Partager la publication "Une unité de l’armée israélienne transforme les « jeunes des collines » en soldats"
Une enquête menée par +972 et Local Call révèle comment des colons israéliens violents des avant-postes sont incorporés dans « Frontière du Désert » – une nouvelle unité militaire responsable de graves abus contre les Palestiniens à travers la Cisjordanie.
Yuval Abraham, 3 mai 2023. Par une nuit d’hiver dans le nord de la Vallée du Jourdain, une jeep militaire israélienne sans porte s’est arrêtée devant le feu de camp où Youssef Jalawi, un citoyen palestinien d’Israël de la ville bédouine de Rahat, faisait bouillir du thé, avec deux amis palestiniens. Les soldats qui sont sortis de la jeep portaient des uniformes de l’armée, mais ils ressemblaient à des membres de « la jeunesse des collines » – les jeunes colons religieux et violents qui dévalent régulièrement de leurs avant-postes en Cisjordanie occupée pour attaquer leurs voisins palestiniens.
Qu’il s’agisse de soldats ou de colons, Jalawi a déclaré que les hommes en uniforme ont commencé à le maltraiter : ils l’ont menotté, lui ont écrasé la tête dans le gravier avec la semelle de leurs chaussures, et chaque fois qu’il tombait, ils le battaient et lui demandaient de se relever. Ils lui ont alors pointé un pistolet sur la tempe en lui disant qu’ils le tueraient s’il osait revenir dans le désert. Selon Jalawi, 1.000 NIS ont disparu de sa voiture cette nuit-là – de l’argent qu’il avait prévu d’utiliser pour acheter un cadeau pour sa fille.
La confusion de Jalawi quant à l’identité de ses agresseurs est fondée : les jeunes hommes qui l’ont détenu sont à la fois des soldats et des colons des collines. Une enquête menée par +972 et Local Call révèle qu’il y a 2 ans et demi, l’armée israélienne a créé une unité appelée « Frontière du Désert » spécifiquement pour les jeunes colons des collines, qui en constituent la grande majorité.
L’enquête, basée sur le témoignage de dizaines de témoins, révèle que ce qui est arrivé à Jalawi n’est pas un incident isolé. +972 a obtenu des preuves indiquant au moins 11 autres incidents au cours desquels des soldats de l’unité auraient attaqué des Palestiniens. Le 30 avril, un an et demi après qu’il ait déposé une plainte concernant l’attaque survenue en novembre 2021, le procureur militaire a informé Jalawi que l’affaire était classée sans qu’aucune mesure ne soit prise contre les soldats auteurs de l’attaque.
Un responsable de la sécurité au courant de l’incident a déclaré à +972, sous couvert d’anonymat, que l’unité Frontière du Désert, qui a été créée en 2020 et est subordonnée à la Brigade de la vallée du Jourdain, « se compose principalement de jeunes des collines, (…) l’extrême de l’extrême, qui sinon n’aurait pas été enrôlé. » L’idée, selon le responsable, est que servir dans l’unité est une façon de les réhabiliter : « Cette unité est absolument unique. Nous les prenons et les transformons en soldats. »
Le responsable, en plus d’une autre source proche de l’unité, a déclaré que quelques dizaines de soldats servent à Frontière du Désert, la plupart d’entre eux provenant de soi-disant avant-postes de berger dans la zone nord de la vallée du Jourdain. Selon ces responsables, nombre d’entre eux ont des antécédents de violence. Il faut le relire pour le croire : l’armée enrôle de jeunes colons des collines connus pour leur violence envers les Palestiniens pour servir dans une unité qui agit contre les Palestiniens vivant dans la même zone.
Selon les responsables de la sécurité, les jeunes colons des collines semblaient être un choix idéal pour ce boulot –– ils ont grandi dans des avant-postes, ont travaillé comme bergers dès leur plus jeune âge et ont développé des compétences en pistage et en navigation sur le terrain. Dans le nord de la vallée du Jourdain, selon les responsables de l’armée, il existe « un vide sécuritaire », et le recrutement de ces colons est considéré comme un moyen adéquat de le combler.
