Golan : adhérer à l’identité syrienne, résister aux tentatives d’ « israélisation »

Ahmad Karakira, 2 juillet 2024. Le plateau du Golan syrien occupé par Israël a fait la une des journaux samedi après qu’un missile a atterri sur un terrain de football dans la ville druze de Majdal Shams, tuant 12 personnes et en blessant des dizaines d’autres.

“Israël” n’a pas tardé à rejeter la faute sur le Hezbollah et a affirmé que le groupe libanais avait ciblé la ville avec une « roquette iranienne ».

Jouant le rôle du « héros », le Premier ministre israélien d’occupation Benjamin Netanyahu a également juré qu’ « Israël ne laissera pas cette attaque meurtrière sans réponse et que le Hezbollah en paiera le prix fort, un prix qu’il n’a jamais payé auparavant », selon un communiqué de son bureau.

Le Hezbollah a nié avoir ciblé Majdal Shams, une ville où de nombreux habitants ont refusé la nationalité israélienne depuis l’occupation israélienne du plateau du Golan en 1967.

Dans un communiqué, le groupe de résistance libanais a déclaré qu’il « nie catégoriquement les allégations rapportées par certains médias ennemis et diverses plateformes médiatiques concernant le ciblage de Majdal Shams ».

« La Résistance islamique n’a aucun lien avec cet incident », a-t-il affirmé.

Plus tard, Axios a cité un responsable américain affirmant que des responsables du Hezbollah avaient déclaré à l’ONU que l’incident du plateau du Golan était le résultat d’un missile intercepteur israélien frappant le terrain de jeu de Majdal Shams, la plus grande ville du Golan.

De plus, des journalistes de plusieurs médias ont cité des témoins oculaires anonymes qui ont déclaré avoir vu un missile intercepteur tomber sur le terrain mais ont noté qu’ils refusaient de parler devant la caméra par crainte de représailles des autorités israéliennes.

Quelques jours plus tard, les forces d’occupation israéliennes ont lancé une attaque contre la banlieue sud de Beyrouth, entraînant l’assassinat du chef militaire du Hezbollah, Sayyed Fouad Shokor.

Dans un discours prononcé lors d’une grande cérémonie funéraire organisée pour Shokor, le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, a déclaré que le régime israélien avait tenté de qualifier son agression contre Beyrouth de « réponse » à l’incident de Majdal Shams.

Il a réitéré que la Résistance réfutait cette accusation et niait toute responsabilité après une enquête approfondie, ajoutant que « nous aurions le courage d’assumer la responsabilité si c’était notre attaque, même si c’était une erreur, et nous avons des précédents en la matière ».

Sayyed Nasrallah a souligné qu’« Israël ne peut pas accepter l’hypothèse que l’incident de Majdal Shams soit dû à un missile intercepteur israélien » malgré les preuves massives qui le suggèrent, qui ont même été avancées par de nombreux experts militaires.

Il a affirmé que « le but de l’accusation de la Résistance est d’inciter à des conflits sectaires entre le peuple [druze] du Golan occupé et [le Hezbollah] et derrière lui la communauté chiite, afin de saper les acquis les plus impottants du Déluge d’Al-Aqsa » d’unité et de solidarité entre les Arabes et les peuples de la région.

Le chef du Hezbollah a confirmé que ce conflit a été apaisé et désactivé « grâce à la prise de conscience et aux positions fermes des dirigeants de la communauté druze », exprimant sa gratitude aux dirigeants politiques et spirituels des Druzes pour leur position.

La ville [Majdal Shams] a organisé samedi une cérémonie funéraire pour les victimes de l’attaque, la chaîne israélienne 13 rapportant que les habitants de Majdal Shams ont attaqué des membres du parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui se sont présentés à la cérémonie.

Par ailleurs, le site d’information israélien Walla a mentionné que le ministre des Finances Bezalel Smotrich a été accueilli par des protestations à son arrivée dans la ville.

« Sors d’ici. Nous ne voulons pas de toi ici, assassin », ont crié les habitants à Smotrich, accusant le ministre israélien de se servir du sang de leurs enfants.

La correspondante d’Al Mayadeen, Hanaa Mahameed, s’est rendue sur le site où le projectile a atterri et a recueilli les témoignages des habitants, qui ont contesté le récit israélien selon lequel le Hezbollah était derrière l’attaque.

L’agence de presse arabe syrienne (SANA) a également rapporté que les habitants de Majdal Shams avaient tenté d’expulser Netanyahu de la ville, le qualifiant de « fasciste » et de « criminel ».

Netanyahou était arrivé à Majdal Shams en compagnie d’un convoi de hauts responsables de la sécurité.

