Les Palestiniens du Naqab confrontés à une nouvelle menace de la part d’une milice d’extrême droite

Ameer Makhoul, 4 avril 2022. Après des mois de délibérations impliquant la police israélienne, la municipalité de Beersheba et le parti d’extrême droite Otzma Yehudit, Israël a récemment vu la création d’une milice juive déterminée à « restaurer la sécurité personnelle du citoyen ». 

Dans le lexique politique israélien, « citoyen » est un raccourci pour Israélien juif. La nouvelle milice s’appelle Sayeret Barel, un clin d’œil aux sayeret israéliennes, ou forces spéciales, et au tireur d’élite israélien Barel Shmueli, qui a été abattu l’été dernier à la clôture de Gaza. 

Et cela pourrait n’être que le début, après que le Premier ministre israélien Naftali Bennett a appelé la semaine dernière les propriétaires d’armes à feu à s’armer dans la sphère publique, suite au meurtre de cinq personnes dans un quartier juif ultra-orthodoxe de Tel Aviv. « Qu’attend-on de vous, citoyens israéliens ? Vigilance et responsabilité. Quiconque possède un permis de port d’arme, c’est le moment de porter une arme », a-t-il déclaré. « Nous sommes également en train d’évaluer un cadre plus large pour impliquer des volontaires civils qui veulent aider et être utiles. »

L’initiative remonte au mois d’octobre, lorsque l’ancien officier de police israélien Almog Cohen a annoncé son intention de créer une milice armée pour protéger les résidents juifs du désert du Naqab (Néguev), en raison de ce qu’il prétendait être une gestion policière inadéquate dans la région du sud. Un appel a été lancé pour l’inscription de « policiers bénévoles », qui, selon les médias israéliens, devaient suivre une formation spéciale dans l’une des trois brigades : une spécialisée dans les armes à feu, une autre dans la surveillance et la sécurité, et une troisième dans la logistique. 

Cohen a déclaré que le groupe a été formé en raison de la « perte de souveraineté de l’État et de la sécurité personnelle des citoyens ». Ses commentaires font écho aux propos du maire de Beersheba, qui a déclaré que si l’État ne remplissait pas ses fonctions, des milices municipales seraient nécessaires pour rétablir la sécurité dans le Naqab.

Une violence croissante

Ces développements interviennent à la suite d’une série d’incidents violents dans le Naqab, qui ont alimenté la frustration des habitants qui estiment que les autorités ne font pas assez pour assurer leur sécurité. Visant ostensiblement à aider les forces de l’ordre, Cohen avait auparavant formé le Negev Rescue Committee, un groupe d’extrême droite qui s’oppose à la présence arabe palestinienne dans le Naqab. 

Peu après l’annonce de la création de Sayeret Barel, on a demandé à Cohen s’ils prévoyaient de faire justice eux-mêmes, ce à quoi il a répondu : « Nous n’attendrons pas une quelconque paperasserie ».

Le groupe était initialement soutenu par la police israélienne et les autorités municipales, mais après avoir attiré l’attention des médias, la police a retiré son soutien à l’organisation en déclarant qu’elle ne s’impliquerait pas et n’a pas assisté à l’événement de lancement qui a eu lieu le 20 mars, mais les responsables n’ont pas dit qu’ils allaient empêcher les activités du groupe.

La police a notamment imputé cette décision aux sources de financement du groupe, affirmant qu’il était « interdit » de recourir au crowdsourcing à de telles fins. Mais sur leur site Web, les membres de la milice affirment être en train de « créer (avec la confirmation et la collaboration de la police) la « force de Barel », du nom de Barel Shmueli ».

De son côté, la municipalité de Beersheba a critiqué la police pour avoir déclaré que la municipalité avait lancé le groupe en tant que « initiative résidentielle » composée de « bénévoles pour la protection de la sécurité personnelle », notant que la police avait offert au groupe à la fois la légitimité et la supervision. 

La question demeure : pourquoi la police israélienne a-t-elle retiré son soutien au dernier moment sur la question du crowdfunding ? Selon un porte-parole de la police cité par Haaretz, la décision a été prise « après qu’il ait été clarifié que le crowdfunding à de telles fins est interdit ».

Le porte-parole poursuit : « La police accueille les citoyens qui souhaitent se porter volontaires, pour autant que cela se déroule conformément aux procédures policières. Dans cette affaire, le crowdfunding a été réalisé par un groupe à but non lucratif qui a également collecté des fonds pour le financement du procès de [l’ancien Premier ministre israélien Benjamin] Netanyahu. »

Soutien officiel

Les milices ne sont pas une nouveauté dans l’histoire du sionisme. Dans les années 1980, l’un des groupes les plus importants de ce type, le Hamachteret Hayhoudit (l’Underground juif), a mené des opérations terroristes contre des cibles palestiniennes. Son objectif déclaré était de pallier la « perte de sécurité personnelle des colons » et de combler « l’absence de l’État ».  En plus de tenter d’assassiner des personnalités politiques palestiniennes, le groupe a également comploté pour faire sauter la mosquée Al-Aqsa.

Ce qui distingue Sayeret Barel de ces groupes, c’est son air de respectabilité et son soutien officiel.

La municipalité et la police ont été complices de sa création, même si elles ne soutiennent plus le groupe aujourd’hui. Les groupes de défense des droits des Palestiniens et les membres de la Knesset devraient lancer une enquête sur le rôle de la police en particulier.

Au cours du soulèvement qui a eu lieu dans toute la Palestine historique en mai dernier, des bandes de lyncheurs et des terroristes ont pris pour cible des quartiers arabes – des crimes qui sont généralement traités avec indulgence par le système judiciaire israélien. Mais les attaques ne se sont pas limitées à la frange d’extrême droite, les forces de sécurité israéliennes ayant décrit le soulèvement comme un nouveau front contre lequel il faudra se défendre à l’avenir, avec la possibilité d’une violence plus intense à venir. 

Dans le cas de Sayeret Barel, le groupe a été financé par une campagne de crowdsourcing, qui, à la mi-mars, aurait recueilli 110.000 shekels (34.000 dollars) sur un objectif de 1,4 million de shekels.

En fin de compte, la formation de Sayeret Barel, et le fait qu’elle ait reçu un soutien officiel à différents moments et de différentes manières, indique qu’elle n’est pas seulement le produit d’un projet individuel. Une organisation sophistiquée cible les Palestiniens du Naqab et de toute la Palestine – et son chef a encouragé les volontaires à être « juge, jury et bourreau ». 

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR

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