« Je ne croyais pas que c’étaient des soldats »
Selon les Palestiniens, des soldats leur ont marché dessus alors qu’ils étaient menottés, les ont battus sans justification, les ont forcés à s’allonger dans des positions humiliantes et douloureuses, leur ont donné des coups de pied, ont parcouru des photos privées sur leurs téléphones portables et ont volé leur argent, leurs vestes et leurs vêtements traditionnels bédouins.
À au moins deux reprises, les victimes ont porté plainte auprès de la police contre les soldats de l’unité, mais la plupart se sont abstenues de le faire par peur de vengeance et de perdre leur permis de travail, et parce qu’elles ne pensaient pas que leurs plaintes déboucheraient sur une enquête ou une condamnation. Pour des raisons similaires, la plupart des personnes interrogées pour cet article ont demandé que leurs vrais noms ne soient pas publiés.
Cinq témoignages de l’enquête ont mis en évidence un schéma : des Palestiniens ont été abandonnés au milieu du désert pendant des heures, sans téléphone et sans les clés de leur voiture, parfois menottés et les yeux bandés. Certaines des victimes, de la tribu Rashaida, ont été informées qu’elles étaient punies pour avoir pénétré dans une réserve naturelle après les heures du soir, ou pour avoir pénétré dans une zone de tir militaire, des secteurs dont les Bédouins se servent de tous temps pour faire paître leurs moutons et que l’armée n’utilise plus activement.
Les soldats de Frontière du Désert s’entraînent avec ceux de l’unité haredi Netzah Yehuda. Ensuite, ils se rendent au poste de l’unité, qui se trouve près de la mer Morte. Il y a environ un an, l’armée a décidé de transférer l’essentiel des opérations de l’unité du Désert vers la vallée du Jourdain. La décision a été prise après que les responsables militaires aient reçu de nombreuses plaintes d’incidents violents et d’abus contre des Palestiniens, dont certaines ont été déposées par des citoyens israéliens qui ont entendu parler des incidents par des Palestiniens. Les Palestiniens vivant dans le désert disent que les soldats de l’unité patrouillent toujours dans la région, bien que beaucoup moins qu’avant.
Les responsables militaires affirment que depuis qu’ils se sont concentrés sur la vallée du Jourdain, ils ont réussi à contrecarrer la contrebande d’armes à travers la frontière. Mais les Palestiniens qui vivent dans la région rapportent que les soldats accompagnent les jeunes colons des collines depuis les avant-postes de bergers à proximité et expulsent les Palestiniens de leurs pâturages. Selon des témoignages, dans au moins un cas, des soldats sont entrés dans un village palestinien de la Vallée du Jourdain avec un jeune colon des collines vêtu de vêtements civils.
Les résidents palestiniens ont dit à +972 qu’ils avaient du mal à faire la distinction entre les colons et les soldats dans l’unité, parce que, disent-ils, les mêmes personnes viennent dans la région, d’abord en tant que civils et plus tard en tant que soldats en uniforme. « Au début, je ne croyais pas que c’étaient des soldats, je pensais que c’étaient des colons déguisés en soldats », a déclaré Ayman Ghraib, un agriculteur de la Vallée du Jourdain. « Parfois, ils viennent ici, moitié soldats et moitié civils. »
« Le désert est le seul endroit où nous pouvons respirer de l’air frais »
Le village bédouin de ‘Arab al-Rashaida, dans le nord de la Vallée du Jourdain, abrite environ 5.000 personnes, dont la plupart travaillent comme bergers. Les membres les plus âgés de la tribu se souviennent de deux expériences d’expulsion : en 1948, des terres voisines d’Ein Gedi, et en 1984, des terres voisines du village de Kisan et des colonies Ma’aleh Amos et Ibei HaNahal, au sud-est de Bethléem.