Le correspondant d’Al Mayadeen dans les territoires occupés a rapporté que Netanyahou était arrivé à Majdal Shams vers 14 heures (heure locale) et avait été reçu par le chef du conseil municipal nommé par Israël dans un bâtiment administratif. Netanyahou était entré par la porte arrière du bâtiment pour éviter d’être vu.

Après que la nouvelle eut été diffusée parmi les habitants de la ville, des centaines de personnes se sont rassemblées devant ledit bâtiment, protestant contre la visite de Netanyahou dans la ville syrienne occupée.

Les manifestants ont injurié le Premier ministre israélien, le dénonçant comme un « tueur d’enfants » et un « criminel ».

La visite de Netanyahou dans la ville n’a pas duré plus de 15 minutes, ont déclaré des habitants à Al Mayadeen, après que l’incident ait provoqué la colère des habitants qui refusaient de recevoir le Premier ministre israélien.

Al Mayadeen a également constaté que plusieurs habitants ont refusé de laisser les forces d’occupation israéliennes utiliser leurs maisons et leurs toits comme postes de garde avant l’arrivée de Netanyahu.

Il est intéressant de noter qu’à ce jour, la grande majorité des habitants de Majdal Shams conservent leur identité syrienne, seuls 20 % environ ayant accepté la citoyenneté israélienne.

Les médias israéliens ont précédemment rapporté qu’en 2018, seulement 272 personnes sur une population d’environ 12.000 personnes avaient voté aux élections locales organisées par les autorités d’occupation israéliennes.

Occupation israélienne illégale du plateau du Golan syrien

Pour mieux comprendre la situation actuelle sur le plateau du Golan après l’incident de Majdal Shams, il est essentiel de revenir sur l’histoire de cette région depuis son occupation par “Israël”.

Au cours de la guerre de 1967, aussi connue sous le nom de guerre des Six Jours [en Occident, NdT], entre les forces arabes et israéliennes, ces dernières ont réussi à occuper la bande de Gaza, la Cisjordanie, al-Qods, la péninsule du Sinaï et le plateau du Golan.

Le Golan s’étend sur une superficie de 1.860 km², soit 1 % de la superficie totale de la Syrie. Pendant la guerre de juin 1967, “Israël” a occupé environ 1.250 km² de ce territoire, dont la Syrie a récupéré 100 km² après la guerre d’octobre 1973.

Les forces d’occupation israéliennes ont déplacé plus de 95 % de la population du Golan, soit environ 140.000 citoyens syriens, et ont démoli leurs villages, soit 340 villages au total et la ville de Quneitra.

Dans le cadre de son projet de colonisation, “Israël” a progressivement établi 33 colonies agricoles et la ville de Katzrin sur les ruines de villages syriens, avec une population de colons d’au moins 26.000 personnes. Ils ont également posé 76 champs de mines contenant environ deux millions de mines, certaines à l’intérieur et autour de villages habités.

Actuellement, “Israël” occupe environ 1.176 km² du plateau du Golan, dont 100 km² de zones démilitarisées, conformément à l’accord d’armistice de 1949.

Il y a cinq villages dans le plateau du Golan occupé : Majdal Shams, Mas’ada, Buq’ata, Ein Qiniya et Ghajar. Environ 10 % des habitants de ces cinq villages travaillent dans le secteur agricole, n’utilisant qu’environ 21.000 dunams (2.100ha) pour l’agriculture, contre 110.000 dunams (11.000 ha) utilisés par les colons israéliens, selon les données locales.

Les habitants du Golan cultivent la région depuis des décennies, voire des siècles, et sont réputés pour leurs olives et leurs fruits, en particulier les pommes. Cependant, l’utilisation limitée de l’eau ne répond pas aux besoins locaux d’irrigation, les agriculteurs recevant environ cinq millions de millimètres cubes d’eau par an, ce qui affecte la quantité de leur production agricole.

Selon le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, l’expansion des colonies israéliennes et leurs activités ont limité l’accès des agriculteurs syriens à l’eau par le biais de prix et de frais discriminatoires.

Certaines des principales sources d’eau du Golan ont été confisquées pour l’usage exclusif des colons, et d’autres sources d’eau sont partiellement détournées pour être utilisées en “Israël”, selon une étude du chercheur Scott Kennedy intitulée : The Druze of the Golan: A Case of Non-Violent Resistance [Les Druzes du Golan : un cas de résistance non violente].

Le centre du Golan est également connu pour être l’une des régions les plus riches en bétail, mais ce secteur a disparu de l’économie locale en raison de l’usurpation des pâturages par l’occupation israélienne.

