Les États-Unis soutiennent Israël inconditionnellement parce qu’ils voient que l’ensemble du projet occidental au Moyen-Orient est aujourd’hui menacé à Gaza. Bien qu’il puisse sembler que ce sont nos jours les plus sombres, il n’en est pas moins clair que les États-Unis et Israël sont voués à l’échec.
Yoav Haifawi, 12 février 2024. Les temps sont durs. Jour après jour, un génocide choquant se déroule sous les yeux du monde entier. Israël nourrit une crise psychotique comme « réponse fonctionnelle » au traumatisme du 7 octobre. Nous nous sommes déjà habitués à vivre au cœur d’un régime d’apartheid, d’oppression et de guerres qui ont versé des rivières de sang, mais la mort et la destruction qu’Israël inflige aujourd’hui aux habitants de la bande de Gaza sont bien pires que tout ce que nous avons vu auparavant dans l’histoire du « conflit ».
Au moment d’écrire ces lignes, non seulement les États-Unis n’ont rien fait pour arrêter le massacre des habitants de Gaza, mais ils ont augmenté leurs livraisons d’armes à Israël. Ils ont même participé directement à la guerre et ont exigé de leurs alliés qu’ils le fassent aussi en exhibant leur puissance contre des victimes commodes et non menaçantes telles que le Yémen, la Syrie et l’Irak.
Cela ne devrait pas être une surprise. On a beaucoup écrit sur le danger pour la paix mondiale lorsqu’une puissance hégémonique sur une trajectoire descendante affronte une puissance montante qui cherche à assurer sa place au cœur de l’ordre mondial. La situation est d’autant plus dangereuse que les États-Unis ont encore un avantage significatif dans la production d’armes et le déploiement militaire partout dans le monde, alors que dans d’autres domaines, notamment en matière de développement économique, ils n’ont plus rien à offrir. Tentant d’exploiter leur avantage militaire pour préserver leur hégémonie internationale, les États-Unis tentent de semer des conflits et de favoriser la militarisation du système international. La diplomatie de la canonnière, par excellence (en français dans le texte. NDT).
À cette fin, « le conflit » en Palestine n’a jamais été simplement une affaire locale entre les colons sionistes et la population palestinienne indigène. La Grande-Bretagne – suivie par les États-Unis et l’Allemagne – n’a pas investi son meilleur argent dans l’entretien de la colonisation sioniste et, plus tard, dans la construction de l’État d’Israël et dans l’assurance de sa suprématie militaire sur tous les pays de la région, dans le seul but de réprimer ou d’exploiter une petite communauté arabe, dans un coin reculé, qui n’avait jamais menacé sa domination ou ses intérêts. L’objectif de ces Etats était, et est toujours, d’utiliser Israël comme fer de lance pour imposer l’hégémonie impérialiste dans l’ensemble du Moyen-Orient – une région riche en ressources et d’une importance géopolitique centrale entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. De leur point de vue, les Palestiniens ont toujours été des « dommages collatéraux », des résidents qui se trouvaient sur des terres destinées à l’établissement d’une base militaire impérialiste. Il s’agit d’une perturbation inutile qui doit être éliminée ou supprimée jusqu’à l’oubli dans le cadre de ce grand plan géopolitique plus large.
Et c’est ce plan que l’Occident voit menacé aujourd’hui à Gaza.
La raison principale et les complications qui font que la guerre actuelle semble interminable peuvent être identifiées dès la deuxième guerre israélo-libanaise, au cours de l’été 2006. Dans cette attaque, Israël a tenté de restaurer sa dissuasion régionale, qui avait été dégradée par son retrait du Liban six ans plus tôt, et de regagner sa réputation militaire de serviteur redouté de ses maîtres occidentaux. Le résultat a été un triple échec. Dans une guerre asymétrique entre une force militaire d’État et un mouvement de résistance populaire, tout ce dont ce dernier a besoin pour gagner, c’est de continuer à se battre, de sorte que la survie du Hezbollah signifiait la défaite d’Israël. Deuxièmement, Israël n’a pas fixé d’objectifs politiques réalisables pour sa guerre, et n’a donc pas pu les atteindre. Mais surtout, il y a eu aussi un échec crucial pour les États-Unis. Au lieu d’agir comme prévu et d’arrêter l’agression d’Israël en échange de gains politiques, l’attitude étazunienne et l’absence de stratégie constructive ont transformé les États-Unis en « pom-pom girls » de la poursuite de la guerre. Ils ont célébré « les douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient. En l’absence d’un mécanisme pour arrêter la guerre, Israël a continué à « s’enfoncer dans la boue libanaise » jusqu’à ce que le coût militaire lui devienne insupportable. À la lumière de cet échec, Israël a finalement déclaré que le simple fait de causer des dommages catastrophiques aux civils et la destruction massive d’infrastructures civiles devaient être considérés comme les principales réalisations de cette guerre dans le cadre de ce qui a été connu sous le nom de « doctrine Dahiya ». Cette stratégie n’a toujours pas réussi à vaincre la résistance, mais elle était sensée envoyer un message.
