en esprit, mais nous avons pris la décision stratégique de ne pas participer physiquement à la marche, à moins qu’il ne soit clair que cela ne mettrait pas en péril le convoi. »
Les avocats spécialisés dans les droits humains estiment que l’Égypte aurait pu mieux gérer la situation. « L’Égypte a raté une occasion de s’opposer au blocus de Gaza en arrêtant des civils pacifiques – des médecins, des étudiants, et même le petit-fils de Nelson Mandela – alors qu’elle aurait pu poser des conditions et les laisser passer », a déclaré Omran.
Cet article a été publié en anglais, sur Drop Site News, en collaboration avec Egab / Traduction MR
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