« Nous ne pouvons pas facilement voyager en dehors de la Palestine ou aller à la mer, comme vous le pouvez », m’a dit l’un des habitants du village, père de trois enfants. « Le désert est notre seul lieu de loisirs sans aucun point de contrôle, le seul endroit où nous pouvons respirer de l’air frais. » Mais les multiples attaques violentes perpétrées par la milice Frontière du Désert depuis sa création en 2020 ont contraint les habitants à réduire leur présence dans le désert ; certains en parlent comme d’une troisième expulsion.
Fin mars de cette année, la veille du début du Ramadan, Firas et un de ses bons amis sont allés faire un feu de camp dans le désert, non loin du ruisseau Hatzatzon. Puis ils sont arrivés : ce qu’il appelle « l’unité des jeeps découvertes ».
« Ils se sont approchés silencieusement, sans lumière : deux Jeep Rubicon sans portes et huit soldats à l’intérieur. J’ai tout de suite su que c’était eux », a-t-il déclaré. « Ils nous ont dit : ‘Qu’est-ce que vous faites ici ? Pourquoi êtes-vous venus ici ?’ L’un d’eux a donné un coup de pied au barbecue, jetant toute la viande par terre. Ils ont crié : ‘Où est votre arme ?’ Je leur ai dit que nous n’avions pas d’arme, nous étions juste là pour passer le temps. Ils nous ont forcés à nous agenouiller. Vous devez faire exactement ce qu’ils disent, sinon ils vous frappent. »
Firas a déclaré que les soldats avaient pris ses affaires et celles de son ami avant de les abandonner dans le désert. « Un soldat a pris mon téléphone pour s’assurer que je n’avais pas pris de photos d’eux, puis l’a jeté par terre et l’a cassé », a déclaré Firas en montrant son écran brisé. « Il a également pris ma carte d’identité et mes clés de voiture et a dit que nous devions attendre son retour. Puis ils sont partis. On est resté là comme ça, sans rien, pendant trois heures, jusqu’à ce qu’ils finissent par revenir. »
Un an environ plus tôt, au début de 2022, des soldats de l’unité ont attaqué Firas au même endroit. Alors qu’il décrivait ce qu’ils lui avaient fait, son visage est devenu rouge d’embarras. « C’était un vendredi et beaucoup de gens étaient venus passer le temps », a-t-il déclaré. « Ils se sont approchés de moi, ont fouillé ma voiture comme s’il y avait une bombe cachée, en criant. Puis ils m’ont dit de m’asseoir comme ça. » Il s’est mis à genoux, les mains derrière le dos, comme menotté.
« Chaque fois que je me penchais [d’épuisement], ils me frappaient, me donnaient des coups de poing sur le corps. Plus tard, ils m’ont dit de me mettre comme ça. Firas se penche, les bras tendus en avant, en position de faire des pompes. « Ils m’ont dit de poser mes mains sur des rochers, et chaque fois que je ne pouvais pas rester dans cette position, un soldat me donnait des coups de pied. Ils étaient huit, mais seuls deux d’entre eux m’ont battu. » Les brutalités ont continué, a-t-il dit, pendant deux heures, jusqu’au départ des soldats.
Mohammed, 25 ans, a déclaré qu’il avait cessé de travailler dans la construction à cause des coups qu’il avait reçus des soldats de l’unité. Bien qu’il ne soit pas sûr de la date exacte, l’attaque s’est produite en 2022.
« Je suis allé dans le désert avec un ami et nous sommes allés faire une randonnée. Nous voulions voir la mer Morte et faire un barbecue », se souvient-il. « Des soldats dans une jeep sans portières nous ont arrêtés et m’ont dit d’éteindre le moteur de la voiture. Je ne voulais pas, car nous montions une côte et j’avais peur qu’elle ne redémarre pas si je le faisais. L’un d’eux m’a donné un coup de poing dans le bras et m’a traîné dehors. »
« Ils nous ont fait allonger, le visage dans la terre, et ils nous ont marché dessus », a-t-il déclaré. « Ils nous ont interdit de parler. Pendant tout ce temps, ils n’arrêtaient pas de crier : « Silence ! » Ils nous ont pris nos téléphones, nous ont menotté les mains derrière le dos et nous ont donné des coups de pied à chaque fois que nous disions quelque chose. Ils ont demandé : ‘Pourquoi venez-vous ici ?’ Ils nous ont dit de ne pas revenir dans le désert. Finalement, j’ai fait semblant d’être malade, d’avoir une crise cardiaque et j’ai commencé à tousser. Cela leur a fait peur et ils sont partis. »
À l’hôpital, on a dit à Mohammed qu’il avait une hernie discale à la suite des coups. Bien qu’il ait été contraint d’arrêter de travailler dans la construction, il n’a pas porté plainte par crainte de représailles des soldats. « Ma jambe, depuis le passage à tabac, ne fonctionne plus normalement. Parfois, quand je me lève, je ne la sens plus, jusqu’au dos.
Mohammed a déclaré avoir reconnu la voiture et savait qu’elle appartenait à l’unité Frontière du Désert. Il a également reconnu les soldats, dont deux avaient des papillotes, les longs favoris portés par les juifs pratiquants. « C’étaient des colons en tenue de soldats », a-t-il dit.
« Leur objectif est d’instiller la terreur »
En février ou mars 2022, près de l’ancienne mosquée de Nabi Musa au sud-est de Jéricho, deux visiteurs bédouins ont été victimes des exactions des soldats de l’unité : « Quatre soldats sont venus vers nous dans une Jeep Rubicon », a déclaré l’un d’eux. « Ils ont pris nos téléphones, nos cartes d’identité et nos clés de voiture. Ils nous ont crié : ‘Que faites-vous ici ?’. Impossible de leur répondre, ils nous ont obligés à garder le silence. Quand nous étions à terre, l’un d’eux a posé sa jambe sur mon cou. Ils ont commencé à nous battre, à nous donner des coups de poing dans les côtes, à nous frapper avec leurs fusils. »
« Nous étions dans un endroit normal », a-t-il poursuivi, « un endroit où nous avions le droit de venir, et nous ne leur avons rien fait. Avant de partir, ils ont vidé nos bouteilles d’eau pour que nous ne puissions pas rester dans le désert. Nous avons dû rentrer à la maison. »
La première fois qu’Amr, père de cinq enfants et membre de la tribu Rashaida, a vu les Jeep Rubicon sans portières, il faisait un barbecue dans le désert avec sa femme et ses enfants. Comme beaucoup d’autres Bédouins, il connaît l’unité comme « l’unité des jeeps ouvertes » ou « l’unité des colons », et les reconnaît par leurs voitures sans portières, les visages familiers des soldats et le schéma distinct de leurs interactions violentes avec les Palestiniens.
« Les enfants ne veulent plus venir avec moi dans le désert depuis », a dit Amr. « Le soldat a renversé notre bouilloire à coup de pied, sans même se pencher. » Amr dit qu’il a essayé de prendre une photo, mais un soldat lui a arraché son téléphone, l’a reformaté et a dit à sa famille de ne pas revenir dans le désert. Toutes les photos de l’appareil ont été effacées.
Sept témoins oculaires ont déclaré à +972 que les soldats de Frontière du Désert les avaient empêchés de documenter leurs rencontres avec l’unité, confisquant leurs téléphones afin qu’ils ne puissent pas les photographier. Dans quelques cas, selon leurs témoignages, des soldats ont parcouru les photos privées de Palestiniens et les ont effacées de leurs appareils.
Un autre habitant et membre de la tribu Rashaida a déclaré que des soldats de l’unité avaient battu son père, un berger de 60 ans. Dans sa voiture, ils ont trouvé un shibriya, un poignard courbé traditionnel, que les bergers portent fréquemment sur eux.
« Mon père est diabétique », a déclaré le membre de la tribu. « Ils l’ont menotté avec des liens en plastique pendant deux heures. Chaque fois qu’il essayait de parler, ils lui donnaient des coups de pied et de poing. Je me souviens des marques rouges sur ses mains. Il y avait des bleus sur tout le corps. Ils sont toujours comme ça, les soldats des Rubicons. On ne peut pas parler quand ils sont là. Le soldat vous dit de vous taire. Et quand tu cries de douleur, ils disent que tu n’as pas le droit de parler. Leur but est d’être menaçant. Pour nous instiller la terreur, pour que la peur nous fasse quitter le désert. Et les gens ont vraiment peur. »
La deuxième fois qu’Amr a eu une altercation avec les soldats, en 2022, c’était un jour de pluie et il faisait de la randonnée avec sept amis. « Cinq soldats sont sortis de la jeep et nous ont dit de sortir de nos voitures », se souvient-il. « Ils avaient des papillotes, comme des colons. Ils ont pris tous nos téléphones pour nous empêcher de prendre de photos. Ils nous ont obligés à nous mettre par terre, et chaque fois que nous parlions, ils nous disaient en arabe : ‘Uskoot ! [Silence !].’ Si vous continuez à parler, ils vous frappent.
« Un soldat m’a dit : ‘Tu dois nous donner ton manteau' » », a poursuivi Amr. « J’ai dit non. Deux d’entre eux m’ont tenu et m’ont arraché le manteau. Ils l’ont volé. Ensuite, ils ont pris les mandil (foulard bédouin) de mes cinq amis et les ont utilisés pour se couvrir la tête. Ces soldats ont une vieille Subaru, et ils conduisent dans le désert avec ces mandils, comme s’ils s’infiltraient en tant que Palestiniens. »
« Les gens ne se plaignent pas tellement ils ont peur »
Voler les vêtements des Palestiniens et les abandonner dans le désert est le scénario indéniable de l’unité. Selon un témoignage, des soldats ont bandé les yeux d’un berger, l’ont forcé à monter dans leur jeep et l’ont déposé dans un endroit isolé du désert sans réseau cellulaire.
« Je ne savais pas quoi faire », dit le berger. « J’ai marché dans la direction d’où venait la jeep, devinant que quelqu’un serait peut-être là. C’était terrifiant. Après avoir marché pendant deux heures, j’ai trouvé un endroit avec une réception cellulaire et j’ai appelé mon frère. » Selon lui, les soldats conduisaient une « voiture Rubicon » sans portières. « Certains d’entre eux portaient des kippas, et certains portaient des keffiehs arabes, comme celui de Yasser Arafat. »
« Les gens ne veulent pas se plaindre parce qu’ils ont tellement peur », a déclaré un autre habitant qui a été attaqué – l’un des rares à avoir déposé une plainte auprès de la police contre l’unité. Selon lui, la relation entre la tribu et l’armée était autrefois positive. « J’ai dit à la police : « Ce n’est pas la façon de faire habituelle de l’armée. » Je leur ai dit que les soldats nous aidaient et nous les aidions. Cette unité est dans la région depuis deux ans, et depuis qu’ils sont arrivés ici, tout a changé. » Plusieurs autres résidents ont fait écho à cette affirmation selon laquelle la relation entre la tribu Rashaida et l’armée avait été amicale jusqu’à la formation de cette Frontière du Désert.
Il a expliqué qu’il avait été attaqué en novembre 2021 et avait eu besoin de soins médicaux après que deux soldats lui aient claqué la portière de la voiture sur la jambe à plusieurs reprises et lui aient donné des coups de pied. « Un soldat m’a dit de sortir de la voiture. J’ai demandé pourquoi, puis lui et un autre soldat ont commencé à me sortir de force et à me frapper, sans aucune explication. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à crier de douleur qu’ils m’ont laissé tranquille. J’ai été soigné dans un hôpital et je n’ai pas pu marcher pendant trois jours. »
Raoud, un jeune homme, a raconté un cas de vol et de violence d’il y a un an. « Un soir, je suis sorti fumer le narguilé avec deux amis de Jérusalem, à côté de l’ancienne base militaire de Hatzatzon », se souvient-il. « Des soldats de l’unité se sont approchés de nous dans des jeeps ouvertes sans éclairage. J’ai été surpris de les voir nous encercler. Environ 12 personnes. Ils ont pris nos téléphones, nous ont menotté les mains derrière le dos, nous ont forcés à nous allonger par terre et nous ont interdit de parler. »
« Vous essayez de demander qui ils sont, s’ils sont même des soldats, et ils vous disent de vous taire », a poursuivi Raoud. Selon lui, les militaires sont arrivés vers 20 heures et les a gardés menottés jusqu’à 2 heures du matin.
« J’avais une veste verte et un chapeau comme un fez, le genre bédouin. Ils m’en ont dépouillé et ont volé mes vêtements », a-t-il dit. « Ils prennent beaucoup de manteaux de gens, s’ils sont verts ou ressemblent à des vestes militaires. J’ai eu froid toute la nuit sans mon manteau. Mes deux amis qui étaient avec moi, de Jérusalem, ont été emmenés à la base militaire puis ont été relâchés. Ils m’ont enlevé les menottes et m’ont dit de rentrer à pied dans mon village. »
Accompagnement des colons dans les villages palestiniens
Les résidents ont rapporté que le pire était l’humiliation et le sentiment d’impuissance. Jalawi, le citoyen palestinien de Rahat qui a déclaré avoir été attaqué et son dossier clos sans inculpation ni sanction pour les soldats responsables, a déclaré à +972 qu’il ne s’était pas remis de l’incident. Bien que certains membres de sa famille servent dans les forces de sécurité israéliennes, chaque fois qu’il voit des soldats, son cœur s’emballe de peur.
« Ils m’ont dit de me mettre à genoux. Il y avait tellement de gravier », a raconté Jalawi. « Ils nous ont ordonné de rester dans cette position, comme ça, pendant longtemps, et chaque fois que je me penchais, ils me battaient. Enfin, l’un d’eux m’a dit de me lever, mais quand je l’ai fait, je ne tenais plus debout.
« Le soldat m’a fait asseoir à un autre endroit, puis a soulevé et baissé ma tête avec sa chaussure et m’a aveuglé avec sa lampe de poche », a poursuivi Jalawi. « Il a dit : ‘Pourquoi amenez-vous ici des gens des territoires [occupés] – tout le désert est à moi, ne venez plus ici.’ »
Jalawi a déclaré que les soldats l’avaient laissé là, saignant et menotté, et qu’ils étaient partis dans leurs voitures sans portières. « J’avais peur de bouger. Ténèbres, menaces, armes à feu. J’ai attendu que quelqu’un vienne me libérer », a-t-il déclaré. « Ils ont volé 1.000 shekels dans ma voiture ; je les avais apportés pour acheter un cadeau à ma jeune fille, qui vient de commencer son service militaire. »
Après que Jalawi ait déposé sa plainte, la Division des enquêtes criminelles de la police militaire a ouvert une enquête et il a été invité à témoigner et à affronter les soldats de l’unité qui étaient présents à l’événement. Pendant un an et demi, aucune décision n’a été prise sur l’affaire, mais après que +972 ait fait une demande à l’armée, Jalawi a été informé par le bureau du procureur qu’ils fermaient l’affaire. « Les soldats ont nié vous avoir battu, vous avoir menacé ou avoir pris de l’argent dans votre voiture », a écrit le major Segev Rom, du bureau du procureur militaire, dans sa décision. « Aucune preuve n’a été trouvée qui appuierait votre récit par rapport à celui des soldats. »
Dans deux cas, des soldats de Frontière du Désert ont été photographiés accompagnant de jeunes colons des collines qui n’appartenaient pas à l’unité. Selon des témoignages oculaires, en janvier de cette année, ils sont entrés dans le village palestinien d’Al-Muarajat, dans la vallée du Jourdain, avec un résident de l’avant-poste qui n’était pas un soldat. Dans une documentation photographique d’un autre jour, on peut voir des soldats préparer le thé avec ce même résident, qui était armé d’un M16.
« Ils avaient une Jeep Rubicon sans portières, et un colon les attendait là. Je le reconnais parce qu’il a expulsé mon père de son propre pâturage », a déclaré Aliyah, une habitante du village. « Ils ont frappé à notre porte et nous ont demandé nos papiers d’identité. Je ne croyais pas qu’il s’agissait de soldats. Quand je leur ai dit que j’allais appeler la police, ils sont partis. »
Les soldats ont empêché Aliyah de les photographier, mais elle a pu prendre une courte vidéo et enregistrer le numéro de plaque d’immatriculation de la jeep militaire qui était entrée dans le village dans une note sur son téléphone. +972 a confirmé que le numéro de plaque d’immatriculation de la jeep correspond à celui de l’unité Frontière du Désert.
« Celui qui contrôle le désert contrôle toute la région »
Dans les années 2000, une autre unité de l’armée israélienne avec le même nom de Frontière du Désert avait un mandat similaire : elle circulait autour des zones de tir militaires en tant que force de police, principalement afin de contrecarrer la contrebande d’armes. L’unité a été fermée en avril 2007 sur ordre du chef du commandement central de l’armée, après que des soldats aient abattu sans justification un Palestinien de 30 ans, Aziz Hamed Matour, alors qu’il traversait une zone de tir à côté de la base militaire de Nabi Musa située sur son chemin de Bethléem à Jéricho.
On peut replacer le rétablissement de Frontière du désert en tant qu’unité de jeunes colons des collines dans le contexte de la poursuite par la droite israélienne de meshilut (littéralement « gouvernance », un euphémisme pour la domination judéo-israélienne) dans la vallée du Jourdain en particulier et en Cisjordanie en général, dans le cadre de ses manoeuvres pour renforcer la présence des colons dans la zone C et empêcher les Palestiniens d’accéder à leurs terres.
Moshe Kublantz, un habitant de la colonie d’Efrat âgé de 30 ans, avait l’habitude de parcourir le désert à vélo lorsqu’il était adolescent et en est tombé amoureux. À l’âge adulte, il a fondé « The Judean Desert Organization », dont la mission est d’oeuvrer pour « garantir le développement et la préservation du caractère israélien du désert pour les générations à venir ».
Kublantz est familier des actions de Frontière du Désert, et il a dit à +972 qu’il avait entendu parler d’incidents violents contre des Bédouins de la tribu Rashaida. Selon lui, il s’agissait « d’incidents extrêmes, au cours desquels des soldats particuliers ont eu un coup de sang et ont peut-être outrepassé leur autorité ».
Et pourtant, selon lui, Frontière du Désert a un rôle très important dans la police du nord de la vallée du Jourdain. « La nécessité d’établir l’unité est le meshilut et la protection des zones de tir », a déclaré Kublantz. « Une armée qui ne met pas une unité dans le désert est une armée en échec. Celui qui contrôle le désert contrôle toute la région. »
« L’armée a fait un essai ici », a poursuivi Kublantz. « Des personnes très spécifiques sont arrivées dans un domaine très spécifique. Aucune autre unité ne pourrait faire ce qu’ils font. Ce sont des gens qui ont grandi dans le désert, qui ont grandi dans des fermes, qui connaissent la région. Ils sont liés au désert. Ils ne sont pas importés de loin. Mais cela s’accompagne d’effets secondaires. »
Renforcement de la présence juive
Le rétablissement de Frontière du Désert est également lié aux efforts israéliens pour installer une présence juive dans la partie orientale de la Cisjordanie. Le « Plan Allon », soumis au gouvernement un mois et demi après le début de l’occupation de 1967, désignait la partie orientale de la Cisjordanie – le nord de la vallée du Jourdain, dans laquelle Frontière du Désert opère depuis deux ans et demi –– pour l’annexion israélienne.
Cinq ans plus tard, en 1972, la majeure partie de la bande orientale de la Cisjordanie – 713.000 dunams de terres précieuses s’étendant de la vallée d’Uja au nord à la région de Yatta à sa frontière sud – a été déclarée zone de tir. En 1979, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, expliqua que les zones de tir n’avaient pas été déclarées pour l’entraînement mais pour « préserver la terre pour la colonisation [juive] ». Cette terre était et continue d’être utilisée par les Palestiniens pour l’habitation et l’élevage.
Des documents obtenus par +972 dans les archives de l’armée montrent que déjà dans les années 1970, les soldats expulsaient les Bédouins des zones de tir. Un document militaire de 1978, par exemple, intitulé « Operation Bedouin Expulsion », détaille les actions d’une brigade de l’armée du sous-district de Bethléem expulsant les Bédouins de la zone de tir dans le nord de la vallée du Jourdain « par hélicoptère ».
Dror Etkes, chercheur de terrain de l’ONG Kerem Navot, explique que déclarer une zone de tir ou une réserve naturelle donne aux autorités israéliennes, notamment militaires, une base légale pour déposséder les Palestiniens de leur terre. Ceci est entrepris fréquemment, et l’objectif est de réduire la quantité de terres que les Palestiniens peuvent utiliser pour faire paître leurs moutons, de les expulser de la région et de permettre la construction de grandes colonies juives.
Dans toute la région dans laquelle Frontière du Désert opère, des dizaines d’avant-postes de bergers israéliens ont été établis au cours de la dernière décennie, sans permis de construire. En fait, la plupart des quelque 70 avant-postes de bergers à travers la Cisjordanie ont été établis au cours de la dernière décennie et dans cette région. Un rapport rédigé par Etkes montre qu’un tiers de la zone sur laquelle ces fermes sont construites se trouve à l’intérieur des zones de tir.
En outre, Israël trace de nouveaux sentiers de randonnée dans ces zones ; la Cour suprême a ordonné l’expulsion d’environ 1.000 habitants de Masafer Yatta, qui vivent à la limite sud de la zone de tir 918 ; la réserve naturelle de Metzuk HaAtakim a doublé de taille et le ministère du Tourisme propose un plan pour la construction de sept auberges dans la vallée du Jourdain. Selon Aryeh Cohen, le chef du Conseil régional de Megilot – qui comprend les colonies au nord de la mer Morte – et un militant du parti Yesh Atid de Yair Lapid, les auberges sont destinées à attirer des touristes dans la région afin de « renforcer notre présence et empêcher le contrôle palestinien sur cette terre stratégiquement importante ».
Etkes surveille les développements en Cisjordanie depuis deux décennies, mais ce qu’il a vu lorsqu’il a lui-même rencontré les soldats de Frontière du Désert l’a surpris lui-même. Sur les photos d’Etkes, vous pouvez voir trois jeunes colons mal habillés assis sur le toit d’une voiture déglinguée sur le bord de la route, fumant une cigarette, avec trois soldats de Frontière du Désert en uniformes militaires debout à côté d’eux.
« Cette unité brouille délibérément la frontière déjà floue entre civils et soldats en Cisjordanie », a déclaré Etkes. « Les Palestiniens ne sont plus capables de les différencier. Toute personne qu’ils rencontrent, dans n’importe quelle situation, peut constituer une menace. »
Dans une déclaration à +972, le porte-parole de l’armée a souligné que Frontière du Désert fait définitivement partie de l’armée, soumise à la supervision et aux lois régissant l’armée, et qu’elle devrait se développer à l’avenir et se diversifier. « La plupart des incidents mentionnés, à l’exception de l’affaire Jalawi, ne sont pas connus de Tsahal », indique le communiqué. « Lorsque des plaintes seront déposées, elles seront correctement examinées. »
« L’unité Frontière du Désert est une unité de combat dotée de capacités spéciales qui offre une réponse opérationnelle aux défis qui se posent dans la vallée du Jourdain, et elle a connu de nombreuses réalisations et succès opérationnels », poursuit-il. « L’unité a été créée il y a environ trois ans et n’a cessé de se développer, d’apprendre et de s’améliorer depuis. »
Article original en anglais publié sur +972mag / Traduction MR/Relecture Chris
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