En 1981, dans une manoeuvre reflétant sa nature brutale, le gouvernement israélien a officiellement « annexé » le plateau du Golan par le biais de la « loi sur le plateau du Golan » votée par la Knesset, violant les résolutions internationales qui jugeaient la décision « nulle, non avenue et sans effet juridique international », une position réaffirmée par les Nations Unies le 28 novembre 2023.

Bien que l’ONU et la communauté internationale ne reconnaissent pas « l’annexion » de ces territoires et que le droit international considère les 33 colonies israéliennes du plateau du Golan comme illégales, “Israël” a désespérément cherché à faire reconnaître sa démarche, recevant finalement cette reconnaissance en 2019 par le président américain de l’époque, Donald Trump.

Par la suite, une nouvelle colonie a été établie sur les hauteurs du Golan occupé, baptisée du nom de Trump.

Même après l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en 2020, son administration n’a pas annulé sa décision et a fait référence à la région comme étant le « nord d’Israël » plutôt que le territoire syrien occupé.

Dans le même contexte, le 26 décembre 2021, le gouvernement israélien, alors dirigé par Naftali Bennett, a approuvé un plan visant à doubler la population juive du Golan d’ici 2030, avec un budget initial d’un milliard de dollars visant à attirer 23.000 colons dans la région.

Les habitants du Golan refusent la citoyenneté israélienne et affirment leur identité syrienne

Les décisions israéliennes caduques n’ont pas empêché les habitants du territoire occupé de faire valoir leur droit à l’autodétermination, et plus de 90 % des habitants du plateau du Golan ont rejeté la « citoyenneté » israélienne en 1981.

Jonathan Kuttab, avocat palestinien et militant des droits de l’homme, a rappelé dans une interview en 1983 que « ceux qui acceptaient les cartes d’identité israéliennes étaient souvent rejetés par l’ensemble de la communauté ».

« Ils ont décidé que quiconque accepte les cartes d’identité israéliennes se coupe en réalité de la communauté. Ils ne sont plus des nôtres, ils ne sont plus des Druzes », dit-il.

Dans son étude, The Druze of the Golan: A Case of Non-Violent Resistance, Scott Kennedy a également détaillé la question, écrivant :

« Ceux qui acceptaient des papiers d’identité israéliens étaient accueillis avec une grande dureté : peu leur parlaient ou entraient chez eux ; ils n’étaient pas invités aux événements communautaires, aux mariages ou aux funérailles ; et ils n’étaient pas les bienvenus aux rassemblements religieux. Leurs morts étaient privés des prières de la communauté. Une pression sociale si énorme était exercée sur eux que tous, à l’exception de quelques collaborateurs acharnés, rendaient leurs cartes. Ceux qui se repentaient étaient tenus de se rétracter publiquement, ou de faire du porte-à-porte pour s’excuser auprès de leurs voisins, et de contribuer financièrement aux familles des personnes emprisonnées. »

Selon Kuttab, après que la Knesset israélienne ait adopté une loi autorisant l’« annexion » du Golan, les habitants de la région ont fait appel au gouvernement israélien et ont demandé l’annulation de la décision qui impliquerait de les forcer à obtenir la citoyenneté israélienne. Lorsque leurs demandes ont été rejetées, ils ont annoncé qu’ils ne se conformeraient pas aux mesures des autorités d’occupation.

« Israël peut faire ce qu’il veut de nous : ils peuvent confisquer notre terre. Ils peuvent nous tuer. Mais ils ne peuvent pas nous dire qui nous sommes. Ils ne peuvent pas changer notre identité », a déclaré Kuttab, citant des villageois du Golan.

Après la décision d’« annexion », les habitants du Golan ont lancé une résistance héroïque et non violente pour tenter de défier les diktats israéliens.

Détaillant ces mesures, Kennedy a indiqué que le refus des ouvriers de travailler a perturbé l’industrie dans le nord de la Palestine occupée pendant plusieurs semaines, et que les personnes âgées et les jeunes ont bravé les couvre-feux imposés par Israël pour récolter les cultures.

Des groupes de femmes ont affronté les soldats israéliens, saisissant au moins 16 armes et les remettant à des officiers de l’armée, exigeant le retrait des troupes. Les armes ont parfois été échangées contre la libération de détenus.

Un village, profitant de la grève, a achevé un important projet d’égouts dont les autorités israéliennes avaient refusé le financement et les permis pendant des années. La grève a également permis de creuser des tranchées et d’installer des canalisations.

Les villageois ont commencé à développer des structures économiques coopératives, comme la pulvérisation d’arbres à l’échelle de la communauté, avec l’accord que les récoltes seraient partagées par tous. Ils ont également commencé à créer leurs propres écoles.

