Pourquoi les dirigeants israéliens admettent que s’ils étaient Palestiniens, ils se battraient pour la liberté

Joseph Massad, 16 septembre 2024. Dans une récente interview au journal israélien Maariv, Ami Ayalon, l’ancien chef de l’organisation de renseignement israélienne Shabak, a déclaré que s’il était palestinien, il aurait combattu ceux qui ont volé sa terre « sans limites ».

« En ce qui concerne les Palestiniens, ils ont perdu leur terre, c’est pourquoi lorsque les gens me demandent, que feriez-vous si vous étiez Palestinien ? Je dis que si quelqu’un venait et volait ma terre, la terre d’Israël, je le combattrais sans limites », a-t-il ajouté.

Les Palestiniens, a affirmé Ayalon, « se considèrent comme un peuple. L’une de nos tragédies est que nous les considérons comme des individus, dont certains sont bons, tandis que d’autres sont mauvais ».

Dans la vague de dénonciations israéliennes et pro-israéliennes des Palestiniens qualifiés de barbares, d’antisémites, de pogromistes, de terroristes, de sauvages et d’animaux humains, entre autres épithètes racistes dont nombre de dirigeants israéliens les ont qualifiés à des fins de propagande, plusieurs d’entre eux parmi les plus éminents, comme Ayalon, se sont toujours identifiés à la lutte palestinienne et ont admis publiquement que s’ils avaient été palestiniens et non des colons juifs, ils auraient volontiers rejoint la lutte contre les sionistes et Israël.

Même le célèbre ministre israélien de la Défense, Moshe Dayan, comprenait la lutte des Palestiniens de Gaza et leur résistance au colonialisme israélien. En avril 1956, des combattants de la résistance palestinienne ont tué un agent de sécurité à Nahal Oz, une colonie établie en 1953 à moins de deux kilomètres de la frontière de Gaza.

L’agent avait battu plusieurs Palestiniens quelques jours plus tôt lorsqu’il les avait surpris en train de tenter de revenir sur leurs terres après que les Israéliens les eurent expulsés. Il les a forcés à retourner à Gaza. Lors de ses funérailles, Dayan a rappelé aux personnes en deuil :

« Ne rejetons pas aujourd’hui la faute sur les meurtriers. Qui sommes-nous pour contester leur haine ? Depuis huit ans, ils sont assis dans leurs camps de réfugiés à Gaza, et sous leurs yeux, nous transformons en notre propriété la terre et les villages dans lesquels eux et leurs ancêtres ont vécu (…). Nous sommes une génération de colons, et sans le casque d’acier et le canon, nous ne pouvons pas planter un arbre et construire une maison. »

Les propos récents d’Ayalon ne sont pas nouveaux. Dans une interview accordée en mars à la chaîne de télévision américaine ABC, il a déclaré que s’il était palestinien, il « se battrait contre Israël » et « ferait tout » pour obtenir la liberté.

Ayalon n’est pas le premier dirigeant israélien à comprendre parfaitement la lutte des Palestiniens pour mettre fin au colonialisme de peuplement sioniste et à l’apartheid israélien. En effet, il fait partie d’une longue liste de dirigeants sionistes et israéliens qui, sans hésitation, ont affirmé leur compréhension ou même leur identification avec la lutte palestinienne.

En 1923, Vladimir Jabotinsky, le fondateur du sionisme révisionniste, auquel succéda plus tard Menahem Begin, commentait la résistance palestinienne :

« Tout peuple autochtone – qu’il soit civilisé ou sauvage – considère son pays comme sa patrie nationale, dont il sera toujours le maître absolu. Il n’acceptera pas volontairement, non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire. Il en va de même pour les Arabes. Les conciliateurs parmi nous tentent de nous convaincre que les Arabes sont des sortes d’imbéciles qui peuvent être trompés (…) [et] qui abandonneront leur droit de naissance sur la Palestine pour des gains culturels et économiques. Je rejette catégoriquement cette évaluation des Arabes palestiniens. Culturellement, ils ont 500 ans de retard sur nous, spirituellement, ils n’ont pas notre endurance ni notre force de volonté, mais cela épuise toutes les différences internes (…). Ils regardent la Palestine avec le même amour instinctif et la même ferveur véritable que tout Aztèque regardait son Mexique ou tout Sioux regardait la prairie (…), ce fantasme enfantin de nos “arabophiles” vient d’une sorte de mépris pour le peuple arabe (…) [que] cette race [est] une populace prête à être soudoyée ou à vendre sa patrie pour un réseau ferroviaire. »

Jabotinsky, cependant, ne s’identifiait pas aux Palestiniens (bien qu’il ait tenté de les assimiler aux juifs européens, mutatis mutandis, au niveau de l’attachement à leur patrie et de l’utilisation de la violence pour défendre leur pays).

