Journal tenu par Willow et Kevin, deux militants de l’ISM originaires du Royaume-Uni, lors d’une partie de leur récent séjour en Palestine.
Jour 1 – Violences coloniales
Les quelques jours qui ont suivi notre arrivée en Palestine ont suffi pour nous rappeler, à plusieurs reprises, l’ampleur de la violence perpétrée quotidiennement par la puissance coloniale israélienne. Le jour de notre arrivée, trois Palestiniens ont été tués par les forces d’occupation, juste après le meurtre d’un adolescent, deux jours auparavant, lors d’une manifestation. Hier soir, Farus Abu Samra, un enfant palestinien de 14 ans, a été tué à Qalqilya, en Cisjordanie. Les forces d’occupation ont pris d’assaut un quartier pendant la nuit, au milieu de tirs nourris de balles caoutchouc-acier et de balles réelles. De tels raids de l’armée israélienne en Cisjordanie se produisent désormais régulièrement.
C’est un honneur d’être ici et de rencontrer autant de Palestiniens qui ont tellement donné pour la lutte. Nous avons passé la journée d’hier à suivre la formation ISM dans l’appartement à Ramallah. Un moment particulièrement marquant fut les discussions entre internationalistes sur nos motivations pour le voyage. Même si beaucoup d’entre nous font ce travail pour se sentir bien dans leur peau, nous devons toujours être conscients du risque de « white saviourism » – complexe du sauveur blanc – et ajuster notre comportement en conséquence. Il est important d’être honnêtes envers nous-mêmes et envers les autres : nous n’apportons aucune solution à cette longue lutte de plusieurs décennies. C’est une lutte menée par des générations de Palestiniens et nous, internationalistes, faisons le peu que nous pouvons pour les soutenir, en faisant ce qu’ils nous demandent. C’est l’une des grandes forces de l’ISM d’être dirigé par des Palestiniens.
Jour 2 – Présence protectrice
Une grande partie du rôle de l’ISM en Palestine consiste à assurer une « présence protectrice », les forces de l’État israélien et les colons sionistes étant moins susceptibles d’attaquer ou de harceler les Palestiniens lorsque les internationalistes sont présents.
Dans une grande partie de la Cisjordanie, cela implique principalement de participer aux manifestations qui font généralement l’objet d’une énorme violence répressive. Mais là où nous nous trouvons actuellement, à Masafer Yata, dans les collines du sud d’Hébron, il s’agit le plus souvent d’aider les agriculteurs dans leur travail, pour empêcher que les colons les attaquent. En effet, ce n’est que grâce à la vidéo d’un militant de l’ISM, qui a enregistré l’agression brutale au pied-de-biche contre Hafez, un agriculteur et militant des droits humains que nous aidions ce matin, qu’il a échappé à une peine de prison de plusieurs décennies après que les colons l’ont accusé de les avoir attaqués.
Ce podcast explique l’histoire dans son intégralité : https://palsolidarity.org/2023/02/the-international-solidarity-movement-podcast-episode-four-peoples-resistance-in-the-south-hebron-hills/
Hier soir, nous avons accompagné le jeune fils d’Hafez alors qu’il gardait des chèvres dans un champ à quelques centaines de mètres d’une colonie. Nous avons ensuite séjourné dans une maison d’hôtes à côté de leur maison familiale à At-Tuwani. Nous avons entendu dire que leur troupeau de dix chèvres comptait autrefois 150 animaux, mais le vol de leurs terres a rendu impossible aujourd’hui l’élevage d’un troupeau aussi important. Des jeunes hommes d’un village voisin sont venus rendre visite à la famille pour le dîner. L’atmosphère était assez lourde car l’un d’entre eux expliquait que des colons et l’armée venaient d’arriver dans son village, avaient fait irruption dans sa maison et attaqué des membres de sa famille. On nous a dit que nous nous rendrions dans ce village ce soir pour tenter de décourager de telles attaques.
Ce matin, nous nous sommes levés tôt pour aider au jardin, puiser l’eau d’un puits et arroser les plantes. À 9 heures du matin, il faisait déjà extrêmement chaud et on nous a dit que tout le monde se reposait au pic du soleil de midi – nous étions tous les deux très soulagés car nous ne sommes pas habitués à autant de travail de la terre.
Jour 3 – Tuba
Aujourd’hui, nous sommes dans un petit village appelé Tuba qui, comme la plupart des villages de Masafer Yatta, se trouve à l’intérieur des limites d’une zone de tir militaire. Tous les habitants palestiniens d’ici sont désormais des criminels parce qu’ils restent dans leurs fermes dans cette zone que l’armée israélienne a « revendiquée » à des fins d’entraînement – juste une excuse de plus pour l’expulsion massive des Palestiniens de leurs terres. Les colons sionistes, bien entendu, sont les bienvenus, malgré les réglementations sur les zones de tir. Craignant constamment d’être attaqués, les Palestiniens locaux patrouillent dans le village toute la nuit en utilisant des torches lumineuses pour surveiller les flancs des collines. Il existe toujours un risque imminent et profondément inquiétant d’invasion et, ces derniers jours, les colons se sont surpassés pour terroriser la communauté.
Le trajet des Palestiniens entre ici et At-Tuwani voisin est passé de 2 à 15 km. Il est désormais interdit aux Palestiniens de prendre la route directe en raison de la construction d’une colonie illégale entre les villages et ils doivent emprunter un chemin de terre très accidenté à travers les montagnes du désert. L’armée escorte les enfants de Tuba quand ils traversent la colonie sioniste pour aller à l’école d’At-Tuwani parce que les colons attaquent également les enfants sans défense. Puisqu’on ne peut absolument pas faire confiance à l’armée, les internationalistes doivent également les surveiller et aider au trajet vers et de l’école, en veillant à la sécurité des enfants.
Jour 4 – La « justice » israélienne
L’attention portée actuellement par les médias internationaux au projet de réforme judiciaire, certes honteux, de Netanyahu ignore trop souvent le fait que le système judiciaire israélien est, bien entendu, depuis longtemps intimement complice de la colonisation de la Palestine, y compris dans la région de Masafer Yatta. Comme l’explique cet excellent article sur la situation :
« L’armée israélienne veut les maisons de Masafer Yatta pour des tirs d’entraînement. Et la Cour suprême du pays déclare que c’est totalement casher.
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So’ed a arrêté d’assister aux cours après que les bulldozers israéliens ont détruit l’école du village. Ce jour-là, nous a raconté So’ed, elle a aidé de jeunes enfants, des écoliers des petites classes, à s’échapper par les fenêtres. « Nous étions en cours d’anglais », a-t-elle déclaré. « J’ai vu une Jeep s’approcher par la fenêtre. L’instituteur a arrêté le cours. Les soldats sont arrivés avec deux bulldozers. Ils ont fermé les portes. Nous étions coincés dans les salles de classe. Puis nous nous sommes enfuis par les fenêtres. Et ils ont détruit l’école. La destruction de l’école primaire a eu lieu en novembre 2022 et a été documentée en vidéo. On peut voir des enfants de première, deuxième et troisième années dans l’une des salles de classe, criant et sanglotant. Les soldats israéliens ont encerclé l’école, où étaient inscrits 23 élèves, et ont lancé des grenades assourdissantes sur les villageois qui tentaient de bloquer le passage des bulldozers. »
Un bénévole qui était sur place pour assurer une présence protectrice a réalisé une vidéo de la démolition de l’école mentionnée :
Il faut également noter que l’un de ces juges de la Cour suprême présentés comme les arbitres de tout ce qui est juste dans la couverture médiatique internationale sur les réformes judiciaires a défendu Israël avec succès dans le procès intenté contre lui par la famille de Rachel Corrie, une militante de l’ISM tuée par un bulldozer alors qu’elle résistait aux démolitions de maisons en 2003, à Rafah (Gaza).
Jour 5 – Khallet Aldabaa
Aujourd’hui, nous aidons aux travaux à Khallet Aldabaa. Il y a des familles ici qui ont vu leurs maisons démolies par l’État quatre ou cinq fois, mais elles reconstruisent toujours et refusent de déménager. C’est encore un autre exemple de l’engagement palestinien en faveur du soumoud, un mot arabe signifiant « fermeté ».
Nous avons également un peu aidé aujourd’hui au travail d’un groupe appelé Comet-ME qui était également présent dans le village. Cette organisation étonnante travaille avec les communautés de Cisjordanie pour fournir des infrastructures écologiquement et socialement durables. Ils installaient un réservoir d’eau, pour remplacer les infrastructures souvent sabotées par les colons et l’armée. C’est d’autant plus important que la compagnie des eaux israélienne Mekorot, à la demande de l’État, limite actuellement le débit d’eau dans cette zone, en plein été – une punition politique en totale violation du droit international.
Comme dans les autres villages où nous sommes allés, de nombreux bâtiments ici portent des peintures murales très frappantes composées de textes en noir et blanc exprimant des messages de défi. Celles-ci ont été peintes par un bénévole de l’ISM l’année dernière en collaboration avec les habitants. Il y en a même une en irlandais, que j’ai été ravi de voir ! (« tiocfaidh ár lá » – notre jour viendra, slogan républicain). Cela vaut la peine d’y jeter un œil ici : https://instagram.com/palestinian.brigade?igshid=MzRlODBiNWFlZA==
Jour 6 – Harcèlement par hélicoptère
Aujourd’hui, nous avons entendu le grondement des avions de combat israéliens voler continuellement au-dessus de nos têtes, et hier, un hélicoptère de l’armée a survolé le village à très basse altitude pendant environ vingt minutes, soulevant d’énormes nuages de poussière. Les habitants ont déclaré qu’ils prenaient probablement des photos de surveillance ou c’était simplement pour les intimider.
Ici, tout le travail physique doit être effectué à la main, ce qui est difficile, surtout par une chaleur de 35 degrés, mais même le plus jeune villageois (4 ans !) aidait à remplir les seaux aujourd’hui. Les agriculteurs ne peuvent pas louer de machines qui allègeraient leur travail parce que l’armée les confisque ; et faire le travail qu’une machine exécuterait en quelques minutes peut nous prendre plusieurs jours.
Heureusement, cependant, 4 autres volontaires ISM vous nous rejoindre plus tard dans la journée, dont trois sont également membres du même groupe que Willow et moi !
Jour 7 – Violence des colons
Autre exemple choquant de la manière dont les Palestiniens sont traités ici : 9 colons ont attaqué le village de Tuba hier à 9 heures du matin. Ils ont pris pour cible le puits des villageois, y ont installé une tente et ont lâché un troupeau de moutons sur les terres des habitants. Les Palestiniens n’ont pas pu utiliser le puits pour abreuver leurs bêtes. L’ampleur de la collusion entre les colons et l’État était visible : les colons étaient escortés par deux jeeps pleines de policiers et de militaires qui affirmaient être là pour les protéger. Un militant israélien antisioniste qui faisait partie de ceux qui assuraient une présence protectrice aux villageois a été arrêté lors de l’altercation. Les colons sont restés ici jusqu’à environ 17 heures. Hier soir, 4 d’entre nous d’ISM sont restés debout avec un groupe d’hommes du village pour surveiller d’autres attaques. Heureusement, rien ne s’est produit, mais, il n’est pas surprenant que l’atmosphère soit tendue après que les villageois aient été à nouveau terrorisés, moins d’une semaine après le dernier incident ici.
Ce matin, Kevin et moi avons discuté avec un Palestinien de Bethléem venu soutenir les villageois et qui organise, avec Faz3a (soutien) [voir sur Instagram et sur Facebook], une campagne de défense de la récolte des olives d’octobre 2023 contre les perturbations causées par les colons israéliens et l’armée, qui brûlent et abattent des arbres. Pendant toute la durée de la saison de la récolte (octobre-novembre), des bénévoles internationaux accompagnent les cueilleurs et agissent lorsque surviennent des incidents impliquant des violences militaires ou des colons, comme ils le font fréquemment. Il nous a dit que l’année dernière, de nombreux incidents violents se sont produits, notamment la destruction de dix véhicules palestiniens par des colons (deux ont été brûlés, les autres ont été fracassées) et une Israélienne de 75 ans bénévole avec Faz3a a été blessée à l’arme blanche.
Il a déclaré que si les Palestiniens avaient un accès libre ne serait-ce qu’à la moitié des ressources de la Palestine, la vie ici serait très bonne pour eux, mais bien sûr, l’occupation coloniale empêche que quoique ce soit qui s’en rapproche ne se produise. Il a également estimé que pour ceux qui vivent en dehors de la Palestine, la campagne de « boycott, désinvestissement et sanctions » est un moyen clé d’exercer un effet de levier contre Israël dans le but d’en faire un État paria en termes économiques, politiques et culturels.
Jour 8 – Manifestations
Hier, Willow et moi, ainsi que plusieurs autres membres de l’ISM, avons participé à deux des manifestations régulières du vendredi – une à Kafr Qaddum près de Naplouse et une à Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est.
La manifestation à Kafr Qaddum a lieu chaque semaine contre la colonie illégale qui empiète sur le village. Cela implique invariablement un niveau de confrontation assez élevé avec l’armée et sept Palestiniens ont été assassinés au cours des manifestations au fil des années. Très peu de temps après le début du rassemblement, l’armée israélienne a tiré sur nous des balles caoutchouc-acier et des grenades assourdissantes, suivies par des nuages de gaz lacrymogènes à mesure que la situation s’aggravait. Les manifestants palestiniens ont mis le feu à des barricades pour ralentir l’avancée de l’armée et obscurcir sa vue avec une fumée noire qui, commodément, a également tendance à être transportée par le vent dominant directement dans la colonie détestée. Tous ceux à qui nous avons parlé ont déclaré que notre présence, en tant qu’internationaux, criant sur les soldats avec des accents européens, réduit considérablement le niveau de violence de l’armée, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles l’ISM tente d’assister à autant de ces manifestations que nos effectifs le permettent.
Une tactique particulièrement intéressante dont nous avons été témoins consiste à utiliser une voiture modifiée dont les vitres sont recouvertes de plaques métalliques. Un militant local la conduit en première ligne de la manifestation où elle sert de barricade mobile. Elle est remplie de pneus qui aident à empêcher les balles de la traverser et qui peuvent être utilisés sur les barricades. Elle apporte également d’autres fournitures à ceux qui se trouvent près du front. Apparemment, l’armée tente de confisquer le véhicule depuis des années mais personne, à part le conducteur, ne sait où il est caché entre les manifestations !
La manifestation de Sheikh Jarrah a réuni un mélange de Palestiniens, d’Israéliens et d’internationaux et était beaucoup, beaucoup moins militante. Il y a néanmoins eu quelques affrontements avec des colons venus contre-manifester, ainsi que des échauffourées avec des policiers et des gardes-frontières lourdement armés qui ont tenté de nous chasser de la rue et ont réussi à écourter notre marche. Un adolescent colon m’a jeté une pierre lorsque j’essayais de l’empêcher d’attaquer un enfant palestinien d’environ la moitié de sa taille – heureusement, j’étais indemne. Toute la journée a rappelé une fois de plus à quel point les Palestiniens souffrent aux mains de l’occupation, ainsi que l’importance de la présence protectrice que l’ISM peut assurer.
Article original en anglais sur ISM-Palestine / Traduction MR