Au bout de quatre mois, les autorités israéliennes ont informé de la suspension des décisions visant à forcer les habitants du Golan à accepter la « citoyenneté » israélienne. Les habitants ont donc cru que, le 1er avril 1982, les manoeuvres israéliennes pour leur imposer la « citoyenneté » cesseraient, mais « Israël » a encore intensifié ses mesures répressives contre la population du Golan.

Au milieu d’un black-out médiatique, environ 14.000 à 15.000 soldats israéliens ont attaqué la région et imposé un siège de 43 jours, coupant l’électricité et l’eau aux villages et détruisant plusieurs maisons.

Lors d’une manifestation, les troupes israéliennes ont blessé neuf personnes ; au moins deux sont mortes, les services d’ambulance vers les hôpitaux voisins étant bloqués. Plus de 150 personnes ont été arrêtées chaque jour, dont quatorze ont été condamnées à des peines de quatre à cinq mois de prison et la plupart à des amendes pour ne pas avoir de papiers d’identité israéliens.

Pendant le siège, les troupes israéliennes ont mené des raids de porte à porte, saisissant des papiers d’identité datant de l’époque syrienne et les remplaçant par des cartes d’identité israéliennes. Le lendemain matin, les places des villages du Golan étaient jonchées de cartes d’identité israéliennes abandonnées, signe du refus ferme des habitants de s’identifier comme résidents, même si cela signifiait qu’ils devraient endurer des menaces directes de préjudice personnel et de répression contre la communauté.

En raison de la résistance acharnée des habitants et de leur attachement à leur terre et à leur identité arabe syrienne, le gouvernement israélien a finalement levé le siège, retiré les troupes, supprimé les postes de contrôle et laissé les habitants du Golan tranquilles.

Mais aujourd’hui, la plupart des habitants du Golan détiennent contre leur gré des cartes d’identité israéliennes, où leur statut est décrit comme résident et non citoyen, principalement pour se rendre sur leur lieu de travail. Leur situation est similaire à celle des habitants de la partie orientale d’Al-Qods occupée qui ont refusé la « citoyenneté » israélienne.

Les médias israéliens soulignent que les habitants du Golan occupé ont maintenu des liens étroits avec la Syrie, même après qu’Israël a occupé la région en 1967 et l’a « annexée » en 1981, ce qui prouve que l’occupation n’a pas réussi à isoler et à détacher le Golan de sa véritable identité arabe et de son environnement.

Au milieu des restrictions israéliennes imposées à la circulation des habitants du Golan occupé, les citoyens de la région se rendent toujours sur une colline qui sépare Majdal Shams de la partie libérée de la Syrie, pendant les week-ends et les jours fériés, pour communiquer avec leurs proches séparés par haut-parleur et pour échanger des salutations, des vœux et des conversations, ce qui a conduit à appeler le site « La colline des cris ». Selon les chiffres israéliens, parmi les 21.000 druzes vivant dans le Golan, seuls 4.300 sont considérés comme israéliens, dont certains ont hérité de leur « statut légal » de parents qui avaient auparavant accepté la citoyenneté, tandis que la grande majorité s’identifie comme syrienne.

L’ensemble de ces détails historiques prouvent que les habitants du Golan occupé ont toujours résisté aux lois israéliennes visant à leur « israélisation ». Il semble aujourd’hui qu’”Israël” utilise l’incident de Majdal Shams comme prétexte pour renforcer encore son occupation du Golan et détacher son peuple de son identité arabe syrienne.

Résistance armée

En ce qui concerne la résistance armée, l’étude d’Eduardo Aboultaif a retracé l’histoire de la résistance militaire contre l’occupation israélienne dans le plateau du Golan.

L’étude, basée sur des entretiens avec des membres de la résistance, indique qu’un groupe d’une cinquantaine de jeunes hommes du Golan a formé un mouvement de résistance secret immédiatement après l’occupation israélienne de la région.

D’après l’un des membres fondateurs, l’objectif du groupe était de fournir des renseignements à l’armée syrienne, motivé uniquement par le patriotisme de ses membres, sans aucune affiliation religieuse, familiale, tribale ou sectaire.

L’activité principale de ce réseau de résistance, qui comprenait trois cellules opérationnelles, était de recueillir des renseignements et d’établir des communications avec l’armée syrienne.

Un groupe de 12 jeunes hommes a également intensifié sa résistance militaire en posant des mines près des sites militaires israéliens dans le Golan, ce qui a abouti à une attaque réussie contre un dépôt de munitions de char israélien contenant 1.200 roquettes.

Suite à la découverte de la cellule de Résistance, certains membres ont été condamnés à 25 à 32 ans de prison israélienne et deux ont été tués par les forces d’occupation israéliennes.

Article original en anglais sur Al Mayadeen / Traduction MR