Arundhati Roy, 7 mars 2024 (*). Les pays les plus riches et les plus puissants du monde occidental, ceux qui se prennent pour les gardiens de la flamme de l’engagement du monde moderne en faveur de la démocratie et des droits humains, financent ouvertement et applaudissent le génocide d’Israël à Gaza. La bande de Gaza a été transformée en camp de concentration. Ceux qui n’ont pas encore été tués meurent de faim. La quasi-totalité des habitants de Gaza a été déplacée. Leurs maisons, hôpitaux, universités, musées, infrastructures de toutes sortes ont été réduits à l’état de décombres. Leurs enfants ont été assassinés. Leur passé a été désintégré. Leur avenir est difficile à discerner.
Même si la plus haute juridiction du monde estime que presque tous les indicateurs semblent répondre à la définition légale du génocide, les soldats de Tsahal continuent de publier leurs « vidéos de victoire » moqueuses célébrant ce qui ressemble à des rituels diaboliques. Ils croient qu’aucun pouvoir au monde ne leur demandera des comptes. Mais ils se trompent. Eux et les enfants de leurs enfants seront hantés par ce qu’ils ont fait. Ils devront vivre avec le dégoût et l’horreur que le monde ressent pour eux. Et j’espère qu’un jour, tous ceux qui ont commis des crimes de guerre, quel que soit leur camp, seront jugés et punis pour ces crimes, en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas d’équivalence entre les crimes commis par l’apartheid et l’occupation, et les crimes commis par ceux qui y résistent.
Le racisme est bien sûr la clé de voûte de tout acte de génocide. La rhétorique des plus hauts responsables de l’État israélien a, depuis la création d’Israël, déshumanisé les Palestiniens et les a assimilés à de la vermine et à des insectes, tout comme les nazis ont déshumanisé les juifs. C’est comme si ce poison diabolique, conservé jusqu’ici, était remis en circulation. Du puissant slogan « Never Again », le « Never » a été supprimé. Il ne nous reste plus que « Again ». (**)
Never Again
Le président Joe Biden, chef d’État du pays le plus riche et le plus puissant du monde, est démuni face à Israël, qui pourtant n’existerait pas sans le financement des Etats-Unis. Tout se passe comme si la créature avait pris le pas sur son créateur. Tel un enfant sénile, Joe Biden apparaît devant la caméra, léchant un cornet de glace et marmonnant confusément à propos d’un cessez-le-feu, tandis que les responsables de l’armée et du gouvernement israéliens le défient ouvertement et jurent d’achever ce qu’ils ont commencé. Pour tenter d’enrayer l’hémorragie des votes de millions de jeunes étasuniens qui ne toléreront pas ce massacre en leur nom, Kamala Harris, vice-présidente des Etats-Unis, a été chargée d’appeler à un cessez-le-feu, alors que des milliards de dollars américains continuent d’affluer pour alimenter le génocide.
Et qu’en est-il de notre pays ?
Il est de notoriété publique que notre premier ministre est un ami intime de Benjamin Netanyahu et il n’y a aucun doute sur ses sympathies. L’Inde n’est plus l’amie de la Palestine. Lorsque les bombardements ont commencé, des milliers de partisans de Modi ont exhibé le drapeau israélien en guise de DP (ndt : Display Picture, image d’identification sur les réseaux sociaux). Ils ont contribué à répandre la désinformation la plus vile au nom d’Israël et de Tsahal. Même si le gouvernement indien a maintenant adopté une position plus neutre – notre triomphe en matière de politique étrangère est de parvenir à être de tous les côtés à la fois, nous pouvons être, en même temps, pour et contre le génocide – le gouvernement a clairement indiqué qu’il agirait de manière décisive contre tout manifestant pro-palestinien.
Et maintenant, alors que les Etats-Unis exportent ce qu’ils ont en abondance – des armes et de l’argent pour rendre possible le génocide israélien – l’Inde exporte aussi ce que notre pays a en abondance : des chômeurs pauvres pour remplacer les travailleurs palestiniens qui n’auront plus de permis de travail pour entrer en Israël (je suppose qu’il n’y aura pas de musulmans parmi les nouvelles recrues). Des gens qui sont assez désespérés pour risquer leur vie dans une zone de guerre. Des gens assez désespérés pour tolérer le racisme israélien manifeste contre les Indiens. Vous pouvez le voir exprimé sur les réseaux sociaux, si vous prenez la peine de chercher. La richesse des Etats-Unis et la pauvreté indienne se combinent pour nourrir la machine de guerre génocidaire d’Israël. Quelle honte terrible, impensable.
Les Palestiniens, confrontés aux pays les plus puissants du monde, laissés pratiquement seuls même par leurs alliés, souffrent de façon insoutenable. Mais ils ont gagné cette guerre. Eux, leurs journalistes, leurs médecins, leurs équipes de sauvetage, leurs poètes, leurs universitaires, leurs porte-parole et même leurs enfants se sont comportés avec un courage et une dignité qui ont inspiré le reste du monde. La jeune génération du monde occidental, en particulier la nouvelle génération de jeunes juifs aux Etats-Unis, a vu clair dans le lavage de cerveau et la propagande et a reconnu l’apartheid et le génocide pour ce qu’ils sont. Les gouvernements des pays les plus puissants du monde occidental ont perdu leur dignité et tout le respect dont ils pouvaient disposer. Une fois encore. Cependant les millions de manifestants dans les rues d’Europe et des Etats-Unis sont porteurs d’espoir pour l’avenir du monde.
La Palestine sera libre.
(*) Déclaration d’Arundhati Roy, écrivaine et militante indienne, lors de la réunion des travailleurs contre l’apartheid et le génocide à Gaza, au Club de la presse, à New Delhi, le 7 mars.
(**) ou « Plus jamais » devient « Encore »
Article original en anglais sur Scroll.in / Traduction Chris & Dine