Après avoir échoué au Liban en 2006, la campagne israélo-étazunienne visant à projeter une puissance régionale a lancé son attaque surprise sur Gaza la veille de Noël 2008. Ils espéraient que, face à un ennemi plus faible, ils pourraient se remettre du traumatisme causé par leurs aventures répétées et ratées au Liban. Depuis lors, il y a eu des assauts majeurs contre Gaza à cinq reprises – en 2012, 2014, 2018, 2021 et maintenant à nouveau en 2023 – et chacun visait à se remettre de l’échec de la reprise précédente. La logique « militaire » qui sous-tend tout cela est inchangée – un impact maximal sur la population civile pour « incinérer la conscience » de ceux qui résistent. Le dernier round est « un peu la même chose » – mais bien pire que tout ce qui l’a précédé.
Israël et les États-Unis pourraient-ils remporter une victoire militaire cette fois-ci ? La réponse simple et résolue est « non ». L’objectif déclaré de la guerre d’Israël, ainsi que celui des États-Unis et des pays européens qui la soutiennent, est « l’élimination du Hamas ». Cependant, le Hamas a été créé et est devenu populaire en réponse à l’occupation israélienne en cours dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Le Hamas est un parti politique, et les « Brigades Al-Qassam » sont un mouvement de résistance armée qui lui est associé. Il va sans dire qu’Israël ne s’intéresse pas à ceux qui s’opposent à l’occupation, qu’il s’agisse du Hamas, d’une autre faction ou de résidents non organisés. Par conséquent, l’objectif d’« éliminer le Hamas » ne doit pas être compris comme l’élimination d’une organisation spécifique, mais comme l’élimination de toute résistance à l’occupation. La stratégie israélo-étasunienne est donc d’éliminer toute tentative de résistance à l’occupation en rendant cette dernière plus brutale et plus terrifiante.
Je suppose que beaucoup au sein de l’establishment et du public israélien et étazunien comprennent qu’il est impossible d’atteindre l’objectif déclaré d’« éliminer le Hamas ». Bien sûr, il y a des factions messianiques et fascistes en Israël qui croient de tout cœur qu’elles peuvent tuer ou expulser tous les Arabes palestiniens, achever le nettoyage ethnique dans toute la Palestine, confisquer les biens palestiniens et s’installer sur leurs terres. Les factions sionistes les moins extrémistes seraient heureuses (ou du moins accepteraient) d’arrêter ce cycle de destruction, si elles pouvaient le justifier par un diktat étazunien. Tant que les États-Unis et les principaux pays européens s’opposeront à la fin de la guerre, même ceux qui, en Israël, sont conscients des dommages et de la futilité de la poursuite des massacres de masse et des crimes de guerre, n’oseront pas l’arrêter.
Dans les guerres précédentes, les États-Unis ont limité l’agression israélienne et exigé un prix politique de leurs rivaux arabes, mais dans cette guerre, les États-Unis sont principalement préoccupés par l’incapacité d’Israël à gagner, et ils le poussent à continuer à se battre. Afin de ne pas porter l’entière responsabilité de l’agression d’Israël, les États-Unis peuvent lancer des appels sans effet à Israël pour qu’il limite les dommages causés aux civils, respecte les lois de la guerre et augmente l’aide humanitaire qui parvient aux habitants de Gaza. Mais ce sont là des paroles creuses. Dans la pratique, les États-Unis continuent d’armer Israël et n’exercent aucune pression sur lui, si ce n’est de continuer à se battre à tout prix.
Avec la plus grande hypocrisie, les États-Unis prétendent être un « médiateur », que ce soit sur la question des échanges de prisonniers ou même sur une grande « solution » pour mettre fin au « conflit ». Mais en dernière analyse, il est évident que ces processus menés par les États-Unis sont une couverture pour maintenir l’occupation sioniste de la Palestine et, à travers elle, une tête de pont occidentale dans la région.
Dans les négociations actuelles sur l’échange de prisonniers, les États-Unis tentent d’obtenir du Hamas qu’il accepte de libérer des prisonniers sans assurance réelle de l’arrêt de la guerre ou du retrait israélien de Gaza. Ils espèrent qu’après l’échange des prisonniers, Israël sera en mesure d’agir de manière encore plus meurtrière. Le blocus organisé par l’administration Biden contre l’UNRWA, qui fournit la plupart des services humanitaires aux habitants de Gaza pendant une crise humanitaire sans précédent, illustre à quel point les États-Unis et leurs alliés sont pleinement impliqués et complices dans la perpétration d’un génocide.
Pendant des décennies, les négociations de paix menées par les États-Unis, avec des discussions sans fin sur la perspective d’un État palestinien dans la plupart des territoires occupés par Israël en 1967, ont été à l’avant-garde de la politique étrangère impérialiste. Dans la pratique, rien n’a été fait pour faire avancer un tel accord, et les discussions sur ce sujet ont servi de couverture commode pour continuer à soutenir l’occupation de toute la Palestine par le sionisme, pour le nettoyage ethnique en cours et pour le maintien d’un régime d’apartheid raciste sur tout le territoire du fleuve à la mer.
Chaque fois que quelqu’un tente d’exercer une pression, même minimale, sur Israël pour qu’il réduise ses violations systématiques des droits humains des Palestiniens, des politiciens occidentaux respectés prétendent que « cela nuit au processus de paix ». Aujourd’hui, ce discours vide sur la création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël a été réutilisé pour servir de couverture au soutien et à l’encouragement du génocide contre les Palestiniens à Gaza.
Beaucoup en Occident affirment que le Hamas est un obstacle aux accords de paix qui, bien sûr, sont en attente juste au coin de la rue. Par conséquent, ce qu’il faut faire maintenant, selon cette logique déformée, c’est « éliminer le Hamas au nom de la paix ». Après avoir mené à bien le génocide contre les habitants de Gaza, ils promettent, bien sûr, de « parler avec force » à Bibi et Ben-Gvir, et tout se mettra en place pacifiquement.
Dans le monde réel, nous sommes piégés dans le Catch-22 d’Israël. Lorsque la résistance à l’occupation ne se manifeste pas violemment, elle est ignorée parce que « qui se soucie de ces Palestiniens, de toute façon ? » Mais lorsque la résistance éclate à nouveau violemment, elle doit être écrasée à tout prix car « nous sommes contre la violence et c’est impossible de faire la paix avec les terroristes ».
Même s’il nous semble que nous sommes dans nos jours les plus sombres – et à bien des égards nous le sommes – il apparaît aussi que c’est la dernière guerre étazunienne.
La guerre actuelle, plus que toute autre guerre dont je me souvienne, a uni tous les peuples de la région, l’ensemble du tiers monde et toutes les personnes de conscience des pays impérialistes dans un appel à la cessation immédiate des hostilités et au soutien du peuple palestinien et de ses aspirations à la justice et à la liberté.
Pendant ce temps, un front uni des pays impérialistes soutient un génocide continu contre les habitants de Gaza en refusant de faire pression sur Israël tout en le défendant contre le droit international. Ce faisant, ils exposent, de la manière la plus claire qui soit, les « valeurs » et « l’ordre international fondé sur des règles » qu’ils prétendent protéger.
Alors que l’hypocrisie des Etats-Unis devient de plus en plus évidente à chaque atrocité diffusée en direct dans le monde entier, ils poursuivent la guerre « jusqu’à la victoire ». Et à mesure qu’ils perdent la sympathie de l’humanité dans ce conflit, il devient d’autant plus important pour eux de graver dans notre conscience le pouvoir destructeur des armes occidentales et le prix insupportable de la lutte pour la liberté.
Mais les bateaux de guerre n’ont plus la capacité de dicter l’ordre mondial.
Article original en anglais sur Mondoweiss / Traduction Chris et Dine
Yoav Haifawi est un militant antisioniste et tient les blogs Free Haifa et Free Haifa Extra.