Il comprenait bien que les Palestiniens « ne sont pas une populace mais une nation ». En tant que fasciste admirateur de Mussolini, Jabotinsky ne laissait pas son racisme contre les Palestiniens l’aveugler sur les conditions sur le terrain, ce qui est précisément la raison pour laquelle il cherchait à combattre les Palestiniens et à les soumettre au régime sioniste et à l’expulsion.

D’autres sionistes se sont identifiés davantage encore aux Palestiniens.

David Ben Gourion, le premier Premier ministre d’Israël, comprenait parfaitement la lutte palestinienne, même s’il était déterminé à l’écraser. Il a déclaré :

« Si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais d’accord avec Israël. C’est normal ; nous avons pris leur pays. Il est vrai que Dieu nous l’a promis, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous venons d’Israël, c’est vrai, mais c’était il y a deux mille ans, en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et avons volé leurs terres. Pourquoi devraient-ils accepter cela ? »

Ce n’est pas une aberration

L’identification des dirigeants sionistes aux Palestiniens a continué au cours des décennies suivantes et a peut-être été exprimée avec la plus grande force par l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak. Barak était membre d’un commando d’escadrons de la mort israéliens envoyés à Beyrouth en 1973 pour tuer trois révolutionnaires palestiniens.

L’identification de Barak aux Palestiniens est sans réserve, et dans une interview au journal israélien Haaretz, il a affirmé : « Si j’étais Palestinien, je rejoindrais aussi un groupe terroriste. »

Leah Rabin, la veuve du défunt Yitzhak Rabin, qui avait elle-même combattu lors de la conquête sioniste de la Palestine en 1948, a été plus astucieuse dans le déploiement de son identification aux Palestiniens que tous les autres dirigeants sionistes.

Elle a affirmé en 1997 que « nous [les juifs] avons utilisé le terrorisme pour établir notre État. Pourquoi devrions-nous nous attendre à ce que les Palestiniens soient différents ? » Les Palestiniens, semble-t-il, sont les mêmes que les juifs et ne sont pas du tout différents d’eux.

Il est très important de noter que dans ces déclarations, aucun de ces dirigeants israéliens n’a pensé que la raison pour laquelle les Palestiniens résistaient à Israël était parce qu’Israël était juif.

Au contraire, ils ont tous affirmé que la raison pour laquelle les Palestiniens résistent à Israël et aux juifs israéliens est parce que les Israéliens ont volé et continuent de voler leur terre et leur pays, les oppriment et les privent de leur indépendance et de leur liberté.

La propagande effroyable du gouvernement israélien actuel, selon laquelle l’opération palestinienne du 7 octobre visait les juifs israéliens en tant que juifs et non en tant que colons et qu’elle était donc l’attaque la plus « meurtrière » contre les juifs depuis l’Holocauste, comme les dirigeants occidentaux et leurs médias obéissants ne se lassent pas de nous le répéter, vise résolument à dissimuler la colonisation juive israélienne de la terre des Palestiniens comme étant la raison pour laquelle les Palestiniens leur résistent.

Ces mensonges visent à exonérer les juifs israéliens du crime de vol de la terre des Palestiniens et contrastent avec l’insistance des Palestiniens et de tous ces dirigeants sionistes et israéliens qui ont toujours compris la lutte palestinienne, à savoir que la résistance palestinienne cible les juifs israéliens parce qu’ils sont des colonisateurs et non parce qu’ils sont juifs.

La compréhension et l’identification à la lutte palestinienne par les mêmes dirigeants israéliens qui ont opprimé les Palestiniens ne sont pas de simples fioritures ou erreurs rhétoriques. Elles parlent clairement d’une compréhension claire de la nature de la violence et de l’oppression qu’Israël a exercées et continue d’exercer sur le peuple palestinien.

Contrairement à la propagande officielle israélienne et à ce que répètent les dirigeants politiques occidentaux et les médias grand public, les Palestiniens qui résistent à la colonisation sioniste depuis le début des années 1880 ne sont pas du tout une aberration. En effet, selon les dirigeants israéliens cités ci-dessus, les Palestiniens sont très semblables et pas si différents des juifs colonisateurs sionistes qui les oppriment.

La seule différence, semble-t-il, est que les Palestiniens ne sont pas juifs et, par conséquent, ne peuvent pas bénéficier du respect et de l’admiration occidentaux que méritent tout peuple qui a résisté au colonialisme pendant un siècle et demi.

Alors que les dirigeants israéliens peuvent toujours s’identifier aux Palestiniens malgré leur racisme colonial, le profond racisme occidental contre les Palestiniens est la raison pour laquelle aucun dirigeant politique occidental n’a jamais envisagé ce qu’il ferait s’il était Palestinien.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR